De Clovis à la Troisième République, en passant par les Capétiens, le siècle de Louis XIV ou la Révolution française, Jacques Bainville raconte dans son histoire de France, à la façon d’un véritable romancier, les hommes et déroule les événements de façon vive, avec enthousiasme et subjectivité. L’historien nous rend familier 2000 ans histoire, nous fait aimer ses personnages, et nous plonge dans un vrai roman d’aventure somptueusement écrit.
Beaucoup cité, son texte tend pourtant à être récupéré voire déformé. Dans une nouvelle réédition éditée par Larousse, l’historien Eric Alary le replace dans son contexte, et ce faisant, redonne à ce texte toute sa force et son intérêt.
Nous l’avons interrogé sur le sujet.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur Bainville ? En quoi était-ce important de ressortir son histoire de France ?
Eric Alary : Depuis des années, des hommes et des femmes osent remettre en question la vérité historique, notamment en défendant la cause du maréchal Pétain et de son régime de Vichy, sous l’occupation. Les historiens ont fait un gros travail pour recouper les archives et commettre des ouvrages de premier plan sur l’occupation, l’antisémitisme, l’anticommunisme, entre autres. Encore en 2022, des Français pensent que Pétain est innocent en ce qui concerne la déportation des Juifs de France. Ils sont même relayés par une partie du monde politique de l’extrême-droite. Bainville est régulièrement cité par les nostalgiques d’une certaine façon d’écrire l’histoire de France, une histoire mythifiée et peu objective en bien des points. Il a été encore cité pendant la pré-campagne présidentielle, en 2021. Or, Bainville a publié son Histoire de France, en 1924. De fait, préfacer l’ouvrage pour le replacer dans l’historiographie de l’histoire de France et rappeler qui était Bainville, une grande plume de la droite maurrassienne.
Breizh-info.com : Qui était Jacques Bainville ? Pouvez vous nous restituer le contexte dans lequel sort son histoire de France ?
Eric Alary : Jacques Bainville est l’une des grandes figures de la droite nationaliste, royaliste, antisémite, raciste. Bainville rencontre Maurras en 1901, alors qu’il est déjà journaliste et qu’il écrit déjà de l’histoire. Son style d’écrivain est brillant et il le montre en 1920 en commettant une analyse pertinente et visionnaire sur les conséquences du traité de Versailles. Son Histoire de France est publiée après une commande faite par un éditeur et au moment où il ne cesse d’écrire dans la presse monarchiste qu’il s’inquiète de la perte de puissance de la France face à l’Allemagne. Son Histoire de France, publiée en 1924, tend à faire l’éloge de la monarchie comme modèle politique et moral à rétablir en France.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui explique que l’Histoire de France n’est plus, depuis plusieurs décennies, enseignée à l’école comme elle l’était auparavant, en s’inspirant notamment de cette histoire de France signée Bainville ? Quels principaux changements y’a-t-il aujourd’hui avec cet enseignement ?
Eric Alary : Ce livre a connu un succès considérable jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, avec des centaines de milliers d’exemplaires vendus en librairie. Puis, Bainville a été aussi perçu par les républicains comme l’un des chantres du « roman national » pendant très longtemps à l’image d’un Jules Michelet, sauf que Bainville est monarchiste et que son ouvrage est un travail de journaliste et non d’historien ; c’est un ouvrage de seconde main qui évoque avec enthousiasme et style hagiographique les réussites des rois français ; une obsession : l’Allemagne, l’ennemi héréditaire. Son Histoire cite assez peu de dates, mais a demandé un énorme travail de recherche de la part de Bainville. De nos jours, l’histoire enseignée est celle qui développe le sens critique de l’élève et de l’étudiant. Pas question d’ingurgiter des pages par cœur pour les restituer sans aucune réflexion.
Breizh-info.com : Quelles ont été selon vous les plus grandes erreurs de Bainville dans son histoire de France eu égard des nouvelles informations historiques que nous possédons aujourd’hui ?
Eric Alary : Bainville choisit parfois les événements qu’il compte mettre en valeur de façon à tendre vers la doctrine monarchiste. Pour l’Affaire Dreyfus, étonnamment, il ne prend pas parti. Il a été dreyfusard, avant de rencontrer Maurras, mais on ignore comment il évoluera par la suite. Sur les guerres de religion, il est antiprotestant virulent, car il incarne la vision d’une France catholique et traditionnaliste. Rappelons que le maître à penser de Bainville est Maurras qui souhaite lutter contre ce qu’il appelle « l’anti-France » composée de « métèques », de « juifs », de « francs-maçons » et de « protestants. » Bien d’autres erreurs, omissions et interprétations se multiplient dans l’ouvrage. En revanche, si l’on ne se pose aucune question où que l’on n’est pas éclairé par des informations extérieures, il faut reconnaître que le livre de Bainville se lit comme un roman. Il a beaucoup de talent. D’où l’intérêt de doter le texte d’un appareil critique – des centaines annotations que j’ai ajoutées à la préface- qui permet d’éclairer le lecteur de Bainville.
Breizh-info.com : A l’époque de la cancel culture, et de la tendance à vouloir gommer un certain passé, cette réédition peut-elle être considérée comme un acte de résistance ?
Eric Alary : Oui, il faut lire les auteurs des périodes précédentes, car ils permettent de réfléchir à la façon de construire un récit historique au fil des siècles. Bainville est connu des historiens et qui s’intéressent à l’épistémologie. Nier son passé reste très dangereux. Il faut le connaître avec lucidité et éclairer ceux qui ne sauraient qui est tel ou tel personnage.
Propos recueillis par YV.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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2 réponses à “Eric Alary : « Bainville est monarchiste… son ouvrage est un travail de journaliste et non d’historien » [Interview]”
« De nos jours, l’histoire enseignée est celle qui développe le sens critique de l’élève et de l’étudiant. » Comme, par exemple, l’histoire de Bretagne non-enseignée dans l » Education Nationale »?
haro sur la pensée unique qui veut nous imposer une vision de l’histoire et du monde, la leur ! frottez votre cervelle contre celle d’autrui disait montaigne, un vrai gaulois réfractaire!