Le « modèle agricole breton » est en mauvaise santé

Avec la FNSEA, la Bretagne est gâtée. Avec son concours actif, depuis les années 1960, une agriculture industrielle a été développée. Ce qui signifie hors-sol, engrais, destruction des haies, effondrement des effectifs agricoles, installation d’unités géantes. Les paysans sont devenus des agriculteurs « productivistes ».

En Bretagne, tout le monde connaît la FNSEA – directement ou indirectement. Grâce à ses « annexes », le syndicat majoritaire du monde agricole fait figure en effet de puissance économique, financière et politique ; ne trouve-t-on pas les gens de la FNSEA à la tête du Crédit agricole, de la Mutualité sociale agricole, des chambres d’agriculture, des coopératives, de Groupama… Si bien que les élus n’ont rien à leur refuser ! C’est clair, en Bretagne, beaucoup d’adhérents de la FNSEA ont fait le choix d’une agriculture intensive dont on connaît les différents aspects : fongicides, pesticides, pollutions, élevages géants, algues vertes… Mais comme la FNSEA cogère l’agriculture avec le ministère de l’agriculture (droite et gauche), on ne remet pas en question le « modèle agricole breton ». A tel point que, dans la crise actuelle, on critique « Bruxelles » en oubliant de balayer devant sa porte. Le spécialiste de la méthode s’appelle Gilles Pennelle, président du groupe Rassemblement national au conseil régional de Bretagne. « Nos agriculteurs et nos pêcheurs meurent écrasés par les normes européennes, par une écologie punitive et par l’indifférence de ce gouvernement », se plaît-il à souligner (Ouest-France, Ille-et-Vilaine, vendredi 26 janvier 2024). Il oublie de préciser qu’un gouvernement pratiquant l’ « écologie punitive » empêcherait la création de véritables camps de concentration pour les porcs et les poulets. On peut citer le cas de la commune de Landunvez (près de Brest). Mardi 8 novembre 2022, le préfet du Finistère, Philippe Mahé, signe « un arrêté autorisant la porcherie Avel Vor à engraisser jusqu’à 26 600 porcs charcutiers (8 500 emplacements dédiés) par an sur ses trois sites (Kervizinic, Kerincuff et Kervéléoc). Son installation est également autorisée à exploiter 850 emplacements pour des truies reproductrices » (Le Télégramme, Bretagne, jeudi 10 novembre 2022). « Cet élevage répond aux conditions légales d’extension », affirme le préfet (Le Figaro, 12-13 novembre 2022). Il y a donc 12 000 porcs en permanence  dans une commune du bord de mer qui compte 1 487 habitants ; c’est-à-dire un habitant pour huit cochons. Député de Fougères, Thierry Benoît (Horizons), très inspiré,  propose, lui, de créer « un grand ministère de l’Agriculture, de l’environnement et de l’alimentation » (Ouest-France, Ille-et-Vilaine, vendredi 26 janvier2024). Dans le cadre actuel, cela reviendrait à  célébrer le mariage de la carpe et du lapin !

Arnaud Rousseau incarne parfaitement l’agrobusiness

C’est l’occasion d’aborder la question de la FNSEA. Quels intérêts défend le syndicat majoritaire ? Quel type d’agriculture représente son président Arnaud Rousseau ? Le journaliste Gilles Luneau l’explique dans son livre La Forteresse agricole. Une histoire de la FNSEA (Fayard, 2004). « Derrière l’unité de façade, des voix dénoncent un syndicat surtout prompt à défendre les intérêts de son élite. « Ceux qui nous dirigent disent toujours qu’il faut produire plus parce qu’on va manquer. Mais il ne faut pas se raconter d’histoire, c’est leur business qu’ils défendent », ose un agriculteur bio affilié à la FNSEA. Arnaud Rousseau, incarne même, selon un ancien du ministère de l’Agriculture, « la quintessence de ce système » : le représentant d’une « élite qui gagne très bien sa vie et défend ses intérêts économiques avant tout ». En plus de s’occuper de son immense exploitation (700 hectares de grandes cultures), le patron de la FNSEA préside le groupe Avril – un géant de l’agroalimentaire qui réalise 9 milliards de d’euros de chiffre d’affaires, connu pour ses marques Lesieur ou Puget, mais qui œuvre aussi dans les agrocarburants et l’alimentation du bétail. C’est lui qui était chargé, pour le syndicat, des négociations sur la répartition des fonds européens de la PAC – dont les exploitants des grandes cultures sont les grands bénéficiaires. « En défendant un modèle fondé sur la concurrence mondiale, la FNSEA promeut des politiques qui dévorent ses propres troupes ! dénonce  Gilles Luneau. Elle pousse à l’agrandissement et à la concentration des exploitations aux mains de quelques-uns » Entre 1970 et 2020, la superficie moyenne des exploitations a augmenté de 50 hectares tandis que leur nombre était divisé par 4… » (L’Obs, 1er février 2024)

On peut noter également une grande disparité dans les revenus. « Selon l’Insee, les exploitants de grandes cultures (betteraves, blé…) touchent ainsi un revenu de 54 % supérieur à celui des éleveurs de viande bovine. Pour maintenir l’unité, il est alors tentant de serrer les rangs autour d’un ennemi commun : Bruxelles, les écologistes… Depuis les années 1990, la FNSEA tient un discours de la trahison : “On a accepté un immense effort de modernisation pour nourrir la population et maintenant on nous rejette“ » (L’Obs, 1er février 2024) D’où l’invention du discours sur « l’agribashing »…

Dans Le Télégramme (mercredi 31 janvier 2024), on trouve un article qui décrit l’homme d’affaires Arnaud Rousseau avec davantage de précision : « Diplômé d’une école de commerce, l’European Business School, de Pars, et militaire réserviste, Arnaud Rousseau commence sa carrière dans le courtage et le négoce de matières premières agricoles. Il rejoint, en 2002, l’exploitation céréale familiale de 700 hectares, à Trocy-en-Multien (Seine-et-Marne), pour la reprendre complètement en 2012. Il y cultive colza, tournesol, blé, betterave, maïs et légumes de plein champ.

Arnaud Rousseau est aussi maire (sans étiquette) de son village depuis 2014, comme son père et son arrière-grand-père avant lui, et vice-président de la communauté de communes du pays de l’Ourcq. Il est également vice-président de la Fédération française des producteurs d’oléagineux et protéagineux.

Arnaud Rousseau est aussi président d’Avril, l’un des plus grands groupes alimentaires français (neuf milliards de chiffre d’affaire en 2023) commercialisant, entre autres les marques Isio4, Lesieur et Puget. On le retrouve également administrateur de la holding du même nom, directeur général de Biogaz du Multien, spécialisé dans la méthanisation, administrateur de Saipol, leader français de la transformation  de graines en huile, et président du conseil d’administration de Sofiprotéol, qui finance des crédits aux agriculteurs ». Comme les journées n’ont que vingt-quatre heures, il est facile de supposer que Rousseau n’a pas le temps de mettre les pieds souvent dans sa ferme ; il doit « déléguer » à d’autres les 700 hectares…

Selon Le Canard enchaîné (31/01/2024) « Arnaud Rousseau, grâce à ses 700 hectares de céréales, a empoché en 2022 178 000 euros d’aide de la PAC, auxquels s’ajoutaient 440168 euros pour sa société de production d’énergie photovoltaïque . Ce gros céréalier oléo-protéagineux dirige, en prime, le géant des huiles Avril qui touche chaque année de Bruxelles peu ou prou 130 millions d’euros ».

Philippe Bizien est le roi des cochons

On retrouve une situation comparable avec Philippe Bizien, le propriétaire d’Avel Vor (Landunvez), « une figure du monde agricole breton : président du très influent Comité régional porcin (de 1992 à 2022), trésorier de l’Union des groupements de production de viande de Bretagne, président d’Evalor, principal constructeur breton d’unités de méthanisation, président du deuxième producteur français, Evel’Up (800 producteurs, 3,6 millions de porcs en 2021). » Un homme puissant puisqu’il est parvenu à obtenir une « triple autorisation préfectorale d’extension (2008, 2013 et 2016, malgré l’avis défavorable du commissaire-enquêteur cette année-là), autorisation provisoire, malgré une double annulation par la justice administrative de la décision de 2016 » (Le Télégramme, Bretagne, vendredi 13 janvier 2023). Une satisfaction pour Bizien : il est certain d’obtenir l’appui du Normand Pennelle qui condamne « l’indifférence du gouvernement » (sic),  alors que l’agriculture productiviste et les « cochoniers » bénéficient d’un indiscutable appui des gouvernements successifs (droite et gauche)!

Un autre cas devrait enthousiasmer  Pennelle : celui des élevages des frères Bernard et Dominique Kerdoncuff, situés à Dirinon et Irvillac (près de Brest) – 20 000 porcs, 22 salariés. Plusieurs enquêtes des services compétents ont montré des « mauvais traitements aux animaux, la présence de porcs malades ou blessés non isolés du groupe, des superficies ne respectant pas les règles en vigueur, une zone d’équarrissage trop proche des animaux vivants mais aussi un manque de luminosité  dans les bâtiments et plus grave le manque d’accès permanent à l’eau pour les bêtes » (Le Télégramme, Bretagne, samedi 3 février 2024). La direction départementale de la protection des populations (DDPP) a constaté 8934 infractions dans les deux exploitations. Les deux agriculteurs  qui sont adhérents de la coopérative Eureden (3,9 milliards d’euros à laquelle ils vendent leurs animaux, ont comparu devant le tribunal de Brest pour maltraitance sur animaux et non respect des normes sanitaires ; le jugement sera rendu le 1er mars.

Les murs des mairies de Plouha, Langoat, Plouisy et Ploufragan ont été recouverts de tags : « FNSEA mafia » (Le Télégramme, Bretagne, samedi 3 février 2024). Qu’est-ce que leurs auteurs voulaient dénoncer ? A qui s’adressaient-ils ? Pas forcément aux maires et aux adjoints de ces communes qui sont des agriculteurs… Les « peintres » visaient-ils des dossiers en cours : l’agrandissement d’un élevage de porcs à Langoat, la construction d’un méthaniseur à Plouha, l’installation d’une  ferme à saumons à Plouisy ?

Bernard Morvan

Crédit photo : DR
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10 réponses à “Le « modèle agricole breton » est en mauvaise santé”

  1. JP VARESE dit :

    La révolution agricole bretonne est la même que la révolution conciliaire, du nom du Concile Vatican II qui a ouvert l’Eglise sur le monde et favorisé l’oecuménisme, la même que la révolution pédagogique (lecture globale, mathématiques modernes, éducation sexuelle, suppression des notes, estrade des professeurs retirée,…).
    C’est curieux cette « convergence » des révolutions, dans les années 60. Et j’ajoute: destruction de la liturgie catholique et des statues (« destruction des haies »), effondrement des vocations (« effondrement des effectifs agricoles »), remplacement de la soutane (nouvelle tenue du technicien agricole). Plus tard, ce sera la révolution féministe (loi Neuwirth, loi Veil, le PACS (PAX) sur les unions homosexuelles, loi Taubira sur le mariage homosexuel, GPA?), voir l’admirable et documenté livre de Patrick Buisson « la Décadanse ».

  2. Leclerc dit :

    L U E telle qu elle fonctionne actuellement et le gouvernement français actuel font tout pour qu il y est la guerre, tous au vote du 9 juin 2024 pour que ça change .

  3. gautier dit :

    Arnaud Rousseau, la plus belle enflure de syndicat ! bientôt milliardaire, en plus tous les ans il touche prés de 200 000E DE SUBVENTION DE LA pac! les petits agriculteurs devraient tous las ans lui apporter directement une enveloppe, ce serait plus direct !

  4. alienor dit :

    cette photo est une honte ! qu’on consomme de la viance, soit, mais au moins ne faisons pas souffrir…..Gandhi : « On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux

  5. breizh dit :

    commençons par supprimer la PAC et toutes les subventions : on y verra alors plus clair et on fera des économies (au moins).

  6. Kan Al Louarn dit :

    j’ai peur que, après le salon de l’agriculture de Paris fin février, les agriculteurs, quoique soutenus par la majorité de l’opinion publique, soient les cocus des promesses faites par le gouvernement avec le concours et la bénédiction de la FNSEA. TOUT RESTE A FAIRE CONCRETEMENT EN PLUS DES BEAUX DISCOURS.

  7. Le Celte dit :

    Si vous regardez bien tous les leaders de la FNSEA dans le Finistère ont eut des problèmes financiers ils voulaient bouffer tout le monde mais ils se sont plantés.

  8. Renard josiane dit :

    Tous les débats que j’entends sont contre l’écologie le problème n’est pas là vous êtes un des seuls médiats a mettre en avant la fnsea les coopératives les chambres d’agriculture sans oublier le Crédit agricole je suis entièrement d’accord avec vous j’oubliais le ministre de l’agriculture choisi par le syndicat et tout ce système bien rodé s’entend pour plumer les adhérents et s’enrichir de façon éhontée quand on voit la détresse dans laquelle sont les paysans j’ai envie de dire réveillez vous libérez-vous de ces chaînes

  9. JP VARESE dit :

    Je renouvelle mes critiques. Qui en Bretagne, n’a pas connu ces beaux meubles « rustiques » dans les années 60? Que s’est-il passé? On les a jetés (sans les vendre, j’ai l’expérience de ma famille de Plounéventer) et remplacé par l’horrible formica qui était à la mode aux Etats-Unis. Rajoutez dessus le rock-and-roll tout aussi américain qui régnait des les boîtes de nuit. Et vous avez une génération de – disons pour ne vexer personne – d’électeurs de Macron. Heureusement une renaissance (non, terme macronien!), un réveil est possible. « Réveillez-vous de ces chaînes », comme dit l’autre ami.

  10. Le Celte dit :

    Je suis effaré de la méconnaissance des gens sur les pratiques de l’agriculture, de la FNSEA , de la GSM , des industriels et la connivence des services de l’état qui organise la spoliation de certains agriculteurs qui arrivent en retraite ils se font baiser par ce qu’ils ne connaissent pas le code rural.
    Vous n’avez pas idée de ce qui se passe.
    Si la rédaction du site veut des éléments il n’y a pas de problèmes.

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