Le quotidien Présent, que vous pouviez retrouver dans tous les kiosques depuis plusieurs décennies, c’est terminé. C’est le mercredi 29 juin que l’équipe du journal a annoncé la nouvelle, en publiant son dernier numéro. La faute à la hausse des coûts, et au déclin inévitable de la presse papier indépendante, qui n’est pas sous perfusion de subventions en tout genre.
Un quotidien qui disparait…pour mieux revenir en septembre sous la forme d’un hebdomadaire.
Pour évoquer la grande aventure de Présent, son destin, et son futur, nous avons interrogé Francis Bergeron, gérant de la revue.
Breizh-info.com : Présent version papier quotidien, c’est terminé. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à stopper l’aventure ?
Francis Bergeron : Les raisons sont multiples, bien entendu, mais la principale d’entre elles, c’est la prise de conscience que le quotidien papier n’a pas d’avenir car l’actualité immédiate est désormais fournie de façon presque instantanée par la télévision, la radio, les réseaux sociaux, accessibles 24h sur 24h à partir de son téléphone. Qui plus est, de façon gratuite.
Présent quotidien est rédigé à J-1 en soirée, imprimé à J, disponible sur internet vers 13h le jour J, mais dans sa version papier il n’arrive dans les boites aux lettres qu’à J+1 voire J+2 ou plus tard encore. Lors des week-ends électoraux récents, le numéro daté du samedi avait été écrit le jeudi soir ou le vendredi matin, imprimé vendredi vers 13h, dans les boites aux lettres le plus souvent le lundi ou le mardi (dans beaucoup d’endroits il n’y a plus de distribution de courrier le samedi). Autant dire que quand ils ont lu Présent, nos abonnés en savaient plus que le journaliste !
Breizh-info.com : Vous laissez la porte ouverte à la création, dès la rentrée, d’un hebdomadaire. Pourquoi ce format, et qu’est-ce que cela changera par rapport aux soucis qui vous ont poussé à arrêter ? Allez-vous recruter des journalistes ?
Francis Bergeron : L’hebdomadaire reste en vente une semaine, alors que le quotidien n’est vendu que pendant quelques heures. Ce qui change tout au niveau du volume des ventes. Nous le constatons par exemple pour nos hors-séries, qui paraissent chaque mois, et restent en vente deux mois. Leur vente a contribué à renflouer le quotidien, alors que, depuis le confinement de mars 2020, qui a changé les habitudes des lecteurs, accéléré les évolutions, les ventes en kiosque des numéros de semaine se sont effondrées. Tous les quotidiens sont logés à la même enseigne : l’information « chaude » n’a pas d’avenir en format papier.
En revanche il y aura toujours un public pour des revues et des magazines consacrant une large place à l’analyse, aux dossiers, aux portraits et interviews, au culturel, aux reportages. Il y a pléthore d’hebdomadaires de gauche, progressistes, anticléricaux. Les rares hebdos de droite sont confidentiels, à part Valeurs actuelles et Le Figaro Magazine. Il y a de la place pour un hebdomadaire engagé, à contenu culturel fort, d’orientation patriote et chrétienne. C’est notre projet
Apres 40 ans et 6 mois et 10153 numéros, Présent cesse de paraître en tant que quotidien national avec le numéro de demain. [thread] pic.twitter.com/mKsWh1ROrm
— Salvatore Dell'Olio (@S_DellOlio) June 29, 2022
Breizh-info.com : Pouvez-vous nous faire un bilan de ce qu’a été le journal Présent, depuis sa constitution jusqu’à aujourd’hui ?
Francis Bergeron : Pour faire simple (et donc réducteur), Présent est né de la rencontre d’un grand intellectuel catholique, Jean Madiran, avec un journaliste alors célèbre, François Brigneau. Il faut aussi citer Bernard Antony, un « activiste » catholique et patriote très efficace. C’est la complémentarité des talents de ces trois hommes, essentiellement, qui a permis le lancement de Présent, à la fin de l’année 1981. Il faut aussi citer le nom de quelques « compagnons de route » qui ont joué un grand rôle : Jean-Pierre Stirbois, qui venait de rejoindre le Front national, et l’avocat monarchiste Georges-Paul Wagner, qui fut élu député FN en 1986.
Le pari de la création d’un tel quotidien était insensé: une parution cinq jours par semaine, 250 fois par an, sur 4 pages seulement, mais très denses. Un quotidien sans publicité, et vendu cher au regard du nombre de pages. Aucun autre quotidien n’existait, basé sur une tel modèle.
Présent a-t-il contribué à l’émergence du Front national, et à la diffusion du courant traditionaliste au sein de l’Eglise ? Ou a-t-il surfé sur une double dynamique politique et religieuse ? ? Toujours est-il qu’il a joué un grand rôle jusque dans les années 2000. Son âge d’or a correspondu aussi au dernières années de l’âge d’or de la presse papier : les années 1980-1990.
Il a souffert néanmoins du départ de Brigneau, de l’affaire des sacres, à l’époque de Mgr Lefebvre, et de la scission mégrétiste. Sans doute le journal n’a-t-il pas su prendre suffisamment de distance à l’occasion de chacun de ces évènements. Présent ne pouvait s’empêcher de prendre position pour un camp contre l’autre, ce qui irritait une partie des lecteurs.
Nous avons mieux géré, me semble-t-il, les trois sujets clivants actuels, au sein de notre public : la dictature sanitaire, la rivalité Le Pen – Zemmour, la crise ukrainienne. Certains lecteurs trouvent que nous ne sommes pas assez ceci ou trop cela, mais grosso modo ils acceptent et apprécient la liberté de ton de nos journalistes sur ces sujets, même si elles reflètent des divergences..
L’autre erreur de Présent fut de ne pas avoir pris à temps le virage internet. Le Salon beige, Boulevard Voltaire, Breizh Info, fdesouche etc. ont réussi sur ce terrain, mais au début des années 2000, Présent était sans doute le média de notre famille d’idées qui comptait la plus grosse équipe de journalistes. Jean Madiran n’a passé le relai de la direction du journal en 2007, à l’âge de 87 ans. Au regard des évolutions technologiques du monde de l’information, c’était sans doute un handicap.
Mais d’octobre 1981, date de parution du numéro 0, à aujourd’hui, Présent est resté parfaitement fidèle à ses invariants : la tradition catholique, le patriotisme, le « pas d’ennemi à droite », « Dieu premier servi », même si nous l’exprimons avec des mots différents d’il y a quarante ans..
Breizh-info.com : Globalement, la presse papier souffre dans son ensemble : et la plupart de la presse mainstream stopperait ses activités sans les subventions, massives. Comment expliquez-vous cela ?
Francis Bergeron : L’information gratuite a envahi notre univers. A une époque de forte baisse du pouvoir d’achat, d’appauvrissement général, seule une minorité est prête à payer, cher, pour avoir une information de qualité, non conformiste. En outre les entreprises de droite ne sont pas formatées pour se livrer à une chasse aux subventions. Elles comptent sur leur public, leurs partisans, le fruit de leur travail, alors que médias et associations de gauche vivent essentiellement sur des fonds publics. Quand le président de l’Assemblée nationale s’engage personnellement à faire en sorte que L’Humanité soit subventionnée à jamais, quand le quotidien communiste La Marseillaise est sauvé de la faillite par la ville de Martigues, quand il reçoit 100 000 euros du conseil régional de PACA sur décision de son président, le LR Renaud Muselier, tout le monde trouve cela très bien. Mais quelle collectivité oserait aider Présent ? Le simple fait qu’une bibliothèque d’une ville RN ou proche du RN s’abonne à Présent suffit pour en faire une affaire d’Etat !
Breizh-info.com : Les idées portées par la presse dissidente et alternative semblent n’avoir jamais été aussi répandues si l’on compare aux succès électoraux récents du RN, à la montée de Zemmour, à l’abstention dissidente massive, mais aussi à la montée d’une chaine comme Cnews par exemple. Comment expliquez-vous dès lors que la presse dissidente, web comme papier, ait autant de difficultés, économiques notamment ? Quelles perspectives y voyez-vous à l’avenir ?
Francis Bergeron : Si, concernant le RN, le plafond de verre saute, si le front républicain est réduit en miettes, cela devrait alléger la pression sur les entreprises pour l’attribution de leurs budgets publicitaires, les collectivités publiques pour leurs subventions etc. Si un écosystème se développe, favorable au pluralisme politique, les médias de la réinformation, sur papier comme sur le web, finiront à leur tour par en avoir des retombées positives. Ensuite c’est une question de courage.
Mais pour l’heure il est certain qu’il y a un vrai hiatus entre l’opinion et les outils d’expression publique de celle-ci. Ce qui a d’ailleurs contribué à la surprise du 19 juin. Voyez l’ahurissement, l’incompréhension de la presse de province, par exemple.
Breizh-info.com : Que peuvent faire les personnes qui souhaitent vous aider dans la prochaine mouture ?
Francis Bergeron : Cet hebdomadaire patriote et qui entend être fidèle aux racines chrétiennes de la France et de l’Europe, n’aura son utilité que s’il sort de la semi-confidentialité dans laquelle navigue Présent depuis trop longtemps. L’équipe nouvelle qui travaille sur le projet est jeune, talentueuse, militante. Lorsque le projet débouchera, – à priori ce sera à la rentrée de septembre -, il faudra alors une grande mobilisation de la réinfosphère et des militants des mouvements qui partagent les valeurs de Présent pour aider cette jeune brigade de « chevau-légers » à porter ce nouvel hebdo sur le devant de la scène médiatique. L’hebdomadaire, pour ce que j’en sais, a l’ambition d’être le porte-parole de cette « révolution conservatrice »
Propos recueillis par YV
Illustrations : DR
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