Trop de politiquement correct ferait-il mal au porte-monnaie ? Après Disney+ et Netflix, c’est au tour de la marque d’équipement sportif allemand Adidas d’en arriver à cette conclusion.
« Adidas ne tolère pas l’antisémitisme ou toute autre forme de discours haineux. » Par ce communiqué, l’équipementier sportif mettait immédiatement fin à la fabrication des futurs produits de la marque Yeezy du rappeur Afro-américain Kanye West en fin d’année 2022.
Cette collaboration était un des partenariats les plus fructueux du monde de la mode. La rupture de contrat aura couté à la marque, selon ses propres déclarations, 254 millions d’euros de perte sur son résultat net en 2022 et en 2023 le chiffre d’affaires devrait baisser de quelque 1,2 milliard d’euros.
Si ce n’est pas la première fois que le rappeur secoue l’establishment politiquement correct avec ses déclarations pro Donald Trump, contre les médias de gauche et « la mafia démocrate« , ou en se riant des « l’arnaque Black Lives Matter« , il avait cette fois-ci posté sur les réseaux sociaux un message intitulé «Death Con death 3 on jewish people » (vouloir entrer en guerre avec les Juifs) car selon ses dires : « quand j’enregistre, il y a quatre juifs à contrôler ma voix. 90 % des Noirs dans l’industrie du divertissement, que ce soit dans le sport, la musique ou le cinéma, sont soumis à des hommes d’affaires juifs« . « Ils contrôlent ce qui passera à la télé et ce qui sera dit sur moi. (…) Mais je ne les hais pas, je constate juste qu’ils sont juifs.»
Il se défend d’ailleurs de l’accusation d’antisémitisme, déclarant admirer les Juifs et vouloir que les Afro-américains s’inspirent de leur sens de la communauté : « j’envie comment les gens d’origine juive, n’avortent pas, ne se tirent pas dessus dans la rue. Leurs familles sont soudées, ils éteignent leurs portables le vendredi et restent en famille. »
À l’invitation d’aller visiter le musée de l’Holocauste, il rétorque « allez visiter le planning familial, il est là notre holocauste à nous« , se rattachant à un thème sur lequel il revient périodiquement : la facilité avec laquelle les femmes afro-américaines recourent à l’avortement. Ces propos avaient immédiatement fait réagir Josef Schuster, président du Conseil central des juifs d’Allemagne “en tant qu’entreprise allemande, j’attends d’Adidas une attitude claire sur l’antisémitisme”.
La réponse ne se fit pas attendre : le contrat avec le rappeur était immédiatement rompu. Si les déboires s’étaient multipliés – notamment autour des droits sur des baskets – la rupture sonna comme une confirmation des allégations du rappeur contre le pouvoir de la communauté juive dans l’industrie de la mode. Car outre Adidas, c’est aussi Gap, Balenciaga, Foot Locker et beaucoup d’autres marques avec lesquelles il avait des relations de longue date qui ont mis fin à leur partenariat. Twitter et Instagram ont bloqué ses comptes, et la banque JPMorgan Chase l’a expulsé de la liste de ses clients.
Forbes a annoncé sa rétrocession du statut de milliardaire à celui de millionnaire. À la suite de ces faits, en octobre 2022, il déclarait, dans une entrevue télévisée : « les Noirs sont aussi des Juifs — je les qualifie aussi comme Juifs — donc je ne peux pas être un antisémite. »
Contrainte ou folie ? Il a récemment été diagnostiqué bipolaire. Mais, dans un pays où ce trouble de l’humeur est devenu un véritable phénomène de société excusant à peu près tous les comportements, ses opposants y voient une manipulation. Rebaptisé Ye, le personnage est complexe. Ses sorties font évidemment le buzz, si recherché dans le monde du spectacle, mais son discours, fruit d’une bonne éducation, ne manquait pas d’une certaine cohérence.
Fils d’une professeur d’université et du premier photoreporter noir, ancien militant des Black Panthers, Kanye avait fait de son statut de rejeton de la classe aisée afro-américaine son étendard, en radicale opposition avec le gangsta rap, dont il dénonçait la bête fascination pour le crime, le vautrement dans le luxe « au lieu d’acheter des terres« , et l’exploitation de l’image des Noirs sans que ces derniers ne parviennent jamais à des rôles décisionnels importants.
Audrey D’Aguanno
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