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Nissa la Bella. À la découverte de l’identité Niçoise avec Nico Fiorucci (Nissart per Tougiou)

Parmi les patries charnelles qui constituent aujourd’hui l’hexagone, il en est une, sans doute moins connue des lecteurs de Breizh-info.com, qui a suscité notre intérêt. Le Comté de Nice, ancien État de Savoie. Créé en 1388 par la dédition de Nice à la Savoie, dans le cadre de la guerre de succession de Provence, son union à la maison de Savoie est ratifiée en 1419, comme fief impérial du Saint-Empire. Jusqu’en 1526, cette acquisition territoriale est désignée sous le nom de « Terres neuves de Provence » qui comprennent les vigueries de Nice, du val de Lantosque, du comté de Vintimille, de la viguerie de Puget-Théniers, outre la baillie de Barcelonnette et la baronnie de Beuil.

Au xvie siècle, s’y ajoutent la seigneurie de Dolceacqua (1524) et le comté de Tende (1581). En 1793, le comté occupé devient partie intégrante de la République française comme 85e département, dénommé Alpes-Maritimes. Redevenu sarde en 1814, le comté devient la division de Nice en 1818, dans le cadre de la réorganisation du royaume de Sardaigne, puis en 1860, la majeure partie de son territoire est annexée à la France, après plébiscite.

Aujourd’hui, le régionalisme niçois s’exprime à travers l’enseignement d’une langue, le Nissart, mais aussi plus globalement d’une identité locale, autour du Comté de Nice. Une défense de l’identité et un retour aux racines qui a été permise par le travail acharné de quelques militants, qu’ils soient politiques, culturels, et même supporteurs de football – la BSN (Brigade Sud Nice) ayant joué incontestablement un rôle dans cet éveil d’un tas de gamins à leurs racines niçoises.

Pour évoquer tout cela, nous avons interrogé Nico Fiorucci, militant Nissart de longue date, qui va nous parler de sa terre, la terre de ses pères, le pays niçois et son identité. Il est par ailleurs l’auteur d’un livre, Recuelh e Memoria, à découvrir ici.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Nico Fiorucci : Bonjour à l’ensemble de l’équipe de Breizh-info et aux lecteurs.

Je m’appelle Nicolas Fiorucci, j’ai trente-huit ans et suis l’heureux père de trois garçons. Je suis, osons le terme, un identitaire convaincu mais surtout un homme enraciné qui aime sa patrie charnelle, le Comté de Nice, et qui suis attaché à la civilisation européenne.

J’ai milité dans ma jeunesse au sein d’une structure identitaire locale, Nissa Rebela, qui était affiliée au Bloc identitaire. Depuis une dizaine d’années je ne milite plus au sens politicien du terme.

Breizh-info.com : Vous parlez le Nissart, le Niçois. Pouvez vous nous présenter les origines de cette langue ?

Nico Fiorucci : Aí, parli la lenga dai mieu antenat (oui, je parle la langue de mes aïeux).

Le Nissart est une des langues du groupe occitano-roman issue du latin parlée dans le Comté de Nice. Je précise, une des langues ou dialectes car on pourrait couper le Comté en trois ou quatre divisions linguistiques occitanes pour la plupart mais aussi ligurienne (groupe gallo-italique) à l’est. Cependant beaucoup de traits particuliers au Nissart font la transition avec les parlers occitano-alpins de l’arrière pays et les parlers liguriens à l’est. Il est aussi influencé par un lexique piémontais. Surtout il s’agit de la langue de culture par essence portée par une riche littérature depuis le XIXème siècle par des arts vivants comme le théâtre et le chant. La langue niçoise est le vecteur de l’identité et de la culture de ce coin d’Europe.

Breizh-info.com : Par quels moyens l’avez vous appris ? Quelles sont les conditions d’enseignement de la langue dans votre comté aujourd’hui ? Combien y’a-t-il de locuteurs, et de quelle sociologie ?

Nico Fiorucci : Dès mon enfance mon oreille a été habituée à entendre le niçois principalement de la bouche de mon grand-père maternel, mais aussi de mon père qui m’y initiait aussi à travers des chansons.
Adolescent alors que j’étudiais l’italien, autre langue que j’entendais depuis « picion » (pichoun) car la famille de mon père est d’origine italienne, je me suis plongé dans la bibliothèque de mon pépé et à travers ses livres et dictionnaires j’ai appris la « lenga nuòstra » de manière autodidacte.

Les conditions d’enseignement de la langue niçoise rencontrent les mêmes difficultés que dans les autres régions, malgré un certain intérêt d’une partie de la population et même l’engagement, un peu timide à mon goût, en sa faveur de différents acteurs politiques locaux de gauche comme de droite. Un manque de moyen humain, de volonté politique plus forte et paradoxalement avec mes mots plus haut, un manque d’engagement de la population en général.
Malgré ça, le Nissart est une option dans plusieurs collèges et lycées du Comté mais souvent dans des plages horaires compliquées.

La ville de Nice a toutefois fait l’effort sous l’impulsion d’associations régionalistes et de parents d’élèves d’ouvrir une section entièrement bilingue français/nissart de la maternelle au cm2 depuis la rentrée 2013/2014 dans une première école de Nice-Est et devant la réussite du cursus en a ouverte une dans seconde école de Nice-Nord.

Pour ce qui du nombre de locuteurs, aucune véritable étude a été publiée, mais on estime aujourd’hui dix mille à quinze mille personnes comprenant et sachant parler couramment le Nissart ou autre parler du Comté.
Ces personnes ont une sociologie essentiellement populaire en ville ou dans nos vallées.

Breizh-info.com : Quelles sont les grandes figures historiques du régionalisme niçois et de sa langue ?

Nico Fiorucci : A cette question je commencerai par évoquer « les Barbets ». Le mouvement des Barbets est un mouvement d’opposition à l’intégration du Comté de Nice à la France révolutionnaire principalement né en réaction aux atrocités des troupes révolutionnaires apparues en 1793 pendant l’invasion du Comté. A l’instar de la Vendée et la Bretagne, la volonté de déchristianisation du pays, les réquisitions plus les incorporations forcées des jeunes au sein des armées révolutionnaires vont alimenter le ressentiment contre la France qui plus est, est une armée étrangère d’occupation, le Comté de Nice étant une partie intégrante du royaume de Piémont-Sardaigne.

On peut aussi parler de Catarina Segurana dite « Donna Maufacia » (femme malfaite), personnage plus ancien qui lors du siège franco-turque de 1543 redonnera courage aux troupes défendant la cité en assommant un janissaire avant de lui arracher son drapeau au croissant.
Giuseppe ou Joseph Garibaldi surnommé « Pepin » en nissart et aussi un emblème de liberté et de patriotisme à Nice au-delà de la politique.

Malgré son idéal républicain et son amitié pour la France, niçois de naissance et patriote italien, il accepta très mal l’annexion de 1860, étant même en 1871 à la tête d’une liste indépendantiste et pro-italienne. Pour finir sur les figures historiques et politiques, je pense que l’on peut y ajouter le sulfureux ancien maire de Nice Jacques Médecin dit « Jacou/Giaco » par chez nous, qui oeuvra pour défendre Nice vis à vis de la capitale.

Breizh-info.com : De quelles autres langues se rapproche votre langue ?

Nico Fiorucci : Comme j’ai déjà évoqué, le nissart est une langue d’oc issue de la grande famille des langues romanes. Au vu de la situation géographique du Comté de Nice et de son histoire, le niçois peut servir de transition entre l’occitan en général, en particulier le provençal et le vivaro-alpin qui a des traits archaïques en commun avec le nissart vers les parlers gallo-italiques du nord de l’Italie, principalement le piémontais et les dialectes liguriens (génois) avec lesquels il partage un lexique assez conséquent.

En ce qui concerne les figures de notre langue, je présenterai par ordre chronologique, « Raimon Feraut » né en 1245 à Ilounso, petit village de la vallée de la Tinée dans le haut Comté, décédé vers 1324. C’était un troubadour qui écriva un texte qu’on considère comme l’un des premiers en nissart archaïque, « La vida de Sant Honorat ».

Mais c’est le XIXème siècle qui vit un grand nombre d’auteurs locaux écrire en nissart dans différentes graphies.

Le plus important fût, Joseph Rosalinde Rancher. Féru de culture classique, il composa poèmes et chansons dans sa langue maternelle. Il composera et publiera en 1823 « La Nemaïda » puis en 1830 « La Mouòstra Raubada » qui sont ses deux principales œuvres.

Au XXème siècle les deux représentants principaux furent:

Jouan Nicola (1895-1974) compositeur niçois, rédacteur du journal satirique en langue nissarda, la Ratapignata (la chauve-souris) et créateur de la Ciamada Nissarda premier groupe folklorique créé à Nice toujours actif.
Francis Gagliolo dit Francis Gag, (1900-1988) qui écriva des pièces de théâtre tout en nissart, « Lou Sartre Matafiéu », « La pignata d’or », « Lou vin dei padre » et créa sa propre troupe.

Aujourd’hui je pense que les meilleurs représentants sont par le chant, le « Corou de Berra », groupe de chants polyphoniques typiques des Alpes du sud dans un registre spécialement niçois, piémontais et italien.

J’aimerais enfin citer mon ami écrivain Pascal Colletta qui a écrit et publié plusieurs livres dans le parler de sa vallée, natif comme le troubadour Raimon Feraut du village d’Ilounso. Sa plus belle œuvre est à mes yeux son livre « Verdunissa » qui raconte l’histoire d’Ange, un paysan du Comté qui appelé à servir la Patrie, s’en va de son Ilounso natale qui ne quitte presque jamais sur le front en 1914 et correspond avec sa fiancée par lettre en nous livrant le témoignage d’un homme déraciné qui devient soldat. Une magnifique histoire. Le livre est en version bilingue ce qui permet à n’importe qui de pouvoir le lire mais permet de conserver aussi le lien charnel et l’authenticité d’une époque où pas tout le monde parler la langue de la capitale.

Breizh-info.com : Le régionalisme nissart n’est pas forcément le plus connu dans l’hexagone. Y’a-t-il des mouvements culturels ou politiques qui en font la promotion ? Vous mêmes, avez vous des engagements en ce sens ?

Nico Fiorucci : Il n’y a pas de mouvements politiques sérieux qu’on pourrait qualifier de nationaliste ou identitaire niçois.

Auparavant des listes comme Nissa Rebela ou le mouvement de la ligue des renaissances et libertés niçoises s’étaient présentées lors d’élections entre 2004 et 2012. Aujourd’hui certains partis mettent une touche de nissardité dans le discours.

Sur un plan culturel, il existe de nombreuses associations défendant les particularismes de notre identité et je tiens à mettre en avant l’association Nissart per Tougiou qui existe depuis 1998, fondée par de jeunes nissart amoureux de leur identité, qui a entrepris à travers différentes actions comme les relancements de fêtes ancestrales, la mise avant de groupes mêlant rock et musiques traditionnelles, l’invitation de groupes de musiques de nos cousins piémontais voisins, la production d’un album CD entièrement en nissart de rassembler niçois de souche et d’adoption autour du dénominateur commun, la défense et l’amour de la Contea de Nissa.

Nissart per Tougiou peut s’enorgueillir de pouvoir proposer à ses « Sossi » (membres) et autre public à la fois des conférences, des concerts, des pièces de théâtre, des cours de niçois, des cours de chants, des cours de boxe, le dépoussiérage de l’élection de la « Regina dai Mai » (Reine des Mai), une vieille fête populaire fêtant l’arrivée des beaux jours et l’organisation de la Festa nissarda curturala depuis 2016.
L’association s’est refait une jeunesse grâce à la création de nombreuses nouvelles activités et tout ce travail animé par des bénévoles: créer du lien entre les générations, les différents milieux sociaux, ce lien indispensable dans une société devenue égoïste, acculturée et individualiste à l’extrême. Un lien permettant une reconquête collective de notre culture et son développement.

Je fais moi-même partie du bureau de l’association qui est pour moi plus une communauté en réalité et grâce à cette dernière nous avons pu éditer un livre qui est un recueil de poèmes en « lenga nuòstra » pour la majeure partie de ses textes, mais où sont aussi mis en avant d’autres dialectes du Comté que j’ai écrit afin d’essayer de revitaliser la littérature niçoise. Pour chaque poème j’ai aussi écrit la traduction afin de toucher un plus large public. Au travers ces textes j’ai essayé de passer un message et de transporter les lecteurs sur les différentes routes et vallées du Comté en traitant de sujets qui me tiennent à cœur, la Famille, l’Amour, le Courage et l’attachement à nos patries charnelles, à notre si belle civilisation. Une vision du monde traditionnel mais tournée vers l’avenir.
Ce livre est une déclaration d’amour à ma terre.

Breizh-info.com : Vous avez écrit un poème, sur les patries charnelles, pouvez vous nous en parler ?

Nico Fiorucci : Oui depuis la parution de ce livre je continue d’écrire en essayant d’améliorer ma qualité d’écriture car je suis novice dans le domaine et dernièrement j’ai écrit ce petit poème que je vous présente en niçois ainsi que sa traduction en français:

L’amor dai sieu

Aimi la mieu terra
Lu sieu paísage, la sieu curtura
Aimi lo mieu continent
La sieu sivilisassion, la sieu gent

Aimi lo mieu pòble e sen ch’a desfolopat
La sieu sapiensa e la libertà
Aimi la sieu energía e sen ch’ha creat
La sieu envueia de sempre avansar

Aimi li sieu gleia, la sieu música
E li sieu dansa
Che sighi nissart, breton ò alsassian
Fransés, polac ò italian
Acò ha minga importansa

Se tot sen che descrivi mi rende rassista
Dau vuòstre ponç de vista
Díes vi ben infame escurantista
Che la magioransa de l’umanità
Alora , fascista coma iéu l’es finda

Traduction française

L’amour des siens

J’aime ma terre
Ses paysages, sa culture
J’aime mon continent
Sa civilisation, ses gents

J’aime mon peuple et ce qu’il a développé
Sa science et la liberté
J’aime son energie et ce qu’il a créé
Son envie de toujours avancer

J’aime ses églises, sa musique
Et ses danses
Que je sois niçois, breton ou alsacien
Français, polonais ou italien
Cela n’a pas d’importance

Si tout ce que je décris me rend raciste
A vos yeux
Dites vous bien infâmes obscurantistes
De que la majeure partie de l’humanité
Alors, fasciste comme moi l’est

Propos recueillis par YV

Illustration : DR
[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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8 réponses à “Nissa la Bella. À la découverte de l’identité Niçoise avec Nico Fiorucci (Nissart per Tougiou)”

  1. Gaï de ROPRAZ dit :

    J’habite au Canada, mais je suis Nicois d’adoption. J’ai terminé mes études (Sup de Co.) à Nice et j’en suis fier. Aujourd’hui, ma seconde résidence est à Villefranche sur mer face au Cap St Jacques. J’ai vécu et navigué en Bretagne et j’ai toujours ressenti une osmose entre ces deux regions. Et pourtant, elles sont si differentes, et sur plusieurs aspects, l’une de l’autre, Si ce n’est la proximité de deux mers. De ce fait, et de par la lecture de vos propos, je vous remercie de me donner une joie intime de fermer les yeux sur cette osmose. Il est 02H30 au Canada, six heures de plus à la pointe du Raz et le soleil se lève. Merci, Bonne nuit, et Bonne Journée à vous tous !

    • Valerie vion dit :

      Je suis niçoise et j ai quitté Nice il y a plus de 30 ans, vivant à Londres et aujourd’hui en Espagne depuis 17 ans. J’ aime ma terre , mes racines et les odeurs de notre cuisine et le pan bagnat de ma tata Nicette à Villefranche – Mer ne pourra jamais avoir d égal….J’ ai la chance d’ y retourner 2 fois par an et j’ai toujours ce pincement au coeur de quitter mi tierra. Baieta.

  2. MUSCHAK Horst dit :

    Un grand merci pour ce beau reportage.
    J’apprécie d’autant plus, que j’ai passé trois ans de ma vie au-dessus d’EZE, et je garde un très bon souvenir des habitants de Nice pour leur gentillesse (avant l’invasion des pieds noirs en 1962)
    Du marché aux fleurs, des pans-bagnats et socca de la place Garibaldi.
    Sans oublier le Nissart, belle langue un peu difficile à comprendre au début…

  3. Hadrien Lemur dit :

    Etant Occitan, j’arrive à lire assez bien le Nisart, il y a vraiment une basse commune comme le pronom moi ‘iéu’ qui est identique. Ce monsieur Nicolas Fiorucci a bien du mérite avec ses pairs de lutter contre l’oubli de sa culture. Malheureusement, si vous allez à Nice de nos jours, surtout depuis l’investiture de Christian Estrosi, vous aurez du mal à entendre cette langue. Vous serez d’ailleurs chanceux si vous entendez parler simplement Français.

    • Fiorucci dit :

      Oui le Nissart comme je l’ai expliqué est une langue d’oc malgré son influence ligurienne et piémontaise.

  4. Moretti dit :

    je déplore le terme « sulfureux »pour parler de Jacques Médecin…

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