Alors que le conflit en Ukraine a ramené de manière brutale le « phénomène guerre » en Europe, selon des modalités qui n’avaient plus été vues depuis 1945, il replace aux côtés des dimensions stratégiques et géopolitiques la bataille dans toute sa complexité et sa diversité. Il reste cependant difficile d’y voir clair entre les armements, les mouvements de troupes, les divers théâtres d’opérations, l’évolution des doctrines etc. Aussi, il peut être malaisé de comprendre pourquoi le succès d’un jour peut être l’échec du lendemain.
Dans ce contexte, le livre La Guerre au XXIe siècle, dirigé par Thibault Fouillet et paru aux éditions du rocher, propose de revenir à l’étude de la tactique, la science du combat, qui explique les dynamiques de la bataille et les problématiques des opérations modernes.
Mobilisant pour la première fois dans le même ouvrage des auteurs parmi les plus grands experts français de la pensée tactique contemporaine, ce livre offre un éclairage théorique sur les évolutions de la bataille et les problématiques contemporaines de la tactique, pour caractériser son anatomie contemporaine, et exploiter les leçons des engagements des vingt dernières années. Il permet ainsi de combler en partie un vide dans la littérature stratégique focalisée avant tout sur le spectre haut de la conflictualité (géopolitique, stratégie), tout en offrant des clés de compréhension pour l’étude des conflits actuels et futurs.
Mieux comprendre la bataille d’aujourd’hui, c’est anticiper celle de demain, et par ce biais appréhender la guerre au XXIe siècle.
Pour en parler, nous avons interrogé Thibault Fouillet.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Thibault Fouillet : Ancien Officier d’Artillerie entre 2016 et 2018, je me suis ensuite orienté vers la recherche lors d’un doctorat sur la « Grande stratégie des petites puissances » à l’université du Luxembourg.
Désormais Directeur Scientifique de l’Institut d’Etudes de Stratégie et de Défense (IESD) à Lyon 3 et chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), mes principaux axes de recherche sont les doctrines aéroterrestres futures, le wargaming et la géopolitique des petites puissances.
Breizh-info.com : Pouvez-vous expliquer la motivation derrière la rédaction de ce livre, surtout à la lumière du conflit en Ukraine qui ressemble à un nouveau type de guerre ?
Thibault Fouillet : Le combat revient au-devant de la scène avec la guerre en Ukraine, mais celle-ci ne fait que concrétiser et prolonger les lignes structurantes de la tactique, ses déterminants (rapport entre mobilité, protection et puissance de feu, importance de la masse, rôle centrale de la logistique) et ses dynamiques (dronisation, retour des manœuvres d’intoxication et de déception). L’Ukraine, plus qu’un nouveau type de guerre, est donc davantage le théâtre d’une synthèse des enseignements au long terme des modes d’expression du combat, et de leur adaptation aux variables contemporaines, notamment technologiques. Cette évolution de la tactique se constate notamment par l’intégration croissante des moyens et l’avancée vers une logique dite « multidomaine », en Ukraine et au-delà.
Par ailleurs, la guerre en Ukraine profite d’une attention particulière, mais plusieurs conflits l’ont précédée au XXIème dans la mise en valeur de ces évolutions tactiques, de la guerre russo-géorgienne de 2008 aux interventions turques en Syrie, en passant par le conflit du Haut-Karabagh en 2020.
Breizh-info.com : Pourquoi est-il important de comprendre les dynamiques tactiques de la guerre, en plus des aspects stratégiques et géopolitiques ?
Thibault Fouillet : Comme le disait Paul Valéry, « si la stratégie ignore la tactique, alors la tactique ruine la stratégie ». Plus concrètement, la guerre s’analyse selon une structure pyramidale : le politique décide de la guerre, le stratège conduit les opérations dans la guerre et le tacticien combat dans les batailles, ce qui induit une interaction constante entre victoire tactique, succès stratégique et réussite politique.
De plus, certains éléments mis en avant dans l’ouvrage tendent à démontrer le nivellement et l’égalisation de la puissance militaire par la tactique, avec la dissémination de moyens avancés de combat, tels que les drones.
La compréhension des déterminants et dynamiques tactiques offrent donc une réflexion plus approfondie de la guerre, qui complète son appréhension stratégique et plus largement politique.
Breizh-info.com : Quels sont les principaux défis de l’étude des conflits modernes, en comparaison avec les conflits passés ?
Thibault Fouillet : À l’instar de nombreux autres champs de la recherche, le défi majeur est de faire la part des choses entre le principal et l’accessoire, particulièrement face aux flux tendus d’informations en provenance des zones de conflit. Il faut ainsi se garder de conclure hâtivement, et analyser dans le temps long en suivant l’évolution des opérations militaires et leur temporalité.
Par ailleurs, il faut se prémunir du biais technologique, préexistant dans les conflits passés, mais désormais exacerbé, avec l’idée fausse de game-changer. Il est bon de rappeler que la technologie n’est qu’un moyen, qui s’intègre dans un schéma d’armée avec des hommes et doctrines, et qu’elle ne produit pas en soi d’efficacité militaire. En outre, l’intégration des moyens ne complexifie pas nécessairement l’étude des conflits contemporains, mais étend le champ d’analyse, notamment à de nouveaux milieux comme l’espace extra-atmosphérique ou le cyber.
Breizh-info.com : Le livre réunit différents experts. Comment les avez-vous choisis ? Comment ces diverses perspectives contribuent-elles à une meilleure compréhension des conflits actuels ?
Thibault Fouillet : Ce choix est assez naturel, et ces différents auteurs, par leurs connaissances agrégées, permettent une étude d’ensemble de la tactique, dans sa vision la plus large d’organisation des opérations de combat, il s’agissait d’ailleurs d’une ambition de ce travail : réunir les plus grands penseurs français de la tactique de ces dernières années (et prolonger leurs réflexions qui avaient eu lieu lors d’un colloque sur le même thème à la BNF en octobre 2022 : genèse de ce projet). L’ouvrage répond ainsi aux principales questions que sont la définition de l’engagement, la conduite des opérations et une réflexion sur les retours d’expériences de conflits récents et contemporains, soit le quoi, comment et qui ?
Ce livre allie ainsi perspectives théoriques et études pratiques, et revient sur les fondamentaux de la tactique, son interaction avec les autres niveaux de la guerre, son évolution historique et ses dynamiques contemporaines.
Breizh-info.com : Votre ouvrage vise à combler un vide dans la littérature stratégique. Pouvez-vous en dire plus sur ce que vous estimez être les lacunes actuelles ?
Thibault Fouillet : Plus que combler les lacunes, cet ouvrage cherche avant tout à relancer le débat sur la tactique en France. On le constate, l’engagement se complexifie, dans ses milieux traditionnels et de nouvelles dimensions, ce qui nécessite de continuer à s’interroger sur la tactique et l’adaptation de nos schémas d’armées. Il s’agit donc, en complément des études stratégiques, de réinvestir les études tactiques pour offrir des réflexions et solutions conceptuelles et techniques aux conditions et contraintes d’engagement à venir.
Breizh-info.com : Comment ce livre peut-il aider les décideurs politiques et les stratèges à mieux comprendre et anticiper les futurs conflits ?
Thibault Fouillet : Appréhender la grammaire tactique, ses déterminants, dynamiques et défis, c’est mieux entendre les opérations et mieux comprendre la guerre. Certaines problématiques remises au centre des considérations tel le blocage tactique et le retour à une logique d’attrition questionnent nos schémas d’armées et plus largement la mobilisation de la nation, avec une préparation d’un ensemble de domaines de l’État : forces morales, résilience et adaptation de l’économie ou aide militaire international.
Plus qu’une épistémologie, cet ouvrage livre donc des clés de lecture et de compréhension de la guerre, qui vont de pair avec les enseignements stratégiques ou sur l’opératif.
Breizh-info.com : Que pouvez-vous dire sur l’impact potentiel de la technologie sur la tactique militaire au 21ème siècle ?
Thibault Fouillet : Bien que la technologie ne soit pas en soi productrice d’effets militaires, elle a une incidence évidente sur la tactique militaire. L’évolution technologique et l’innovation sont à penser en continu, au travers du triangle tactique feu-mobilité-protection mais également de la numérisation des armées et l’intégration des moyens, ainsi que les réflexions sur la masse et les logiques d’attrition qui gouvernent le modèle d’armée. Toutefois cet ouvrage rappelle la nécessité d’articuler progrès technologiques autours d’adaptations doctrinales, organiques et des cadres de formations.
In fine, la technologisation complexifie et transforme les schémas d’engagements historiques, mais elle se traduit par la même dialectique qui consiste à compenser ou égaliser la supériorité technologique d’autrui.
Breizh-info.com : Avez-vous d’autres livres sur le sujet à conseiller à nos lecteurs ?
Thibault Fouillet : Au regard de la tactique, il existe plusieurs ouvrages et sources de référence en France, notamment Tactique théorique du Général Michel Yakovleff et Perspectives tactiques du Général Guy Hubin, tous deux contributeurs du présent livres, ainsi que les ressources des centres de doctrines des armées, le CICDE ou le CDEC, notamment le Précis de tactique générale et la Revue de tactique générale. À ces ressources, on peut également rajouter la lecture d’ouvrages plus spécialisés comme Techno-guérilla et guerre hybride de Joseph Henrotin ou le futur ouvrage d’Amaury Dufay sur le combat spatial. Enfin, sur la guerre en général et son évolution le suivi des publications des principaux centres de recherche IESD, FRS ou IFRI, ainsi que les publications de revues spécialisées, comme DSI et DefTech, permettent d’appréhender les mutations et transformations des schémas d’engagements contemporains.
Propos recueillis par YV
Crédit photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
3 réponses à “La guerre au XXIe siècle. Entretien avec Thibault Fouillet”
Vivement que cela change, quand on regarde l’Ukraine, les hommes valides partent dans des pays voisins, les femmes restent et Zelensky enrôle de force des femmes pour allez au hachoir !!! quoi que ! les arabes font pareil ! et les hommes viennent envahir la France !! drôle de 21e siècle !!
La Russie affiche 9 principes de guerre dont au moins la moitié ne jouent aucun rôle dans les combats actuels, à se demander si nous assistons réellement à une guerre:
1 – Avance et consolidation: les Russes n’avancent nulle part, ils consolident leurs retraits
2 – Offensive: non seulement il n’y en a aucune en cours, mais il n’y en a aucune en préparation.
3 – Concentration: il n’y en nulle part, mais de l’autre côté, c’est la même chose, en fait, le principe de concentration est en perdition, avec les armes actuelles, il est impossible de regrouper ne serait-ce qu’une cinquantaine de blindés quelque part.
4 – Manœuvre et initiative: où ça des manœuvres? la seule initiative en cours, c’est la défensive, pourquoi?
5 – Surprise et Duperie: surprise, aucune côté russe, duperie, peut-être, dans la propagande sur les armes nouvelles tant vantées, ou sur les pertes ukrainiennes phénoménales, total, en fait d’armes de pointes, on se retrouve avec des dents de dragon: ma mairie fait la même chose pour empêcher les Gitans de s’installer.
6 – Réserves appropriées: on ne voit pas où elles sont, en principe, les réserves servent à attaquer ou à contre-attaquer, on n’a pas encore vu le phénomène côté russe.
Le seul principe de la doctrine russe qui semble respecté, c’est l’annihilation, pour autant qu’on puisse se fier aux bulletins du Mindef russe. Le principe de la combinaison des armes fonctionne aussi, mais à dose homéopathique, une paire d’hélicoptères qui va combiner ses feux avec celui d’un seul canon quelque part dans les fourrés. Et bien sûr, le principe d’économie des forces, incontournable, mais c’est aussi un fourre tout pas tellement discriminant.
Exemple tactique chez les Russes, ils viennent de créer des brigades de reconnaissance et d’assaut.
https://iz.ru/1578825/roman-kretcul-aleksei-ramm/sistemnyi-vzlom-v-vs-rossii-poiavitsia-novyi-tip-brigad
Malgré les difficultés de la traduction automatique, l’article est beaucoup plus clair que le verbiage du livre, voici les principaux passages:
Dans l’armée soviétique, héritée des forces armées de la Fédération de Russie, il n’y avait pratiquement pas de formations d’assaut spécialisées. La doctrine de l’époque supposait que les forces motorisées de fusiliers et de chars pénétreraient dans les défenses de l’ennemi sur un large front. Au cours des conflits locaux des dernières décennies, les troupes russes ont été régulièrement confrontées à la nécessité de prendre d’assaut les positions fortifiées de l’ennemi. À cette époque, les formations considérées comme les mieux préparées étaient souvent impliquées à ces fins: marines, unités aéroportées, forces spéciales. Cependant, il s’agissait de l’utilisation de troupes à d’autres fins, d’autant plus qu’elles ne disposaient pas d’équipement lourd et d’armes pour pénétrer dans des fortifications sérieuses.
« L’opération militaire a montré la nécessité d’avoir des unités spécialisées pour prendre d’assaut les zones fortifiées », a déclaré à Izvestia le colonel Valery Yuryev, président de l’Union des parachutistes russes. – Au stade initial, il y avait beaucoup de problèmes dus au fait que les éclaireurs n’étaient pas utilisés aux fins prévues, mais comme vecteurs d’attaque. Pour cette raison, de nombreux spécialistes hautement qualifiés ont été perdus. Des unités et des formations d’assaut distinctes sont nécessaires. Leur spécificité est qu’ils doivent être équipés d’une variété d’armes à feu – mortiers, mitrailleuses, artillerie de gros calibre.
En fait, les éclaireurs effectuent aujourd’hui les tâches des unités d’assaut, a déclaré l’expert militaire Viktor Murakhovsky à Izvestia.
« En règle générale, les personnes motivées et axées sur les résultats vont au renseignement », a-t-il déclaré. – Mais les états-majors des unités de renseignement modernes ne vous permettent pas de transformer le succès d’un éclaireur en assaut. Les unités de reconnaissance et d’assaut sont conçues pour utiliser instantanément les résultats de la reconnaissance dans les opérations d’assaut. Les troupes ont déjà une telle expérience, mais ces unités sont créées en dehors des unités régulières. Maintenant, il y a de l’expérience, et elle doit être diffusée.
La structure organisationnelle et état-major des brigades de reconnaissance et d’assaut n’est pas divulguée. Mais on sait qu’ils comprendront des détachements d’assaut conçus pour pénétrer dans les défenses en couches de l’ennemi, ainsi que des unités de reconnaissance capables de mener des reconnaissances à la profondeur tactique. Les brigades recevront leurs chars, véhicules blindés légers, artillerie, ainsi qu’une large gamme de drones. Le personnel des escadrons d’assaut sera formé pour combattre dans des espaces confinés – tranchées, bâtiments, bunkers et bunkers – et dans leurs compétences, ils ne seront pas inférieurs aux soldats des forces spéciales.
Les brigades feront partie des armées interarmes, ainsi que des corps d’armée nouvellement formés. Selon les experts, le NWO a montré le besoin de formations spécialisées pour les opérations d’assaut.