« Limiter les risques d’extinction [de l’humanité] posés par l’intelligence artificielle [IA] devrait être une priorité mondiale, aux côtés d’autres risques de grande ampleur comme les pandémies ou la guerre nucléaire », selon une pétition publiée, le 30 mai, par 350 experts dans ce domaine. En effet, ChatGPT apparaît autant comme le moyen que comme la fin d’un nouveau développement intellectuel et social. D’ailleurs, le Président Macron avait reçu, le 23 mai, Sam Altman, le créateur de cette nouvelle forme d’IA. Parce que des intellectuels ne jurent plus que par cela, ce Ça d’un nouveau genre, pourtant prévisible depuis des lunes. Pour que l’intelligence virtuelle vaille plus que l’intelligence réelle. Bienvenue donc dans des univers parallèles, des ultimes paradis artificiels, des dimensions parallèles, « multivers » dans l’ordre physique ou « métavers » dans l’ordre numérique. Il fallait ainsi que le « procès de civilisation » (dixit Gilles Lipovetsky) devienne, peu ou prou, un processus de désocialisation, de « décivilisation », dit-on aujourd’hui… Ruse de la raison, de la logique technoscientifique, qui ne peut se passer de métaphysique, d’abstraction absolue, pour gouverner les êtres pour et par la science.
« La pensée n’est rien d’intérieur, elle n’existe pas hors du monde et des mots », avait affirmé Maurice Merleau-Ponty. Donc, une intelligence artificielle, aussi savante et sophistiquée soit-elle, ne devrait pas pouvoir faire l’économie et du langage et de l’intentionnalité, d’une « projection vers », d’une objectivation du ou d’un monde. Cela signifierait que l’IA ne pourrait faire autrement que créer son ou ses monde(s) parallèles. Comme si deux miroirs pouvaient se placer face à face. De quoi donner le goût du vertige. Et ce à quoi incite le métavers du haut d’un casque VR, c’est, in fine, à l’amour sans âme, à devenir également un avatar au-delà des frontières, à être non-binaire, une entité sucrée. Une dimension dans laquelle l’Ego n’est jamais de trop. Il s’y nourrit perpétuellement de lui-même, de ses fantasmes, traumas et sublimations. Vers la déréliction, l’aliénation et l’oscillation perpétuelle entre la performance et la nonchalance.
Quand l’éducation n’est plus nationale, quand il n’y a plus d’instruction, quand les écrans sont l’alpha et l’oméga, plus que le principe de la réalité, c’est la réalité elle-même qui est liquidée. Plus rien n’a de prise, de chair et d’os. Ou quand quasiment tout se paie sans contact. Précisément, financiarisation de l’économie oblige, le politique, comme le citoyen, était voué à se noyer « dans l’océan infini de la dissemblance » (Platon). Pire : le sophiste aussi s’est effacé, puisque ChatGPT m’assiste ou me remplace, pour produire une dissertation de philosophie ou une épreuve orale de l’ENA.
Pire encore : cet avènement célèbrerait la révolution en faveur de la société civile contre l’État. Une mauvaise blague… « La classe idéologique-totalitaire au pouvoir est le pouvoir d’un monde renversé : plus elle est forte, plus elle affirme qu’elle n’existe pas, et sa force lui sert d’abord à affirmer son inexistence », avait écrit Guy Debord. Arrive l’ère de l’homme nouveau, tant bipolaire que minimal, intégralement immature, toujours près à se laisser « influencer », à croire à l’« emprise », de l’homme blanc de surcroît, sur les femmes, les enfants, les animaux, les végétaux… Au bout du compte, chimère ou être bionique, même combat… Super-soldat !
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2 réponses à “Métavers : quand le virtuel doit devenir le réel”
Super-soldat auquel il manquera toujours, le plus souvent, comme attendu, hier comme demain, quels que soient les moyens mis en œuvre, Intelllicence artificielle ou non : le sens critique, base de toute vraie intelligence.
Vrai. J’ajoute que « l’intelligence, c’est de savoir admettre que l’on s’est trompé », je ne sais plus qui avait dit ça. Quant à l’article ci-dessus, il ressemble à ce qu’il est réellement : un texte digne d’un sociologue français, à l’aise lorsqu’il s’agit d’enfoncer les portes ouvertes.