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Kevin Veyssière (Planète rugby) : « Le rugby n’est plus ce sport si traditionnel, authentique, attaché à ses racines du fait de sa professionnalisation et de sa marchandisation » [Interview]

Le coup d’envoi de la Coupe du monde de rugby 2023, c’est vendredi soir avec un alléchant France – All Blacks. Et en marge de cette Coupe du monde de rugby est sorti un livre très intéressant signé Kevin Veyssière (édité par Max Milo) et intitulé « Planète rugby : 50 questions géopolitiques »).

Un ouvrage pour comprendre la manière dont des événements d’ordre politique ont impacté le monde du rugby au cours de l’histoire, grâce à des anecdotes sur son implantation en Nouvelle-Zélande, son développement dans le Sud-Ouest de la France, l’organisation tardive de la première Coupe du monde en 1987, ou encore l’intégration de l’Irlande du Nord à l’équipe irlandaise.

Nous avons interviewé Kevin Veyssière pour l’évoquer.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ? Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire ce livre ?

Kévin Veyssière : J’ai 31 ans et il y a de cela trois ans j’ai crée un média à travers les réseaux sociaux, nommé FC Geopolitics. L’idée est de vulgariser les enjeux internationaux et géopolitiques par le prisme du sport. Pourquoi le Qatar a tant voulu organiser une Coupe du monde de football ? Pourquoi la Chine veut à tout prix une grande équipe de football ? Pourquoi un match entre l’Iran et les Etats-Unis en 1998 a été surnommé « match de la paix » ? Autant de questions qui ont une portée géopolitique et qui permettent, via le sujet populaire du sport, d’y répondre. Aujourd’hui le FC Geopolitics est largement reconnu par la communauté médiatique sportive et est suivi par près de 70 000 personnes. Grâce à cela, j’interviens régulièrement dans les médias et je donne même des cours sur le sujet dans certaines écoles de commerce.

Le FC Geopolitics parle beaucoup de football car c’est le sport le plus populaire et le plus mondial par excellence. Mais je m’intéresse aussi aux autres sports qui ont cette dimension internationale et politique. C’est le cas avec le rugby, de par la riche et longue histoire de ce sport né dans le même temps que le football au XIXe siècle, mais aussi de par ses rencontres historiques entre les nations, souvent porteuses de symboles forts. Il m’était inconcevable, après avoir déjà écrit 2 livres sur le football, de ne pas écrire sur le rugby Un sport que je suis aussi beaucoup à travers les nations et le Stade rochelais. Qui plus est, la Coupe du monde en France est une formidable opportunité pour en parler car beaucoup de personnes, qui ne s’intéressent pas au rugby, vont chercher à mieux comprendre ce sport avec l’engouement autour de ce Mondial. Avec ce livre, découpé en 50 chapitres courts, synthétiques, ludiques et qui ne se limitent pas aux nations traditionnelles du rugby, les lecteurs pourront ainsi comprendre que le rugby est une formidable grille de lecture pour un peu mieux comprendre les enjeux politiques, sociaux et internationaux de notre monde.

Breizh-info.com : Quelles ont été les évolutions majeures en matière de rugby depuis sa création ? Est-ce aujourd’hui réellement le même sport qu’il y a 30 ans ? Qu’il y a 100 ans ?

Kévin Veyssière : Ce qu’il faut comprendre c’est que le rugby est avant tout une forme de « football ». Au début du XIXème siècle, les « public schools » anglaises, écoles privées où l’on formait les jeunes gens de la classe aristocratique et bourgeoise à devenir de vrais gentlemen, ont utilisé le biais du sport et du football comme un moyen éducatif. Ces différentes écoles vont avoir parfois leurs propres règles. En particulier dans la Rugby School où, selon la légende, William Webb Ellis fut le premier à porter le ballon à la main en 1823 alors qu’habituellement le « football » se jouait au pied. Tout au long du XIXème siècle, le rugby va s’émanciper du football et établir sa première véritable fédération, la Rugby Union, et corpus de règles en 1871.

Une autre évolution majeure intervient en 1893. La Rugby Union vote que le rugby doit rester un sport amateur. Officiellement pour préserver la « beauté » de ce sport. Officieusement pour que le rugby, qui se popularise dans les classes ouvrières qui ne peuvent se libérer de leur temps de travail sans compensation financière, reste sous la coupe des classes favorisées aristocratiques et bourgeoises et que ce sport ne soit pas un vecteur de contestation sociale dans une période de naissance du syndicalisme. Finalement, une scission va s’opérer au début du Xxe siècle avec certains clubs du nord de l’Angleterre et du Yorskhire. Ils vont créer leur propre ligue et modifier les règles du rugby et cela sera l’acte de naissance du rugby à XIII.

Le rugby à XV, amateur, va toutefois rester la discipline la plus noble du rugby, notamment grâce à ses rencontres internationales et au Tournoi des V Nations. Un tournant va toutefois intervenir au début des années 1980 pour ce sport très conservateur et d’influence britannique. Les compétitions sportives sont de plus en plus télévisées, notamment à travers les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football, et une véritable économie du sport commence à se créer. Les fédérations dites « du Sud », de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande vont pousser pour la création d’une première véritable Coupe du monde en 1987. Cela va accélérer la mondialisation du rugby. Et quelques années plus tard, en 1995, le rugby rentre pleinement dans l’ère moderne en actant la fin de l’amateurisme et le début du professionnalisme, ce qui va considérablement faire évoluer le ballon ovale.

Breizh-info.com : 1987 marque une date clé, date de révolution dans ce sport. Expliquez-nous. Peut on dire que ces 10 dernières années ont vu également de nouvelles révolutions (préparation et changements physiques importants, internationalisation, sport de plus en plus médiatisé…) ?

Kévin Veyssière : 1987 c’est la première Coupe du monde en Australie et en Nouvelle-Zélande. Avant cette date, les plus grands matchs de rugby avaient lieu lors du Tournoi des V Nations et lors des tournées des différentes équipes dans les terres traditionnelles du rugby (Royaume-Uni, Irlande, France, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud). La 1ère coupe du monde élargit ce cercle puisque c’est 16 équipes qui sont invitées, dont des équipes en pleine phase de progression comme l’Italie, le Zimbabwe ou encore les Fidji.

Ce 1er Mondial met surtout en lumière les pays « historiques » du rugby, avec une victoire finale de la Nouvelle-Zélande face à la France. Toutefois de nombreux pays vont adhérer par la suite à la fédération internationale du rugby, l’IRFB devenue aujourd’hui World Rugby. Un 2ème mondial est organisé en 1991, en Europe, avec une engouement international très important puisqu’un système de qualifications est mis en place et 25 équipes sont présentes dans ces premiers éliminatoires. On est bien loin alors du dernier « grand tournoi » international du rugby à XV, lors des Jeux olympiques 1924, qui n’avaient rassemblé que 2 équipes !

La Coupe du monde va donc permettre une certaine mondialisation du rugby. Même si, rares surprises comme l’Argentine ou le Japon, ces compétitions mettent surtout en avant les pays traditionnels du rugby. Il n’y a que regarder les demi-finales de la Coupe du monde et les nations qui ont déjà remportées la compétition (Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Angleterre). La professionnalisation en 1995 modifie aussi profondément le rugby puisque la marchandisation de ce sport entraîne un encadrement bien plus spécifique des joueurs, des salaires plus importants, l’arrivée de sponsors… On note notamment une augmentation des matchs et du temps de jeu effectif (qui est passé de 20 à 40 minutes sur un match qui dure 80 minutes). Toutefois, le rugby est un sport qui génère une économie mais reste bien loin d’autres sports. Par exemple l’international français Antoine Dupont gagne environ 600 000 euros par an, alors qu’un Kylian Mbappé émarge aux alentours de 72 millions d’euros par an.

Breizh-info.com : La mondialisation du rugby, l’arrivée d’un certain rugby business (exemple avec l’ouverture aux clubs sud africains de la coupe d’Europe) ne signe-t-elle pas la fin d’un certain rugby, et le risque de se retrouver demain, comme le football, avec un sport contrôlé avant tout par des puissances financières ? (à Quand une coupe du monde de rugby en Arabie saoudite…)

Kévin Veyssière : Il faut bien sûr être lucide. Le rugby n’est plus ce sport si traditionnel, authentique, attaché à ses racines du fait de sa professionnalisation et de sa marchandisation. Bien que cela puisse encore perdurait dans des cercles plus amateurs et locaux, et que le rugby joue toujours sur ce biais communicationnel pour se différencier d’autres sports à l’image plus bling-bling. Les transformations se ressentent par exemple au niveau du Top 14. D’anciens grands noms comme Dax, Biarritz, Bayonne, Bourgoin n’ont plus les moyens de pouvoir concourir dans le championnat français, qui est aujourd’hui la meilleure ligue de rugby au monde. On assiste à une certaine forme de métropolisation du rugby, qui est moins associé à ce « rugby de clocher » qui pouvait mettre en avant certaines petites ou moyennes viles à l’échelle nationale. Néanmoins malgré la professionnalisation, on reste encore très loin des standards du football. Et le côté authentique, terroir du rugby est encore préservé à travers les profils et l’histoire de certains joueurs.

La tradition du rugby évolue pourtant. Des équipes sud-africaines participent maintenant aux Coupes d’Europe. Cette décision intervient pourtant plus du fait que l’Afrique du Sud a été écartée du Super Rugby, ligue de l’hémisphère Sud avec des clubs australiens et néo-zélandais, après la Covid-19. C’est notamment ce qui a expliqué que l’Afrique du Sud se soit tourné ensuite vers l’Europe. Leurs équipes devaient trouver un point de chute et, du fait des fuseaux horaires concordants et des parts du marché sud-africain, les intégrer aux compétitions européennes semblait être une bonne opportunité. Les organisateurs du Tournoi des VI Nations n’ont pas encore pour projet d’intégrer l’équipe d’Afrique du Sud mais cela pourrait peut-être être une possibilité à long terme. En tout cas, World Rugby a à cœur de développer et créer plus de compétitions entre les nations, et donc les revenus associés.

À cet égard, les pays du Golfe persique comme les Emirats arabes unis, le Qatar et l’Arabie saoudite regardent d’un œil intéressé le rugby à XV du fait de ses audiences importantes et de l’économie qui y est associée. Pour ces pays, le sport est un moyen d’améliorer leur image à l’international, un moyen de soft power, mais aussi un vecteur important pour accélérer leur politique de modernisation du pays et préparer l’ère post-pétrole. Ils n’ont pas d’équipes compétitives mais ils peuvent convaincre financièrement le monde du rugby d’accueillir des matchs sur leurs terres. C’est en tout cas ce qui est envisagé par le Qatar pour des matchs de Coupe d’Europe. L’émirat se positionne aussi pour reprendre l’organisation de la Coupe du monde de rugby à XIII en 2025. Comme pour l’ensemble des investissements sportifs, il faudra regarder d’un œil attentif le rugby dans le Golfe persique d’ici les prochaines années.

Breizh-info.com : Comment percevez vous l’émergence de nations nouvelles ces dernières années, du Japon à la Géorgie, en passant par les Fidji ?

Kévin Veyssière : Cela est une bonne chose de voir de « nouvelles nations » se révéler dans le rugby à XV. On est certes encore loin de les voir concurrencer les traditionnelles nations du rugby comme la Nouvelle-Zélande, la France, l’Irlande ou l’Afrique du sud. La seule qui a pour l’instant véritablement réussie c’est l’Argentine. Depuis sa 3e place à la Coupe du monde 2007, cette sélection est en constante progression et a même rejoint le Tri-Nations de l’hémisphère Sud, devenu aujourd’hui Rugby Championship.

Aujourd’hui, le Japon s’invite aussi dans ce cercle fermé après une victoire historique contre l’Afrique du sud lors du Mondial 2015 et surtout l’organisation de la Coupe du monde 2019, qui l’a vu atteindre le stade des ¼ de finale pour la première fois. Malgré ces exemples, la Coupe du monde témoigne que les places de prestige se disputent tout de même souvent entre les 8/9 mêmes nations. C’est pourquoi World Rugby développe fortement le rugby féminin et le rugby à 7 devenue discipline olympique depuis 2016, pour permettre à des pays de se révéler plus rapidement. Les Fidji, qui ont un vivier de joueurs restreint et à peine 1 million d’habitants, ont notamment remporté les deux médailles d’or des tournois masculins olympiques de rugby à 7 en 2016 et 2021.

Breizh-info.com : Justement, quel regard portez vous sur la Coupe du monde à venir ? Peut-on assister à des surprises, pourquoi pas des Fidji, des Samoa ou d’autres équipes émergentes ? Un pronostic ?

Kévin Veyssière : Cette Coupe du monde 2023 sera intéressante à regarder pour voir l’émergence de nouvelles nations. Cet événement mondial du rugby à XV a été pour certaines nations (Argentine, Japon) un accélérateur de changement pour leur permettre de passer un cap. Pour ce Mondial, il faudra effectivement regarder le XV japonais, mais aussi la Géorgie, les Îles du Pacifique (Samoa, Tonga, Fidji) mais aussi l’Italie qui peuvent déjouer les pronostics.

Par exemple si le XV géorgien, qui ne cesse de progresser avec une 1ère victoire en 2022 contre le Pays de Galles se qualifie en ¼ de finale, cela sera un argument supplémentaire pour eux pour prétendre à intégrer le Tournoi des VI Nations. Nous n’en sommes pas encore-là mais le Mondial étant l’évènement phare du rugby à XV, c’est clairement là où les nations peuvent se révéler et modifier quelque peu l’équilibre mondial du rugby à XV.

Pour les pronostics, je ne vais pas être très original. Malgré certaines blessures, le XV de France est grande favorite. Elle joue à domicile et est portée par une génération talentueuse menée notamment par Antoine Dupont et l’entraîneur Fabien Galthié. On espère donc la victoire au bout et un premier titre. D’autant plus que la France est l’équipe qui a disputé le plus de finales de Coupe du monde sans jamais la remporter. 2023 semble être la bonne année pour que la malchance nous abandonne. Le XV de France, un peu à l’image de France 98, peut rentrer dans une nouvelle dimension populaire et symbolique avec ce premier titre mondial à la maison.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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3 réponses à “Kevin Veyssière (Planète rugby) : « Le rugby n’est plus ce sport si traditionnel, authentique, attaché à ses racines du fait de sa professionnalisation et de sa marchandisation » [Interview]”

  1. JP VARESE dit :

    « Professionnalisation » et « marchandisation », tout est dit. J’avais une collègue de travail originaire d’Albi qui admirait Castres, je crois. Elle était scandalisée par ces costauds de 100 kg qui multipliaient les séances d’abdo. Pour elle, ce n’était plus le vrai rugby, simple et convivial.
    On retrouve les mêmes problèmes avec le foot. Question: combien de Nantais ou de Bretons (ou Vendéens) dans l’équipe du FCNA?

  2. domper catalan français dit :

    L » Equipe de France a tout pour prétendre à une victoire finale car elle possède toutes les clés des grandes équipes ( puissance, imagination, vitesse, jeu collectif avec peu de fautes et un buteur exceptionnel ) Pour moi, l’obstacle principal c’est l’ Afrique du Sud qui joue un rugby rugueux, voire brutal parfois, avec des gabarits de joueurs impressionnants aussi bien en avants qu’ en 3/4. La vitesse de jeu des français et le french flair restent une arme principale face à ces mastodontes ! Bonne chance à l’ EDF et régalez nous pendant ces 90 mn…

  3. nicole dit :

    Fabien Galthié nommé colonel de la Légion étrangère
    12 mai 2023
    Le sélectionneur du XV de France a été distingué, ce mercredi 10 mai, en recevant les insignes de colonel dans la « Réserve Citoyenne » de la Légion étrangère.
    En janvier 2022, les Bleus retenus pour le Tournoi des 6 Nations avaient effectué une préparation intensive au sein d’une autre section de la Légion étrangère, le 1er Régiment de Cavalerie de Carpiagne.

    https://www.ouest-france.fr/sport/rugby/equipe-de-france/xv-de-france-fabien-galthie-nomme-colonel-de-la-legion-etrangere-db127cca-f086-11ed-83be-4a77803b0dd3
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