Le mardi 30 mai 2023, le Sénat des Pays-Bas sera élu, pour quatre ans, par les membres des douze conseils provinciaux, issus des élections directes du mercredi 15 mars 2023 qui ont vu l’incroyable percée du parti des agriculteurs, le BBB, dont la figure de proue est la journaliste agricole Caroline van der Plas. Le BBB emporte, au total, 138 sièges de conseillers provinciaux sur 572 et devrait obtenir 17 sénateurs sur 75.
Canada Dry
Le BBB (BoerBurgerBeweging – Mouvement citoyen agriculteur) peut être classé au centre-droit, comme le parti chrétien qui représentait autrefois l’hégémonie culturelle des campagnes, le CDA (Christen-Democratisch Appèl – Appel démocrate-chrétien), auquel il a pris une partie de ses électeurs. Cependant, le BBB peut être considéré comme un Canada Dry des différents partis patriotiques : le PVV (Partij voor Vrijheid – Parti pour la Liberté) anti-islamisation de Geert Wilders, le Forum voor Democratie (Forum pour la Démocratie) dont la figure de proue est l’écrivain Thierry Baudet, JA21 fondé en 2020 par Annabel Nanninga et Joost Eerdmans et le BVNL de Wybren van Haga. En effet, si la célèbre marque de soda utilisait le slogan « Canada Dry est doré comme l’alcool, son nom sonne comme un nom d’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool », le BBB, parti agrarien, défend des idées proches de celles mises en avant par les partis patriotiques, tout en n’étant pas un d’entre eux.
Ces derniers ont, par ailleurs, aussi pris la défense des agriculteurs bataves face aux attaques que ceux-ci subissent de la part du gouvernement technocratique et bureaucratique néerlandais aux vues mondialistes, aux mains d’une « élite » qui se considère comme supérieure au peuple et qui est connectée à la Davocratie. Le BBB désire réduire le rôle de l’Union Européenne à celui de l’ancienne Communauté économique européenne (CEE) et s’oppose à ce que l’UE devienne un super-État fédéral. Il prétend défendre les citoyens normaux et dénonce la caste politique qui dirige le pays. Il est contre le développement des éoliennes, défend la chasse, la pêche, les traditions des campagnes, la ruralité et dénonce la disparition des services publics, des transports en commun, des distributeurs de billets et la fermeture des piscines dans les villages et petites villes, ce qui engendre le départ des jeunes de ces « Pays-Bas périphériques » au sein desquels l’industrie et les emplois locaux se sont évaporés. À la Chambre des députés, l’unique représentant du parti, Caroline van der Plas, élue en 2021, n’hésite pas à voter des motions introduites par le Forum voor Democratie ou le PVV, comme une visant à empêcher les migrants économiques de parasiter les Pays-Bas. Le BBB est favorable à une politique migratoire et d’asile restrictive, comme le sont les partis patriotiques.
Rejet du système
Le scrutin provincial marque un rejet encore plus prononcé, par une partie de plus en plus importante de la population, des partis du système. Si la percée du BBB, à l’électorat âgé et peu ou moyennement instruit, est la conséquence des manifestations des agriculteurs dans le cadre du « dossier azote » contre leur quasi-extermination programmée par les sphères politiques mondialistes, celle-ci atteint aussi les électeurs des grandes villes qui pèsent 1/3 de l’électorat du parti, ce qui indique que la « question agricole » est devenue un catalyseur face aux changements qui touchent la société en profondeur et qui sont la conséquence de la mondialisation ultralibérale, qui engendre des délocalisations d’entreprise d’une part et d’autre part une importation de main d’œuvre à bon marché via l’immigration légale et illégale, et du néo-libéralisme qui considère que l’État doit être réduit à ses fonctions régaliennes et ses éléments privatisés, vendus à la découpe et jetés en pâture à la finance internationale. Ces idées, d’abord testées au sein du laboratoire chilien à la suite de l’arrivée au pouvoir du général Augusto Pinochet, ont ensuite été appliquées au Royaume-Uni par Margaret Thatcher, dès 1979, puis aux États-Unis, à partir de 1980, par Ronald Reagan. En conséquence, l’État, de plus en plus affaibli suite à son démembrement, n’est plus en mesure de parer les conséquences de la mondialisation qui précarisent les travailleurs et qui n’existaient quasi-pas lorsque les États-nations protégeaient, grâce à leurs frontières, le peuple en organisant les conditions de la libre-concurrence entre les différents acteurs économiques – ordolibéralisme – et l’intervention financière de l’État – social-démocratie.
Pied de nez aux bobos
La percée du BBB, qui réalise un exploit hallucinant en arrivant premier dans les douze provinces, alors que le parti n’existait pas lors du scrutin provincial précédent, est aussi un pied de nez à la caste des bobos qui réside dans les grandes villes et qui est constituée des cadres de la globalisation. Ces gens mangent peu de viande, prônent l’idéologie du genre et l’ouverture aux migrants, qu’ils ne pratiquent pas, car, pour eux, ces derniers ne sont jamais que des sous-prolétaires importés afin de concurrencer et de précariser le prolétariat autochtone.
Nouveau coup de semonce électoral
Les Pays-Bas n’en sont pas au premier coup de semonce électoral : montée de partis anti-système, multiplication du nombre des partis représentés à la Chambre des députés, instabilité électorale des formations politiques, partis fondés sur divers sujets (parti des plus de 50 ans (50plus), Parti pour les animaux (Dierenpartij), …) et aussi percée de mouvements politiques patriotiques éphémères, comme celui de Pim Fortuyn, assassiné en 2002, ou celui de Thierry Baudet lors des élections provinciales de mars 2019.
La réaction abasourdie de Caroline van der Plas lors de l’annonce des résultats de son parti montre qu’elle est consciente des énormes difficultés que celui-ci va désormais rencontrer. Cependant, le BBB a, à la différence des deux formations précitées, soigneusement sélectionné les personnes placées sur ses listes, ce qui peut, en partie, compenser le manque d’expérience de ses nouveaux élus, et Caroline van der Plas dispose d’un logiciel idéologique plus tourné vers le compromis et d’une personnalité moins polarisante.
Ce nouveau coup de semonce électoral présente la particularité d’être encore plus fort que les précédents et a pour effet que l’actuel gouvernement de Marc Rutte, regroupant son parti libéral de droite VVD, les libéraux de gauche de D66, les démocrates-chrétiens du CDA et les sociaux-chrétiens calvinistes de ChristenUnie, même en s’alliant avec les écologistes de GroenLinks et les travaillistes du PvdA, n’aura pas de majorité au sein du nouveau Sénat.
Si le BBB, relativement nouveau sur l’échiquier politique des Pays-Bas, est apparu en novembre 2019 après le début des manifestations des agriculteurs, un autre parti de la même tendance a existé dans le passé : le Boerenpartij (Parti des paysans), qui a vu le jour à la fin des années 1950.
Un ancêtre nationaliste : le Boerenpartij
Un de ses cofondateurs, Hendrik Koekoek (1912-1987), est le créateur et président, depuis 1946, de l’Union pour la Liberté d’Entreprise dans l’Agriculture. Les débuts du Boerenpartij sont difficiles. Le parti dénonce la bureaucratie, la pression fiscale et l’immigration. Il obtient des élus locaux au sein de deux municipalités et un conseiller provincial dans la province de Gueldre. Ayant récolté 0,66 % lors des législatives de 1959, durant celles de 1963, il décroche trois sièges de député : le parti s’est fait remarquer lors de la révolte des agriculteurs en jouant sur un ressort poujadiste et s’oppose aux mesures corporatistes obligatoires de la Confédération agricole que rejettent les petits fermiers.
Au milieu des années 1960, le Boerenpartij devient une force d’attraction pour les classes moyennes et les petits indépendants. Les citoyens le rejoignent afin d’exprimer leur mécontentement face aux évolutions de la société et au fossé de plus en plus grand qui sépare les électeurs des politiciens. Lors des élections provinciales de 1966, le Boerenpartij décroche 44 sièges avec 6,73 % des voix. Lors des municipales, le parti obtient des élus au sein des conseils municipaux de différentes villes. En 1967, le Boerenpaertij emporte 7 sièges de députés avec 4,77 % des voix. Suite à des disputes internes et à la chute de popularité du président du parti Koekoek, le Boerenpartij tombe à un siège lors des élections législatives de 1971. Lors de celles de 1972, il remonte à 3 sièges.
En 1974, Hendrik Koekoek enregistre la chanson de carnaval « Den Uyl is in den olie » qui fait la une des hit-parades du pays. Lors des élections législatives de 1977, le Boerenpartij obtient un député. Les élections législatives de 1981 voient le parti se présenter sous le nom Rechtse Volkspartij (RVP – Parti populaire de droite). Il n’obtient pas d’élu.
Lionel Baland
Source : BALAND Lionel, « La longue route du nationalisme aux Pays-Bas. », in Synthèse nationale, n° 21, Paris, janvier-février 2011, p. 83 à 92.
Photo : DR
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2 réponses à “Le parti néerlandais des agriculteurs, le BBB, est une version édulcorée des partis patriotiques.”
Le système proportionnel couplé à un débat plus ou mois ouvert permet le développement aux Pays-Bas de plusieurs partis patriotiques qui coexistent, ainsi que du parti des agriculteurs, alors qu’en France le système majoritaire ne permet pas un telle situation.
les bouseux ne veulent pas crever! ils se rebiffent,