Dans cette chronique hebdomadaire, je vous proposerai des recettes originales et historiques, réconciliant ainsi deux aspects de ma personne, celle d’historien et celle patron de bistrot. Elles seront faciles à réaliser mais surtout liée à l’histoire d’un territoire ou de grands hommes. La gastronomie traditionnelle raconte une terre, des traditions, elle s’inscrit donc dans l’idée d’un combat identitaire, soulignant les diversités qui nous sont chères d’une région à une autre, écologique, travaillant des produits locaux et de saison, et éthique, réduisant au maximum le gaspillage et s’opposant au modèle uniformisé du fast food.
« Nun c’e trippa pe’ gatti ». Ce dicton en dialecte romain veut dire « il n’y a pas de trippes pour les chats », comprendre il n’y a plus d’argent… Aujourd’hui comme hier, entre inflation galopante et incertitudes sur l’avenir, les chats ne sont pas prêts de manger des trippes mais nous oui ! Ainsi aujourd’hui nous nous arrêterons dans la ville éternelle pour y déguster le plat du samedi, « La trippa alla Romana ».
Revenons tout de même sur cet intéressant dicton, s’il semble ancien, pouvant faire référence aux multiples crises que connut Rome depuis la fin de l’empire, invasion barbares, exode, famines, pestes et autres fléaux, l’expression « Nun c’é trippa pe’ gatti » date en réalité de 1907, lorsque le maire de la ville essayant d’assainir les finances de sa cité pratiqua diverses coupes budgétaires. Ernesto Nathan élimina ainsi le budget que consacrait la ville pour acheter des tripes qui servaient à nourrir les chats du capitole censés défendre les archives contre les rats. Déclarant que désormais les félins devraient se nourrir du produit de leur chasse, les journaux et la rue ne tarda pas à utiliser cette expression pour parler du manque d’argent.
La cuisine romaine populaire a pour base ce que l’on nomme ici le « Quinto quarto », littéralement le « cinquième quart » de l’animal, que ce soit le bœuf, le cochon ou le mouton. Cette expression décrit ainsi les éléments les moins nobles de l’animal, les différents abats et parties coriaces, cervelle, joue, rognons, ris, trippes, intestins, cœur, rate, foie, queue… L’art de la cuisine est ainsi de transformer ces viandes pauvres en plats délicieux malgré leurs saveurs fortes ou leurs aspects peu ragoutants. L’origine de l’expression fait débats. Les mathématiciens parmi vous auront déjà noté qu’il ne peut pas y avoir cinq quart d’un tout mais tranquillisez-vous, la première explication vous satisfera probablement. Ainsi les bêtes abattues étaient vidées de leurs organes et privée de la tête pour être ensuite découpées en deux dans le sens de la longueur puis de nouveau divisées en partie antérieures et postérieures, le boucher venant par la suite découper la viande en fonction des muscles. On obtenait ainsi quatre parties, d’où quatre quart. Le reste de la bête constituant le cinquième quart divisé en parties comestibles ou non comme la peau destinée au tannage par exemple. Une autre théorie sur l’origine serait que les parties non nobles des animaux pèserait un quart du poids de la carcasse. L’explication la plus courante fait en revanche référence au mode de distribution de la viande à Rome. Un quart de la viande était destiné aux nobles, un quart au clergé, un quart aux bourgeois et un quart aux soldats. Les restes étaient laissés pour les gens les plus modestes, seuls les abats étaient disponibles à l’achat pour le commun des mortels. Enfin certaines sources affirment que les employés des abattoirs du quartier de Testaccio étaient payés en nature avec les abats, soit pour leur consommation personnelle soit pour les revendre. Une chose est certaine, comme toujours l’art de la cuisine populaire est de transformer des matières premières pauvres en plats dignes des meilleures tables.
Les plus populaires des abats à Rome sont le « animele », le ris de veau, La fameuse « pajata », les intestins des veaux de lait où le lait caillé est conservé à l’intérieur du boyaux et cuit dans une sauce tomate et accompagné de pâtes, la queue de bœuf longuement mijotée encore une fois avec des tomates et du chocolat amer, la joue de porc que l’on retrouve partout sous forme de « Guanciale », indispensable ingrédient des pâtes à l’amatriciana ou alla gricia et enfin les trippes qui sont en réalité les estomacs de bovins.
Jusqu’à l’orée du Vingtième siècle les tripes bovines ont constitué l’essentiel de l’apport protéinique hebdomadaire des Romains. On les préparait pour le déjeuner du samedi. La recette est probablement née dans le quartier de Testaccio où se trouvaient les abattoirs. Situé en face de Trastevere et au pied de l’Aventin, Testaccio était déjà dans l’antiquité un quartier populaire. La fameuse colline de Testaccio dont on peut voir les traces dans les murs de fondation de certaines trattoria est en fait composée de débris de poteries antiques, amphores, plats et autres ustensiles qui étaient accumulés à cette endroit. Cette ancienne décharge publique est désormais un quartier vivant où l’on retrouve de nombreux restaurant traditionnels, l’ancien abattoir est lui transformé en marché où l’on peut déjeuner.
La recette pour 4 personnes : 1 kg de tripes, 1 kg de coulis de tomates, huile d’olive, oignon, carotte, céleri branche, une gousse d’ail, 10 feuilles de menthe, 150 gr de fromage pecorino, sel, poivre, piment (optionnel).
Les tripes sont très souvent vendues déjà lavées et bouillies. Si ce n’est pas le cas, rincez abondamment vos morceaux puis, dans une casserole d’eau bouillante salée avec une carotte, un oignon et du céleri. Une fois l’ébullition reprise, cuire 45 minutes votre tripe. Une fois bouillies, taillez votre viande en petites lanières de 5 centimètres environ. Emincez un oignon, une carotte et une branche de céleri en quantité égale, c’est ce que les italiens appellent le « soffritto », base de nombreuses recettes traditionnelles.
Dans une cocotte versez de l’huile et faite dorez votre « soffritto », un fois un peu caramélisé, ajoutez les tripes et six feuilles de menthe, sel et poivre et laissez dorer une dizaine de minutes avant d’y ajouter le coulis de tomates. Laissez cuire à feu doux pendant une trentaine de minutes. Hors du feu, ajoutez 100 gr de Pecorino, fromage de brebis typique du Lazio. Ce fromage lissera la sauce ayant la caractéristique de fondre sans faire ni fils, ni grumeaux. Garnissez l’assiette d’une feuille de menthe et saupoudrez le reste de pecorino, c’est prêt !
Pierre d’Her
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