Philippe Henne (Face au scandale du mal) : « les Pères de l’Église nous rappellent qu’un homme, quand il se sait aimé, est invincible » [Interview]

Comment peut-on parler d’un Dieu bienfaisant face à toutes les catastrophes qui accablent le monde ?

C’est à cette question que tente de répondre le Père Philippe Henne dans son nouvel ouvrage paru aux éditions Salvator : Face au scandale du mal. L’enseignement des Pères de l’Eglise (à commander ici)

« Malgré les ravages du mal, beaucoup résistent, se redressent et ne se laissent pas écraser. Ni l’exil ni le martyre n’empêchèrent Ignace d’Antioche et Jean Chrysostome de proclamer leur confiance en un Dieu très bon. Alors que la peste et la famine frappaient des peuples entiers, Basile de Césarée et Grégoire le Grand soulagèrent la misère des victimes autour d’eux. De leur côté, Origène et Augustin cherchèrent à expliquer ce déferlement de tant de misères. Leurs paroles et leurs actes, leur exemple et leur enseignement ont ranimé le courage des uns et l’inventivité des autres. Leur témoignage reste d’actualité parce qu’il réveille chez nous, non seulement la foi en un Dieu bon et miséricordieux, mais aussi le désir de vivre dans la paix et l’espérance, en dépit des nombreuses crises qui nous affectent » indique l’éditeur.

Nous avons interrogé le Père Philippe Henne pour discuter de cet ouvrage très intéressant et instructif.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Bonjour, je suis le Père Philippe Henne, je suis dominicain. J’ai étudié à Fribourg (Suisse) et Louvain-la-Neuve. J’ai enseigné à l’Ecole biblique de Jérusalem et à l’Université catholique de Lille. Je suis maintenant à la retraite et je vis au couvent de Liège (Belgique). Je travaille comme aumônier à l’hôpital universitaire de cette ville.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre ?

Père Philippe Henne : Je venais d’écrire un livre sur L’Eglise face au fanatisme en particulier chez les premiers chrétiens. C’était en réponse aux questions que tout le monde se posait suite aux attentats terroristes : est-ce que la foi chrétienne conduit à la haine de son voisin ? J’ai voulu poursuivre cette réflexion, en vivant cette période de pandémie et de guerre avec ses graves conséquences humaines et économiques. Je me suis demandé comment on pouvait parler d’un Dieu bon et bienveillant dans de telles circonstances. Pour répondre à cette question, je me suis tourné vers les débuts de l’histoire de l’Eglise pour entendre la voix des premiers chrétiens. Ils avaient cherché à associer leur foi en un Dieu bon et miséricordieux avec l’existence du mal au milieu d’eux.

Breizh-info.com : Qu’est-ce que le « scandale du mal » que vous évoquez ?

Père Philippe Henne : Le mal est par définition un scandale, c’est-à-dire c’est quelque chose qui nous choque et nous révolte. En grec, le mot scandalos désigne une pierre sur laquelle on achoppe et qui fait tomber. Et beaucoup de gens sont maintenant désorientés par la pandémie et la guerre. Ils ne savent plus quoi penser, ni vers qui s’orienter.

Breizh-info.com : Quel rôle doit jouer selon vous l’Église dans la crise de confiance actuelle ?

Père Philippe Henne :L’Église doit faire ce qu’elle a toujours fait : accompagner les nécessiteux par une aide matérielle concrète et nous rappeler notre dignité d’enfants de Dieu. De nombreuses organisations humanitaires sont à l’œuvre, et parmi elles il y a Caritas catholica. Elles sont sur place à la fois dans la rue pour secourir les sans-abris et dans les zones sinistrées pour rebâtir les maisons et les hôpitaux. Je travaille moi-même dans une organisation basée en Belgique, Solidarité Orient, qui soutient les chrétiens en Syrie et en Irak, et qui accueille les réfugiés de tous ces pays. Mais là ne s’arrête pas le rôle de l’Eglise. Elle doit aussi rappeler aussi à tous les hommes, riches et pauvres, qu’ils restent des êtres humains, pleins de dignité. C’est pour cela que je vais deux fois à l’hôpital rencontrer les malades et les mourants.

Les hommes d’aujourd’hui perdent parfois confiance dans l’avenir, mais beaucoup viennent en aide à leurs frères démunis. Et c’est ainsi qu’ils manifestent leur humanité. Il n’y a pas de société idéale, ni de période magnifique, mais il y a une façon chrétienne de vivre dans la société.

Breizh-info.com : Quels sont les exemples dans l’histoire que vous estimez être dignes de modèles à suivre ?

Père Philippe Henne : Il faut tout d’abord citer Grégoire le Grand. Il a été élu pape en 590 quand la ville de Rome était ravagée par la peste et par la famine. Il a aussitôt organisé de grandes processions de prières. Il a alors prêché sur la miséricorde de Dieu, en citant les prophètes juifs qui avaient connu l’exil. Mais il a aussi commandé deux bateaux de blé. Il a tenu les deux éléments de la vie humaine : l’aspect concret, matériel et l’aspect spirituel. Il vivait pourtant dans une période dramatique : c’était l’effondrement de l’empire romain et l’installation définitive des barbares en Gaule, en Italie et en Espagne. Il a établi des relations diplomatiques avec ces nouveaux royaumes, qui se sont finalement convertis au christianisme. Il a envoyé des missionnaires en Grande-Bretagne, où les Angles païens avaient repoussé les Celtes chrétiens. Grégoire est un modèle parce qu’il n’était pas prisonnier du passé : il acceptait la situation nouvelle et il lui donnait une perspective chrétienne.

Il faut ajouter Basile de Césarée (329 – 379). C’était le fils d’un riche propriétaire terrien en Cappadoce. Il avait tout quitté pour vivre comme moine dans la pauvreté et la prière. C’était un maître spirituel exceptionnel. C’est lui qui rédigea les règles monastiques qui sont encore appliquées maintenant dans les monastères d’Orient. Il n’est pourtant pas resté indifférent devant la misère et la famine de son temps. Il a développé autour de ses monastères des ateliers où les plus démunis pouvaient trouver du travail et un logement. Car les monastères servaient alors d’auberges pour les marchands qui traversaient le Proche Orient. Il fallait donc réparer les chariots et soigner les chevaux. C’était à cela que travaillaient les mendiants recueillis par Basile. On appela vite ces refuges des « basiliades », du nom de leur fondateur. Basile trouvait donc dans la prière et la méditation des idées nouvelles pour aider les pauvres autour de lui.

Signalons enfin Irénée de Lyon, mort vers 202. Comme beaucoup d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, c’était un déraciné. Il était né près de Smyrne, sur la mer Méditerranée. Il avait bien connu saint Polycarpe, l’évêque de cette ville. Celui-ci avait lui-même fréquenté l’apôtre Jean. C’était donc riche de cette tradition orale qu’il partit et s’installa à Lyon. Il y avait là une communauté chrétienne qui avait été durement frappée par les persécutions et qui était divisée en multiples factions. Mais Irénée leur parla avec une telle profondeur qu’il fut élu évêque de cette ville gauloise. Sans doute son déracinement l’avait poussé à chercher plus profondément dans sa foi la place de Dieu dans sa vie. Pour nous qui vivons dans un monde déboussolé, c’est un modèle et une invitation à chercher en nous-mêmes la source vive de l’amour de Dieu qui nous rend créatifs et inventifs en toute circonstance.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qu’enseignent les Pères de l’Église, et comment l’appliquer à notre époque, pour ceux qui suivent ces enseignements ?

Père Philippe Henne : Les Pères de l’Église nous rappellent qu’un homme, quand il se sait aimé, est invincible. C’est l’amour qui permet à un homme de se relever et de marcher. Les chrétiens ont vécu les persécutions, puis les grandes invasions barbares. Dans l’effondrement de toutes les valeurs politiques et sociales de l’époque, ils ont gardé confiance en Dieu qui leur disait qu’ils étaient beaucoup plus que de simples citoyens romains : ils étaient enfants de Dieu.

Il ne faut donc pas chercher de recettes toutes faites chez les Pères de l’Eglise, mais il faut se laisser emporter par leur enthousiasme et leur désir de vivre. Ils se savaient soutenus par Dieu. Ils savaient qu’ils pouvaient dépasser la violence des événements en trouvant en eux-mêmes, grâce à Dieu, la force et l’énergie de vivre et d’entreprendre.

Propos recueillis par Yann Vallerie

Crédit photo : DR
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2 réponses à “Philippe Henne (Face au scandale du mal) : « les Pères de l’Église nous rappellent qu’un homme, quand il se sait aimé, est invincible » [Interview]”

  1. Pschitt dit :

    Deux bateaux de blé pour guérir la famine à Rome : quelle clairvoyance, quel esprit de décision chez Grégoire !

  2. Elruf dit :

    L’explication de notre monde par un dieu créateur n’est pas réaliste. En particulier la loi de limitation des espèces animales prolifères par des prédateurs est absolument cruelle et inadmissible. Tous les jours, en France, c’est des millions de jeunes êtres innocents qui sont condamnés à mourir de soif et de faim dans leur nid parce que leur mère allaitante a été attrapée par un prédateur. Dans les haies, on trouve aussi dans des nids de petits oiseaux des oisillons desséchés car leurs parents ont été attrapés par des prédateurs. Quant aux loups, ils mangent leur proie vivante. Ils commencent même par la partie la plus sensible, le ventre et ses succulentes entrailles dont il raffolent. Tout cela est révoltant, un dieu créateur ayant inventé ces lois ne serait qu’un salopart !! On pourrait se dépêcher d’aller le fusiller … Le mystère demeure.

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