Est-ce une affaire à l’intérieur de l’affaire ? Une nouvelle fois, un élément de l’enquête sur la mort de Steve Maia Caniço, dans la nuit de la Fête de la musique 2019, fuite dans la presse. Des PV d’interrogatoire de personnes mises en examen avaient déjà été divulgués voici quelques mois.
Le document révélé lundi par le site de divulgation Disclose est spécialement séduisant. C’est une vidéo présentant une sorte de reconstitution impressionniste des événements. Disclose la présente comme une « expertise judiciaire ». En tout état de cause, elle utilise des documents provenant du dossier d’instruction.
La loi autorise les procureurs à rendre publics des éléments d’une procédure. Ils ne peuvent cependant comporter aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause. En l’occurrence, l’article de Disclose est intitulé : « une expertise judiciaire démontre la responsabilité de la police » !
Un groupe militant
Index, auteur de la vidéo, est un groupe militant qui réalise des contre-enquêtes privées sur des dossiers impliquant les forces de l’ordre ; il a par exemple travaillé sur l’affaire Adama Traoré. Il transpose en France les méthodes d’une association britannique, Forensic Architecture, qui maîtrise parfaitement les méthodes de visualisation 3D de l’architecture contemporaine. Cela donne à ses vidéos un caractère spectaculaire. Mais comme on sait, les immeubles à bâtir sont souvent très enjolivés dans les documents publicitaires produits par ordinateur…
En l’occurrence, la première partie de la vidéo réalisée par Index utilise essentiellement des images provenant d’une caméra de surveillance et de smartphones de participants à la fête. Des images authentiques, donc. Elles contredisent d’ailleurs certains bobards qui ont couru à l’époque. Par exemple, il a souvent été question d’une « charge policière » sur le quai Wilson. La vidéo montre qu’il n’y a pas eu de charge. Elle montre aussi à quel point il était aberrant d’autoriser un rassemblement de personnes potentiellement pas dans leur état normal sur un site aussi dangereux.
Un réquisitoire orienté
Mais les auteurs de la vidéo ne laissent pas au spectateur le soin d’observer eux-mêmes les images : ils mettent en valeur certains détails et en donnent une interprétation orientée à leur guise. Exemple au ras des pâquerettes : la vidéo montre un homme environné d’un nuage de gaz lacrymogène, qui heurte une voiture en stationnement. Conclusion : il était aveuglé par les gaz, et voilà pourquoi Steve Maia Caniço est tombé à l’eau. Aucune des autres raisons pouvant expliquer le comportement approximatif de cet homme n’est envisagée. Ailleurs, c’est une hypothèse sur la localisation de Steve Maia Caniço au moment de sa chute qu’on affecte de prendre pour une certitude.
Derrière son apparente objectivité, la vidéo s’apparente donc plus à un réquisitoire à charge qu’à une enquête objective. Sa démonstration converge habilement vers une conclusion : « il est fortement probable que Monsieur Maia Caniço ait été affecté par du gaz lacrymogène au moment de sa chute dans la Loire ». Cette conclusion décevra certains militants : « fortement probable » ne signifie pas certain, et « affecté » ne signifie pas « poussé à l’eau ». Mais elle se garde de dire ce qui saute aux yeux : il est encore plus fortement probable que sans l’installation de sound systems sur un quai non protégé, Steve Maia Caniço serait encore en vie.
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Une réponse à “Affaire Steve à Nantes : encore une violation du secret de l’instruction”
Je lis dans la presse que la vidéo a été commandée par le juge d’instruction. Si c’est vrai, c’est gravissime. Elle est destinée à guider (habilement, d’ailleurs) le public vers une conclusion déterminée à l’avance. Ce n’est pas une expertise impartiale. Vu le pedigree d’Index, le juge pouvait difficilement attendre autre chose. Et la divulgation de la vidéo dans la presse donne quand même à penser qu’il s’agit d’une manoeuvre de communication plutôt que d’un acte d’instruction.