Après deux livres chocs sur la question du nucléaire, Fabien Bouglé est de retour, avec un livre intitulé Guerre de l’énergie (Editions du Rocher), dans lequel il raconte comment l’énergie est devenue un outil politique et une arme de guerre économique. Face aux empires russe et américain, il insiste sur la nécessité de mettre en place un grand plan nucléaire européen.
Nous l’avons interrogé pour parler de son ouvrage, important à lire.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire sur la Troisième Guerre mondiale centrée sur l’énergie ?
Fabien Bouglé : Après avoir écrit mes précédents livres et en particulier Nucléaires les vérités cachées j’avais identifié que la question du choix des modes de production d’énergie des pays : éoliennes, panneaux solaire, nucléaires, charbon, gaz avait une incroyable résonnance géopolitique. Dans mon livre sur le nucléaire j’avais abordé cette question dans mon chapitre 10 intitulé « La guerre de l’Allemagne contre le nucléaire français ». Se faisant je lançais à la France et à son gouvernement un avertissement inédit qui remettait fortement en cause ce fameux couple Franco-Allemand symbolisé par cette image forte de cette « main dans la main » du chancelier Helmut Kohl et du Président François Mitterrand.
En Allemagne mon message a immédiatement été souligné par les observateurs allemands. Une semaine après la sortie de mon livre et les annonces de Macron de la relance du nucléaire en France la correspondante du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung devait relever mon alerte concernant la guerre entre l’Allemagne et la France sur le sujet du nucléaire dans un article intitulé « La renaissance du nucléaire sous Macron ». En France il a fallu presque 2 ans avant que Le Monde n’annonce le 5 mars 2023: « A Bruxelles, la guerre du nucléaire entre l’Allemagne et la France fait rage ».
Au travers mes recherches sur l’énergie j’ai donc continué à enquêter autour de cette question cruciale du conflit Franco-Allemand. Mais j’ai alors réalisé que ce conflit se positionnait en réalité dans une guerre mondiale de l’énergie qui ne disait pas son nom et qui opposait cette fois les grands empires russe et américain et dont le conflit intra-européen était le révélateur. La guerre en Ukraine, la crise du gaz, l’inflation énergétique, la centrale nucléaire de Zaporijjia, les sabotages de Nord Stream, tous les évènements qui se déroulaient sous nos yeux avaient une cohérence parfaite si l’on considérait qu’ils se déroulaient dans le cadre d’un conflit mondial de l’énergie qui était en fait la troisième guerre mondiale. Celle-ci a éclaté au grand jour avec les sabotages le 26 septembre 2022 des gazoducs Nord Stream 1 et 2 qui reliaient la Russie à l’Allemagne
Breizh-info.com :Pouvez-vous nous en dire plus sur les événements du 26 septembre 2022 concernant le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 ?
Fabien Bouglé : La mise hors service des gazoducs Nord Stream 1 et 2 a une valeur symbolique particulièrement puissante. C’est un véritable tsunami géopolitique. Leur mise en place répondait au souhait commun de la Russie et de l’Allemagne de disposer d’une route directe de distribution du gaz venant de Russie afin de s’affranchir de la route historique traditionnelle du gaz vers l’Europe qui passait par l’Ukraine. En effet historiquement le gaz Russe était en particulier livré vers l’Union Européenne par deux gazoducs Soyouz et Bratstvo qui traversait ce pays. Les tensions entre la Russie et l’Ukraine entamées à partir de la révolution orange de 2004 (pilotée par des structures américaines) ont conduit la Russie à chercher des alternatives pour la distribution de son gaz.
C’est alors qu’intervient le pacte Poutine/Schröder. En effet, l’Allemagne qui a fortement investi dans les éoliennes intermittentes a – lorsque le vent ne souffle pas – un besoin considérable en énergie fossile et en particulier en gaz pour échapper à sa dépendance au charbon. C’est alors que la Russie et l’Allemagne décident la construction de deux gazoducs parallèles d’abord Nord Stream 1 mis en service en 2011 puis Nord Stream 2 opérationnel en 2021. Ces deux pipelines peuvent distribuer 25% de la consommation en gaz de l’Europe et conduit de fait à un puissant levier géopolitique pour Vladimir Poutine qui via l’Allemagne s’assure une forte main mise sur l’Europe occidentale.
Les Etats Unis n’acceptent pas cette vassalisation et s’alertent de l’utilisation par Vladimir Poutine de ce levier politique sur l’Union Européenne. Le 7 février 2022 quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Président américain Joe Biden devait lors d’une conférence de presse en présence du chancelier allemand Olaf Scholz tenir les propos suivants : « Si la Russie envahit l’Ukraine, il n’y aura plus de Nord Stream 2 » A une journaliste qui demandait comment il comptait faire il répondit : « je vous promet que nous sommes en mesure de le faire ».
Le 26 septembre 2022 les deux gazoducs étaient rendus inutilisables et l’Union Européenne n’avait plus qu’à acheter les surplus de gaz de schiste américain pour pouvoir répondre à la demande des entreprises et des habitants. Le cordon ombilical entre l’Union Européenne et la Russie était coupé, l’Amérique pouvait procéder à son débarquement des temps modernes avec des méthaniers remplis de « gaz de la liberté » comme le qualifie les hauts dignitaires américains.
Breizh-info.com : Comment voyez-vous le rôle de Vladimir Poutine dans cette guerre énergétique, en particulier en utilisant le gaz comme outil politique ?
Fabien Bouglé : Chose peu connue Vladimir Poutine est titulaire d’une thèse d’économie de l’Institut des Mines de Saint Pétersbourg qu’il a soutenue en 1997 sur le thème de l’exploitation des ressources minières de la région de Saint Pétersbourg. En 1999, quelques mois avant sa nomination en tant que Président de la Russie, il publie un article de 6 pages dans la Revue de l’Institut des Mines où il explique comment l’économie russe doit être relancée par l’exploitation structurée des ressources minérales de la Russie.
C’est un article essentiel que j’ai abondamment cité et qui explique parfaitement sa feuille de route politique en la matière. Cette politique a été un important succès la Russie étant devenue un des plus importants exportateurs en matières premières dans le monde lui donnant un avantage pour sa souveraineté énergétique mais aussi pour son poids économique et donc politique dans la distribution du pétrole ou du gaz dont l’usage est devenu incontournable dans le monde.
Breizh-info.com :Quels sont les principaux défis auxquels l’Europe est confrontée en raison de cette guerre énergétique ?
Fabien Bouglé : Les Etats-Unis ayant obtenu leur indépendance énergétique en 2016 avec l’exploitation du gaz de schiste se trouve en concurrence directe avec la Russie également indépendante énergétiquement. L’Europe avec une dépendance énergétique de 55% doit impérativement importer cette même quantité de ressource énergétique pour pouvoir faire fonctionner son économie. Résultat : l’Union Européenne est dans une situation de dépendance avec ses fournisseurs en combustibles énergétiques et en particulier la Russie et les Etats-Unis.
A ce jour ce sont les USA qui ont repris la main sur l’Union Européenne vassalisée. D’ailleurs, les dirigeants américains n’hésitent pas à utiliser des métaphores guerrières à ce sujet. Rick Perry, secrétaire d’état à l’énergie devait préciser en 2019, après avoir signé un contrat de fourniture de GNL Gaz Naturel Liquéfiée américain, avec la commission européenne que 75 ans après avoir libéré l’Europe de l’occupation par l’Allemagne nazie : « les Etats-Unis offraient à nouveau une forme de liberté au continent européen (…) et plutôt que sous la forme de jeunes soldats américains c’était sous la forme de gaz naturel liquéfié ». Toute l’Europe se trouve donc être le champ de bataille de cette guerre mondiale énergétique avec sa dimension militaire exprimée en Ukraine.
Breizh-info.com :Comment la propagande anti-nucléaire et les ONG ont-elles influencé la perception publique de cette guerre énergétique ?
Fabien Bouglé : Les actions de terrorisme économique des « mercenaires énergétiques » qui se déguisent en ONG écologistes ne datent d’aujourd’hui. Cela fait des années qu’elles agissent pour faciliter le modèle allemand d’Energiwende et mon livre lève un voile sur les multiples actions de ces prétendus écologistes qui agissent contre le nucléaire français véritable cible d’une guerre informationnelle. J’ai pu montrer que les principales organisations antinucléaires ont été financées par les magnats du pétrole américains qui voient d’un très mauvais œil l’arrivée de la solution bon marché du nucléaire.
Dès les années 70 les magnats du pétrole financent et mettent le pied à l’étrier aux organisations antinucléaires françaises et allemandes qui se créent à l’époque. Aujourd’hui ces officines sont très agressives et servent à la fois le modèle allemand des éoliennes et le gaz américain. Moins de nucléaire et plus d’éoliennes c’est à la fois plus de dépendance au gaz américain mais aussi une place plus grande laissée à la filière nucléaire américaine que le gouvernement entend développer pour concurrence la filière russe. Étonnamment toutes ces organisations antinucléaires se focalisent sur la filière nucléaire française et n’expriment aucun intérêt pour la filière nucléaire américaine.
Breizh-info.com :Comment les nations peuvent-elles assurer leur souveraineté et leur indépendance politique face à ces défis énergétiques ?
Fabien Bouglé : La question de la souveraineté énergétique des nations va être une question cruciale dans les décennies et les siècles à venir. Les pays qui disposent de ressources énergétiques ou de moyens de production disposeront d’un atout essentiel pour leur économie mais aussi pour leur indépendance politique. Les pays qui en seront démunis ou qui seront très soumis au fournisseur énergétique seront particulièrement soumis et perdront leur souveraineté énergétique et donc politique. Plus que jamais dans l’histoire de l’humanité la question de l’énergie va devenir déterminante. L’énergie est devenue le sang de nos sociétés un bien essentiel sans lequel un pays ne peut rien faire. Contrôler la distribution d’énergie peut faire plus de dégâts à un pays que de larguer des bombes. Nous sommes entrés de plein pied dans l’ « âge énergétique ». Les nations vont devoir partout dans le monde faire de ce sujet une priorité absolue.
Breizh-info.com :Comment voyez-vous l’avenir de l’énergie, en particulier avec les tensions croissantes entre les empires russe et américain ?
Fabien Bouglé : La maitrise de l’Europe est au cœur de ce conflit planétaire. Les USA et la Russie se battent pour contrôler l’Union Européenne par l’énergie. La seule solution est d’accentuer notre indépendance énergétique par un grand plan nucléaire européen PNE qui permettra à l’UE de se détacher progressivement de sa dépendance énergétique. Le nucléaire avec la traité Euratom signé en 1957 à Rome a été le socle fondateur de l’UE pour répondre au problème d’approvisionnement en pétrole lié à la crise du canal de Suez en 1956. De la même manière nous devons passer progressivement de 55% de dépendance énergétique a 30% et la seule solution c’est le nucléaire et en particulier le nucléaire de nouvelle génération avec l’utilisation de Plutonium que nous avons en réserve sur le territoire français pour des milliers d’années. Ce n’est pas en plantant des éoliennes qu’on y arrivera. Vous pouvez multiplier la puissance installée d’éoliennes par 50 quand il n’y a pas de vent la production reste à 0 malgré leur multiplication.
Seul le nucléaire est à même de libérer l’Europe de ses chaines énergétiques.
Propos recueillis par YV
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7 réponses à “Fabien Bouglé : « La question de la souveraineté énergétique des nations va être une question cruciale dans les décennies et les siècles à venir » [Interview]”
L’autonomie au niveau le plus proche, ou le moins lointain, est la seule manière de réguler la consommation des communautés humaines en fonction des ressources disponibles. C’est ce que fait l’humanité depuis des centaines de millions d’années, et qu’elle ne fait plus depuis l’usage immodéré du pétrole. L’autonomie au niveau le plus proche est également la seule voie vers plus de démocratie réelle. Pour singer les slogans écolo, on peut dire plutôt autonomie qu’automobile. Pour repeupler nos territoires désertifiés par le centralisme, remettre en place, partout, en les subventionnant et en subventionnant leurs clients, des « alimentations » et détruire les verrues hideuses de la grande distribution.
Quels territoires ?
Je me permets d’ajouter à cette analyse d’un spécialiste deux remarques :
– en considérant l’histoire de l’humanité, on constate qu’elle doit sa progression avant tout à la maîtrise de l’énergie et à la recherche dans ce domaine de l’efficacité maximale
– on ne dira jamais assez combien a été néfaste l’influence accordée à de stupides ayatollahs de l’écologie totalement incompétents (genre N. Hulot) et à des hommes politiques (de gauche pour la plupart, est il besoin de préciser) uniquement soucieux de se faire une clientèle électorale dans la situation à laquelle nous sommes confrontés en matière d’indépendance énergétique. Mais même Macron y a sa part, ce qu’il réussit à faire quasiment oublier !
La plupart des gens continuent à croires que les Américains sont nos amis, à la suite de leur aide pendant les deux guerres mondiales, mais en cherchant un peu on se rend compte qu’ils ne l’ont pas fait d’une manière désintéressée. S’il n’y avait pas eu Charles De Gaulle à la fin de la deuxième, notre monnaie officielle aurait été le Dollar, il avaient prévu des caisses de billets lors du débarquement. Au final cela n’a pas tout résolu car la monnaie qui nous dirige est…le Dollar. Les Américains n’ont jamais été nos amis ou d’autres et ne le seront jamais. America First
Empiler des mensonges et des absurdités ne sauvera pas le nucléaire.
Des mensonges preuves à l’appui se nomment vérités.
Et les vérités dérangent les esprits figés dans le conformisme médiatique, figés dans la soumission au diktat politique.
Bon livre bon article en attendant autre chose la fusion, Nous sommes encore à l’ère préhistorique des énergies en faisant de la vapeur pour faire tourner des turbines un alternateur et enfin de l’électricité. En attendant le nucléaire palie au futures énergies par la fusion comme ITER. Seulement voilà les lobbies qui contrôlent les recherches de la fusion en limitant les investissements via les gouvernements, ne veulent pas voir tout de suite cette fusion à l’énergie perpétuelle. Ils perdraient des milliers de milliards de leurs investissements, une révolution économique et financière que le monde n’aime pas. Car c’est cela, sans avoir eu le temp des amortissements d’un siècle dans les énergies fossiles. D’où la guerre des énergies, mais le réchauffement nous obligera à investir et arriver sur la fusion, cela deviendra la seule solution d’avenir obligatoire. Comme l’a été le réacteur qui a remplacé les moteurs à hélices. On a complètement occulté le démantèlement du nucléaire, la gestion des déchets avec les frais de maintenance et le risque qui se paye en 3 sécurités. Alors maintenant on augmente le prix de l’électricité qui va continuer à grimper. Nous aurions dû depuis longtemps utiliser le thorium dans nos usines nucléaires il y a beaucoup moins de frais et moins de danger. Nous n’aurions pas eu Tchernobyl ni Fukushima. Nous sommes donc en 3ème guerre mondiale des énergies et des dettes il ne faut pas l’oublier.