La nouvelle législation récemment mise en place par le gouvernement italien de Giorgia Meloni pour contenir les flux migratoires prévoit un allongement de 12 à 18 mois de la détention des clandestins dans les CPR, les Centres de Permanence pour Rapatriements. Or, comme chacun sait, si le nombre des refoulements est déjà minime, leur application l’est encore moins. Ainsi, entre 2013 et 2021, sur les 230.000 ordres de rapatriement émis par Rome, seuls 44.000 ont été ensuite effectués, moins d’un cinquième du total.
Un documentaire réalisé par Spotlight, le programme d’enquête de la chaîne télévisée publique italienne Rainews24, a reconstruit le système de passation de marchés, de contrats de sous-traitance et les réseaux de relations de la plus importante société gérant des CPR : ORS group. Le tableau qui en émerge est sans appel, il décrit un vaste business où des multinationales se font de gros sous – d’argent public – sur la peau des clandestins, et où ces derniers sont parfois exploités pour travailler au noir le temps de leur permanence dans le centre.
Ces CPR ont subi un processus de privatisation. À partir de 2013-2014, ce ne sont plus seulement les coopératives rouges qui s’en mettent plein les poches, mais aussi des multinationales, comme celles qui gèrent les services aux prisons. Actuellement ORS Group, gère une centaine de structures d’accueil et de rapatriements dans plusieurs pays : Suisse, Allemagne, Autriche, Espagne et Italie. Chiffre d’affaires annuel : plus de 180 millions d’euros. Le site, propret et affichant de souriants migrants en compagnie d’un personnel tout aussi charmant, vante « Les meilleurs services d’encadrement en matière d’asile pour les mandants publics« . La réalité est pourtant tout autre, comme l’ont démontré les télé-caméras italiennes qui ont pu pour la première fois filmer à l’intérieur de deux CPR (Ponte Galeria à Rome et Macomer en Sardaigne) : à l’intérieur, barreaux, dégradations, privations des plus élémentaires besoins et sédatifs.
Et c’est dès son entrée dans le juteux marché italien de la gestion des migrants que les premières anomalies affleurent. Le dossier qu’ORS présente en réponse à un appel d’offres pour la gestion d’un centre de réfugiés à Trieste ne tient pas debout, les montants proposés sont dérisoires et ne couvriraient même pas le coût des repas. ORS remporte tout de même le marché. Des associations saisissent le tribunal administratif local qui révoque l’attribution, mais pour un autre motif : ORS est une société inactive en Italie à cette date (2019) et à ce titre elle ne peut se présenter à un appel d’offres public italien.
La même année, alors qu’elle ne remplit toujours pas les conditions pour se présenter, telle l’obligation de présenter une certificat anti-mafia, elle concoure tout de même en Sardaigne pour la gestion du centre de rapatriements Macomer. ORS perd, mais fait recours auprès de la préfecture qui annule l’adjudication à une autre société et la lui confie ! Sur la même île, À Monastir, ORS gère un CPR temporaire depuis 2020. Contrat renouvelé tous les ans… sans appel d’offres, donc sans ouverture à la concurrence, car le régime d’urgence migratoire est encore en vigueur. Le 20 septembre, la police d’État démantelait une association de malfaiteurs – des Pakistanais résidents à Cagliari et munis de permis de séjour réguliers – qui exploitaient les détenus du centre : à l’aube, une fourgonnette venait chercher les clandestins pour les faire travailler au noir dans les champs agricoles environnants.
Si les profils des détenus interrogés sont à peu de choses près tous les mêmes : des hommes passé la trentaine qui « rêvaient d’étudier Médecine pour aider leurs proches », d’autres visiblement encore plus âgés désireux de « revoir leur mère une dernière fois en France », les souffrances, elles, sont bien réelles… et endormies à coups de sédatifs. Surtout après la dévastation d’un de ces centres à Turin par des migrants contestant leurs conditions de rétention, et la tentative de détruire par les flammes celui de Macomer il y a trois semaines, pour les mêmes raisons.
L’enquête de Spotlight révèle aussi qu’ORS, malgré les questions parlementaires dont elle a fait l’objet, est la seule entité surfant sur le phénomène migratoire ayant engagé une société de lobbying pour représenter ses intérêts au parlement italien, la Telos Analisi e Strategie. « L’activité de lobbying pour une multinationale telle qu’ORS doit consister dans le fait de demander au parlement plus de personnes à enfermer, plus de centres de permanence pour les rapatriements.«
Le 18 septembre dernier, le gouvernement a annoncé la construction de nouveaux CPR dans toute la péninsule et dans les plus brefs délais… pour la modique somme de 42, 5 milliards d’euros sur trois ans (en plus des 56 millions fournis par les préfectures rien que sur la période 2021-2023). Un marché rapportant gros s’élargit et met encore une fois en évidence la kyrielle de secteurs qui tirent profit d’une « crise migratoire », décidément bien lucrative.
Audrey D’Aguanno
Crédit photos : Capture d’écran Spotlight
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Une réponse à “Crise migratoire : la multinationale qui se gave avec la gestion des centres de rapatriements”
les crétins qui payent pour se faire suicider n’ont qu’à voter contre ces agissements