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Vichy et la Shoah. Des travaux récents d’historiens donnent plutôt raison à Éric Zemmour

Le gouvernement de Vichy a-t-il sauvé des juifs français, en contrepartie de sa participation directe à l’arrestation de juifs étrangers pour le compte de l’occupant ?

Pour avoir envisagé favorablement cette hypothèse dans un livre écrit 10 ans plus tôt, Éric Zemmour a subi un lynchage médiatique qui a plombé sa campagne présidentielle. Des gens de bonne foi ont pu être choqués, tant le sujet reste sensible et tant ces propos sont en opposition avec ce qui est communément admis.

Pour réveiller la fierté des Français, Zemmour a assumé le scandale mais aurait-il pris aussi des libertés avec l’exactitude historique ?

Le Vel d’Hiv, un « pacte avec le Diable »

Dans une synthèse récente – « Histoire d’une falsification, Vichy et la Shoah dans l’histoire officielle et le discours commémoratif » (janvier 2023), Jean-Marc Berlière, Emmanuel de Chambost et René Fiévet font le point sur toute la controverse.

Ces trois auteurs ont joint à leur texte les photographies des documents d’époque in extenso, permettant au lecteur de se faire sa propre idée. Ils apportent également le contexte et rappellent ce qu’en ont dit les principaux chercheurs.

Ce ne sont pas des fans d’Éric Zemmour : au fil des pages ils qualifient celui-ci de « polémiste » ou de « journaliste-politicien d’extrême-droite » et relèvent sans indulgence ses approximations. Par exemple, dans le feu d’un débat, Zemmour a affirmé que « les juifs français ont été sauvés à près de 100 %, à 95 % » – dans la réalité, ce seraient plutôt de 87.5 % à 92 % des juifs métropolitains de nationalité française qui auraient échappé au génocide, contre 56 à 59 % des juifs étrangers résidant alors en France. (1)

Les auteurs, en se basant sur les rares documents d’époque ayant survécu, reconstituent le scénario suivant : en juin 1942, après une longue phase de préparation, Berlin décide de déporter l’ensemble des juifs européens vers la Pologne, dans un délai d’un an ; le 24 juin, le responsable SS en France Danecker transmet au chef de la police française en zone occupée l’ordre d’arrêter 22 000 juifs, dont 40 % de Français ; le chef du gouvernement français, Laval, refuse d’abord, puis aurait fait le 2 juillet une contre-proposition, par l’intermédiaire de René Bousquet : la police française n’arrêterait que des juifs étrangers, dont une partie se trouvant en Zone Sud, hors de portée des Allemands. (2)

Cet accord aboutira à la Rafle du Vel d’Hiv (16-17 juillet 1942) et ses clauses auraient été globalement respectées pendant une année encore par les deux parties. A partir d’août 1943 au contraire, les Allemands se désistent et reprennent la main sur les opérations, réquisitionnant au besoin des policiers français (comme ils le font en Belgique) ou utilisant les services de « rabatteurs » de la pègre. Des juifs français sont alors également déportés – c’est dans ces circonstances que la lycéenne Simone Veil est arrêtée, par des policiers allemands et sans aucun intermédiaire français (3). En janvier 1944, dans la décomposition finale de Vichy, Darnand, devenu chef de la police, transgresse la limite qu’avait tracée Laval, et donne l’ordre d’arrêter également des juifs français.

Malgré tout, il aura été possible à la grande majorité des juifs français de survivre, y compris ceux qui sont restés toutes ces années à leur adresse habituelle, au vu et au su de la police française.

Contre Zemmour, un historien gaffeur

On le voit, non sans honnêteté intellectuelle, les 3 historiens donnent plutôt raison à Éric Zemmour sur le fond. Mieux, ils montrent que loin d’être un provocateur isolé, celui-ci n’a fait que reprendre les conclusions de chercheurs reconnus et de personnalités insoupçonnables : le Grand Rabbin Kaplan, Léon Poliakov, Raoul Hilberg, Robert Aron, la résistante Annie Kriegel, Marc Ferro, François-Georges Dreyfus, Alain Michel…

Mais ces références solides sont aujourd’hui supplantées par d’autres historiens, qui se vivent comme des militants de la Mémoire, certains sérieux (Serge Klarsfeld), d’autres moins… Nos trois historiens taillent ainsi un short à leur confrère Laurent Joly, dont ils épinglent les bourdes de débutant.

Pour appuyer l’idée que la police aux ordres de Vichy a été particulièrement zélée, Joly met en avant les 36 000 juifs déportés entre juillet et novembre 42 et conclut : « Aucun pays en Europe de l’Ouest ne présente alors un tel bilan ». Mais citer des chiffres absolus n’est pas pertinent, puisque la France abritait la plus grande communauté juive en Europe occidentale. En proportion, dans les mêmes mois, les juifs de Hollande et de Belgique ont été deux fois plus atteints, en l’absence de tout Etat collaborateur.

Comme le démontrent les auteurs, le Vel d’Hiv s’est révélé un « fiasco » policier : sur 22 000 personnes à déporter, 13 000 ont été livrées à leurs bourreaux. Dans leurs projets initiaux, les responsables SS tablaient sur 100 000 déportations de France pour la seule année 1942…Dans la réalité, il y en aura en tout 76 000, sur toute la période 1942-1944.

A l’occasion de la controverse, Joly a imposé son leadership sur les autres historiens anti-Zemmour, mais ses multiples interventions ont été l’occasion de nouvelles bévues. Poussé dans ses retranchements par Alain Finkielkraut, il a fini par lâcher au micro de France Culture la phrase interdite : « Evidemment que Laval ne veut pas livrer les juifs français », avant de se reprendre en conclusion : « C’est une aberration que de dire que Vichy a essayé de sauver les juifs français ». Comprenne qui pourra.

Goebbels, un éclairage inédit sur les choix de Laval 

En 1942, que savaient réellement sur la Shoah les dirigeants français et les policiers de base qui leur obéissaient ? Un autre livre, réédité en poche en mai de cette année, renouvelle indirectement la question : « Auschwitz, enquête sur un complot nazi », de Florent Brayard, directeur de recherche au CNRS.

Dans ce livre très ardu, l’auteur étudie en détail les 40 000 pages du journal tenu par Goebbels, le ministre de la propagande de Hitler. Brayard en conclut que Goebbels a ignoré jusque tardivement la véritable portée des déportations. Plus précisément, il a su dès l’été 1941, comme beaucoup d’Allemands, pour les massacres de masse de juifs soviétiques (« Shoah par balles ») ; dès mars 1942, il est mis au courant, de manière officieuse, pour le massacre systématique des juifs polonais, selon des « méthodes passablement barbares » qu’il n’ose pas préciser à l’écrit ; mais jusque fin 1943, il n’imagine pas que la déportation des juifs de l’Ouest soit autre chose que leur regroupement forcé ou leur détention / asservissement à l’Est du continent.

D’autres cadres nazis de moindre importance auraient partagé cette demie ignorance : Brayard cite Baldur von Schirach (ancien chef des jeunesses hitlériennes, devenu gauleiter de Vienne) ou Wilhelm Stuckart, haut responsable du ministère de l’intérieur. Ce participant à la Conférence de Wannsee s’oppose à la déportation des Allemands issus de couples mixtes juif-chrétien ; il craint qu’ils ne puissent devenir les chefs d’une révolte en Pologne – un argument qui implique qu’il ignore qu’ils seront tués dès leur arrivée.

C’est seulement en octobre 1943 que Goebbels aurait appris le destin réel des juifs déportés depuis l’Ouest, au cours d’un discours secret et solennel tenu par Himmler devant les cadres du régime. Le ministre est surpris et même troublé par cette révélation, car il ne pouvait imaginer une élimination physique aussi directe des juifs allemands – alors qu’il l’admettait pour les « juifs de l’Est », qui appartenaient dans sa mentalité à un autre univers.

Ces informations sur Goebbels viennent peut-être éclairer les choix criminels de Laval en 1942 : il est plausible que le chef du gouvernement de la France occupée ne connaissait pas le destin des juifs qu’il faisait arrêter. Le fait qu’en livrant des étrangers, il épargnait des compatriotes aura aussi endormi ses scrupules, s’il en avait : dans la mentalité de l’époque, la distinction national / étranger était centrale.

A.T.

1) La base de données sur les déportés juifs de France ne permet pas d’avoir accès à leur nationalité, ce qui complique le débat historiographique.

Voici les chiffres qu’on peut établir d’après le livre, qui s’appuie lui-même sur Serge Klarsfeld : sur 76 000 déportés de France, 16 000 étaient de nationalité française stricto sensu ; 2000 étaient des enfants français par le droit du sol, mais déportés en même temps que leurs parents étrangers ; 6000 étaient des enfants potentiellement français à leur majorité, également déportés avec leurs parents étrangers ; 52 000 étaient étrangers stricto sensu. Selon les critères, il y avait 184 000 à 192 000 juifs français et 127 000 à 135 000 juifs étrangers (pour un total d’environ 319 000 juifs métropolitains). Cela donne 87.5 % à 91 % juifs français non déportés et de 56 à 59 % de juifs étrangers non déportés.

Par ailleurs, ne sont pas compris dans ces pourcentages les 370 000 juifs d’Afrique du Nord. Vichy les a déchus de la nationalité française mais en juillet 42 il n’a pas été envisagé de les déporter ; à partir de novembre 42, ils sont totalement hors d’atteinte. Si on les intègre malgré tout au calcul, alors les pourcentages donnés par Zemmour deviennent justes : 96 à 97 % des juifs français n’ont pas été déportés.

En comparaison : 24 % des juifs en France ont été déportés toutes nationalités confondues, contre 40 % en Belgique, 50 % en Norvège, 75 % en Hollande. Cela rapproche la France de la situation de la Bulgarie (environ 22 % de morts dans la communauté juive) : cet Etat allié de l’Allemagne a sacrifié les juifs de Macédoine grecque considérés comme non-bulgares et sauvé la plus grande partie de ses ressortissants.

2) Aucune archive incontestable ne donne le contenu de l’accord du 2 juillet.

C’est donc de façon indirecte que les 3 auteurs déterminent son sens exact, grâce à une poignée de documents ayant survécu. Les 2 plus convaincants sont : – un rapport de l’ambassadeur allemand Otto Abetz du 3 juillet qui mentionne clairement la distinction juifs étrangers / juifs français – une correspondance officielle de l’adjoint de René Bousquet qui dénonce en août 43 l’arrestation récente par la police allemande de 8 juifs français, en contravention avec ce qui semblait convenu.

Dernier argument, le plus fort sans doute : en 42-43 les Allemands font pression sur Laval pour qu’il retire la nationalité française en bloc à un maximum de juifs d’origine immigrée. Ces demandes de déchéance n’auraient guère de sens si elles ne permettaient pas de contourner l’obstacle créé par l’accord du 2 juillet.

Dans quel état d’esprit se trouvaient les négociateurs français de l’accord ? Les photos d’époque montrent un Bousquet décontracté et souriant. L’historien américain Paxton – le plus sévère pour la conduite des Français sous l’Occupation – soutient que Vichy a eu un rôle moteur dans la déportation et que Berlin a fini par « obtempérer » (sic) aux demandes des Français. Sans aller jusque-là, plusieurs documents, il est vrai, suggèrent que les responsables français vont dans le sens des demandes allemandes, voire les devancent.

Mais ces démonstrations de zèle pourraient aussi être du bluff. Car d’autres documents incontestables dépeignent des autorités françaises réticentes – par exemple la note du 2 juillet d’un informateur de la Gestapo infiltré au plus haut niveau à Vichy. Dans d’autres courriers, les négociateurs SS dénoncent les ambiguïtés de Bousquet et expliquent à leurs supérieurs qu’ils ont dû mettre la pression pour aboutir.

3) Dans les années 70, Simone Veil sera hostile au documentaire « Le Chagrin et la Pitié » (1969), du franco-américain Max Ophüls, très accusateur pour les Français, et même carrément avilissant. Le livre de Paxton (« La France de Vichy », 1973) ne fera que suivre, apportant au moulin de cette thèse préétablie des documents inédits tirés des archives allemandes. On est alors en plein affrontement entre la politique étrangère gaulliste et Washington.

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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3 réponses à “Vichy et la Shoah. Des travaux récents d’historiens donnent plutôt raison à Éric Zemmour”

  1. Castel dit :

    Article TRES intéressant et instructif. Merci BI !
    En même temps, m’appuyant sur l’action de mes grands-parents (en particulier celui de ma grand-mère et de mon arrière-grand-mère) qui ont pris beaucoup de risques dans la Résistance, je ne peux que penser que si tout le monde en avait fait autant, si tout le monde avait relevé la tête face à l’ennemi, beaucoup de ces abominations n’auraient pas eu lieu ! Car la lecture de l’article au regard de l’Histoire ne montre qu’une seule chose : la compromission ! « Sacrifier les voisins pour sauver sa peau », quel bel état d’esprit !
    Heureusement qu’il ne faut jamais qu’un tiers de population pour renverser un système… car on constate bien (et cela a été amplement confirmé par l’épisode de tyrannie sanitaire de ces dernières années puis par la réélection de Macron) que le peuple de France est majoritairement composé de pleutres.

  2. patphil dit :

    la clique de pétain a aussi envoyé en déportation des juifs français, des catholiques, des résiqtants etc.

  3. Corlou dit :

    Petainistes , communistes , gens de tous les bords politiques , n’est ce pas mitterand qui a été décoré de la Francisque ? Ben oui !! Ont pour certains participé à cette abominable affaire . Pas besoins d’etre collaborateurs des nazies a l’époque , pour balancer son voisin juif , ou même son collègue de boulot quand sa tête ne te plaisait pas ou plus . Bassesses de tous types , avec à la baguette des profils de tous horizons et même de gauche assez souvent. D’ailleurs n’y avait il pas des accords entre Stalinien et hitlériens avant l’opération nazies en territoires communistes ? Mais si les amis .

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