Bien longtemps après Jean Sarment, Jacques Vaché et le « groupe » des surréalistes — ce groupe des « Sârs » du lycée qui n’était pas encore « Clemenceau » — nous vient de Nantes un auteur que je découvre… Personne n’est parfait. Et pourtant ce Patrice Jean a déjà écrit cinq romans, dont L’Homme surnuméraire qui l’aurait imposé. Aussi, amende honorable, je vous recommande son dernier ouvrage : « La Vie des spectres », édité au Cherche Midi.
On s’engouffre dans ce gros volume pour une longue traversée, piégé par la qualité de ce que l’auteur nous raconte. Le temps de lire les premières pages, c’est fini, nous voilà perdu corps et biens. C’est normal, nous sommes partis de Nantes, au temps où la marine conduisait aux épices, au « bois d’ébène » et autre entreprise d’ornithologie… la preuve : Audubon qui se signala par de délicieux portraits d’oiseaux. Devenu « Jean Dulac » pour le roman, Patrice Jean nous cueille sur le quai avec son « Lire n’a jamais rendu qui que ce soit plus généreux ». J’ai tout de suite été intéressé. Il se trouve qu’un « Jean Dulac » fait partie de ma famille… Comme, ça se trouve. Alors j’ai plongé…
Je ne vais pas vous raconter pareil ouvrage. D’abord parce qu’il y a Doriane, sa « femme », et Simon, leur fils… Doriane « butine le concept féministe dans des magazines … et, surtout, dans ses conversations avec Sabrina et Nadège. Les deux salopes jouent le rôle des bonnes copines : elles confortent Doriane dans le moindre doute qu’elle entretient sur moi, dans n’importe quel reproche qu’elle m’adresse »…
Et Simon, élève de première (ou de seconde) passe son temps « à chasser les Dragons et les Amphibiens de Monster Hunter, plutôt que de lire, d’écouter de la musique ou de rêvasser. » En « français », il a une nouvelle prof… la précédente s’est fait gifler par un élève pour avoir défendu la lecture du Misanthrope… « Ah, la chiotte ! » a commenté le jouvenceau.
Le parler du père est autrement polissé. Et voilà la réponse à vos questions sur les « Spectres ». « J’ai imaginé les doubles flottant aux dessus des passants, doubles intimes et antagonistes, une humanité frissonnante d’ectoplasmes! (…) C’est le double que l’on aime, le double que l’on déteste. Les doubles remplacent la personne réelle, personne mobile et incertaine qu’il faudrait des années pour connaître vraiment : la réduire à son double (à son cliché) est une nécessité. (…) Nous vivons dans un pêle-mêle de semi-vérités, fabriqué à la va-vite. Un monde de spectres… »
Au fil des pages vous trouverez une intéressante conversation chez un monsieur qu’il m’arriva jadis de fréquenter à propos d’un livre qui venait de me valoir un prix « celtique ». Je l’ai tout de suite reconnu… Et pourtant ça va faire cinquante ans… tss. Si ce n’est pas celui auquel je pense, ça vaut guère mieux. Il s’agit d’un « Delaunay » (dans le livre). ça commence ainsi : Delaunay ne tue « que les bêtes malsaines, tout ce qui pullule, tout ce qui triomphe… » Il est entouré de deux « écrivains », le romancier Pérez et un « étudiant en théologie », Nathan Lacroix. La conversation porte sur la littérature de l’époque… « La perte de la transcendance, dit Lacroix, c‘est l’épiphanie de la merde »… Ce à quoi Pérez ajoute : « Oui ! l’assomption merdique ! L’hosanna des étrons ! L’alléluia des crottes ! » Je vous passe le reste du « caca »…
On trouve aussi, à partir de la page 219, un intéressant intercalaire intitulé : « La Révolte des mots ». Patrice Jean suggère qu’ « Un jour, les mots en eurent assez. Depuis des siècles, chaque vocable se baladait dans les phrases, revêtu de son sens unique. Ce sens, bien sûr, se déclinait en plusieurs variations. Ainsi le mot jaloux se targue-t-il de deux fonctions (adjectif et nom) et de deux sens différents : la peur de perdre l’amour de l’être aimé, et l’envie devant la réussite et la richesse. » Il énumère ainsi des mots comme piler (qui était une jambe et pas encore un pilier), zizanie (une mauvaise herbe à l’origine), table (une dizaine de variations)… « Le danger d’un anéantissement total du vocabulaire se profilait : les gestes avaient remplacé les mots, et s’effaçait le souvenir qu’on avait pu un jour communiquer autrement que par des pantomimes. » Et Patrice Jean propose une solution : après les philosophes et les historiens, les juges et les professeurs, les romanciers « pondirent roman sur roman »… Mais « le temps passant, les cons oublièrent le cataclysme. Comme ils étaient très nombreux, la force et le divertissement furent, de nouveau, les raisons du succès et de la richesse. »
Et puis il y a ce passage où l’écriture dans Breizh-info devient incriminante. Dulac rencontre une jeune surveillante de lycée en boucles rousses, la belle Rachel Klein, qui lui fait penser à « l’Irlandaise de Courbet »… La petite pionne a commis deux articles pour « notre » excellent titre : « l’un sur le musicien gallois Yvain Gwynedd et l’autre sur Soljenitsyne »… Elle se défend bêtement, la malheureuse, disant : « ils (c’est nous… tss) ont joué de ma fibre celtique »…
Comme dit ma petite-fille (4 ans) : « J’ai choisi un rêve pour la sieste. Je choisis dans ma tête… »
MORASSE
Patrice Jean, La Vie des spectres, 452 pages, 22,50 euros
Crédit photo : JulienSorel 1943/Wikimedia (cc)
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Une réponse à “Patrice Jean. Les spectres ne meurent jamais”
La fiche wikipedia de Patrice Jean, avec des références à Marmin, Maulin, Naulleau, donne davantage envie de lire cet auteur nanto-guérandais que cette note de lecture qui m’a beaucoup fait penser au style de José Artur.