Dans six mois (9 juin) se dérouleront les élections européennes. En Bretagne, on connaît déjà deux candidats : Séverine Figuls, conseillère municipale à Nantes, qui figurera sur la liste du Parti animaliste, et Jérémy Grandière, président de la Fédération des pêcheurs d’Ille-et-Vilaine, qui prendra place sur la liste d’Alliance rurale. Les élections européennes de 2014 avaient suscité davantage d’intérêt dans la région car, à l’époque, la France avait été découpée en grandes circonscriptions ; on devait cette invention à Jean-Pierre Raffarin lorsqu’il était Premier ministre – il s’agissait de « noyer » le Front national. De ce fait, en 2014, la circonscription « Ouest » comptait la Bretagne (4), les Pays de la Loire et le Poitou-Charentes. Formule que Emmanuel Macron, devenu président de la République, s’empressa de supprimer pour revenir à la circonscription unique (« La République forme une circonscription unique », loi du 25 juin 2018).
En 2014, cette grande région « Ouest » encouragea Christian Troadec, chef d’entreprise, maire de Carhaix, à présenter une liste (« Nous te ferons Europe ») ; dix-huit candidats qui présentaient tous la particularité d’être bretons et d’appartenir à nos cinq départements – on ignore carrément les autres. La liste obtient 80 808 voix (5,48 % des suffrages exprimés) en Bretagne (5). Si dans les Côtes-d’Armor, dans le Finistère et dans le Morbihan, Troadec se défend bien – respectivement 8,18 %, 11,54 %, 6,65 % -, il en va différemment en Haute-Bretagne : 2,73 % en Ille-et-Vilaine et 1,15 % en Loire-Atlantique. Dès qu’on s’éloigne de Carhaix, les résultats faiblissent et, que ce soit à Nantes ou à Rennes, on ne connaît pas Christian Troadec – c’est un inconnu.
C’est ce qu’explique Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop, dans un chapitre de son dernier ouvrage (« La France d’après – Tableau politique », Seuil, octobre 2023) consacré à Christian Troadec. « L’aspect très localisé de ce vote devient encore plus spectaculaire si l’on en dresse la carte, non plus au niveau départemental, mais à l’échelle communale. Surgit alors une vaste zone en Centre-Bretagne, à cheval sur les départements du Finistère, du Morbihan et des Côtes-d’Armor, dont l’épicentre se situe à Carhaix-Plouguer, petite ville du Poher, dont Christian Troadec est le maire depuis 2001. Telles des courbes de niveau, les voix en faveur de cette liste se structure par cercles concentriques. L’intensité du vote Troadec, qui a atteint son maximum à Carhaix-Plouguer (44,6 %) et dans les deux communes voisines du Moustoir (48,4 %) et du Treffin (47,5 %), diminue ensuite progressivement en fonction de la distance au foyer : 40,4 % à moins de 5 kilomètres, 30,8 % dans un rayon de 5 à 15 kilomètres, 17,6 % à 30 kilomètres, le score tombant sous la barre des 10% après 60 kilomètres. La structuration spatiale de ce vote constitue un parfait exemple de l’“effet de fief“ : l’influence électorale du notable rayonne avec une intensité décroissante depuis sa terre d’élection sur un territoire plus ou moins grand. »
L’action politique coûte cher
Jérôme Fourquet voit en Christian Troadec un « entrepreneur politique » et non pas un « notable traditionnel ». Mais les 3,05 % (83 173 voix) obtenus dans la circonscription « Ouest » ne procurent aucun élu (« Les sièges sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne », article 3 de la loi du 7 juillet 1977). Quant au remboursement des frais de campagne, il est obtenu de justesse : « Il est remboursé aux listes de candidats ayant obtenu au moins 3 % des suffrages exprimés le coût du papier, l’impression des bulletins de vote, affiches, circulaires ainsi que les frais d’affichage. » (Article 18 de la loi du 7 juillet 1977). Autant dire que toutes les autres dépenses – elles sont nombreuses dans une campagne électorale (carburant, hôtel, restaurant, réunions, tracts…) – restent à la charge de Troadec et de ses copains. Bien entendu, avant de se lancer dans cette aventure, Troadec a assuré ses arrières ; l’aide de quelques « sponsors » est toujours la bienvenue.
Avec la circonscription unique, il n’était pas question de renouveler l’opération en 2019. Pour 2024, on n’entend pas Troadec évoquer cette possibilité. Il est vrai qu’il a trouvé un point de chute important à la Région. Aux élections régionales de juin 2021, il change de méthode ; plus question de jouer au travailleur indépendant, il comprend qu’il est moins coûteux et plus efficace de négocier une place en position éligible sur la liste du président sortant Loïg Chesnais-Girard (PS). Il appartient donc au groupe « Autonomie et régionalisme », présidé par Paul Molac, un des quatre groupes de la majorité. Et surtout, crise sur le gâteau, il devient vice-président chargé des langues de Bretagne et des Bretons du monde – il succède à Léna Louarn.
L’histoire de Bretagne est sollicitée par Jérôme Fourquet pour expliquer le vote Troadec aux élections européennes de 2014. « Il est frappant de constater que la géographie du vote Troadec (et de la contestation surgie quelques mois auparavant) présente de grandes ressemblance avec la carte de l’insurrection des Bonnets rouges de 1675, qui concernait elle aussi le Centre-Bretagne (autour de Carhaix) et toute une partie de la Cornouaille et du pays bigouden ». Plus près de nous, ces communes furent des fiefs du Parti communiste ; on trouve encore des municipalités communistes et des maires communistes dans ce secteur, même si le vote Rassemblement national y est important aujourd’hui. Que les Côtes-d’Armor possèdent un sénateur communiste (Gérard Lahellec) ne relève pas du hasard.
Bernard Morvan
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4 réponses à “Christian Troadec renonce à devenir député européen”
Il devrait aussi renoncer à se présenter aux prochaines municipales …..
Je vais verser une larme, non je blague !
« Il est frappant de constater que la géographie du vote Troadec (…) présente de grandes ressemblances avec la carte de l’insurrection des Bonnets rouges de 1675, qui concernait elle aussi le Centre-Bretagne (autour de Carhaix) et toute une partie de la Cornouaille et du pays bigouden » dit Jérôme Fourquet.
Une lecture superficielle peut nous laisser admiratif devant une analyse fine doublée d’une bonne connaissance de la Bretagne.
Cependant la formulation « le Centre-Bretagne (autour de Carhaix) ET toute une partie de la Cornouaille ET du pays bigouden » pourrait faire croire que le Poher et le Pays Bigouden ne font pas partie de la Cornouaille. De plus, TOUTE une partie reste… une partie.
Encore une « analyse » prétentieuse sans réelle pertinence.
D’autant que la formule « Centre-Bretagne » n’est pas très claire.
Il faudrait plutôt parler de l’argoat où il y a une difficulté économique généralisée. Jusqu’au nord de la Loire-Atlantique.
C’est en fait tout le territoire longeant le Canal de Nantes à Brest (qui devrait être rebaptisé Canal de Bretagne mais bizarrement cette revendication est inexistante dans l’Emsav, qui privilégie pourtant souvent le cosmétique) qui souffre une fois sorti de la sphère nantaise et brestoise, a quelque exceptions près. Carhaix, et encore sans son festival (dont l’image s’est fortement dégradée d’ailleurs, il ne faudra pas longtemps avant que ça ne s’en ressente sur les chiffres), qu’est-ce que ça serait ? Ou Redon mais qui vit une mue qui pourrait être aussi bénéfique que mauvaise.
Et même en voulant parler du Ker-Breizh pour se limiter à la Bretagne bretonnante, ça reste aussi flou.
Carhaix semble en tout cas avoir mangé son pain blanc.
Tout lasse, Troadec comme les autres.
De là à jeter bébé avec l’eau du bain… Troadec a essayé. Il a réussi pour sa ville. Il a échoué pour la Bretagne. Il se sait en fin de course alors il se gave. Rien de plus classique. C’est plutôt aux électeurs qu’il faut en vouloir (ils sont à peu près partout pareil d’ailleurs).