Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Gastronomie. « Il ragù di Manzo alla Genovese » au menu ce dimanche midi !

Dans cette chronique hebdomadaire, je vous proposerai des recettes originales et historiques, réconciliant ainsi deux aspects de ma personne, celle d’historien et celle patron de bistrot. Elles seront faciles à réaliser mais surtout liées à l’histoire d’un territoire ou de grands hommes. La gastronomie traditionnelle raconte une terre, des traditions, elle s’inscrit donc dans l’idée d’un combat identitaire, soulignant les diversités qui nous sont chères d’une région à une autre, écologique, travaillant des produits locaux et de saison, et éthique, réduisant au maximum le gaspillage et s’opposant au modèle uniformisé du fast food.

Il ragù di Manzo alla Genovese : qu’est ce que c’est ?

La recette d’aujourd’hui est l’antithèse par excellence du fast food puisqu’il vous faudra sept heures de cuisson pour réaliser ce plat, « il ragù di Manzo alla Genovese », le bœuf à la Génoise en français dans le texte. Comme la semaine dernière, malgré le nom de cette recette, nous restons à Naples, Neapoli, la riche colonie grecque. Après la période romaine, elle sera pendant des centaines d’années la véritable capitale du sud de la Péninsule alors que Rome s’était repliée sur elle-même comme capitale de la chrétienté. Naples brillait par ses fastes, son université attirait de nombreux penseurs, son port lui assurait la prospérité. Naples était convoitée, Naples était puissante et riche, elle sera tour à tour Angevine et Aragonaise, Bourbonnaise. La capitale du Royaume des Deux-Siciles fascinait tous les visiteurs et notamment par la richesse de sa cuisine. Si cette dernière est si riche, c’est bien sûr en partie due à son histoire mais aussi à ses exceptionnels terroirs et son climat. De la plaine de la « terra dei fuocci » aux pentes riches du Vésuve et son sol volcanique, tout pousse en Campanie. On y élève des bufflonnes dont le lait produit une merveilleuse mozzarella qui n’a évidemment rien à voir avec le caoutchouc blanc insipide que l’on trouve dans les supermarchés.

Revenons tout de même à notre recette, si je l’ai choisie cette semaine, c’est qu’elle est un concentré d’histoire, elle est entourée de mystère et surtout elle est délicieuse ! La « Genovese » est à la fois un « primo piatto », c’est-à-dire une sauce pour un plat de pâtes et un « secondo piatto », la viande pouvant se manger séparément accompagnée de légumes. Il y a deux ingrédients principaux, du bœuf à braiser et énormément d’oignons. Pour 800 gr de viande il faudra 1,5 kg d’oignon. C’est donc une recette très économique. Je vous entends déjà dire, il est fou, il nous parle de Naples et nous propose une recette Génoise. C’est justement là où réside le mystère de cette recette. On se bat pour en savoir les origines ce qui nous donne l’occasion d’un jolie voyage dans l’histoire de la ville.

En 1285, Le Liber de Coquina, un livre de cuisine écrit en latin vulgaire dédié à Charles II d’Anjou, alors seigneur de la ville, mentionne un plat « la Tria Genovese », le terme Tria désignant un sorte de pâte dans le latin du Bas-Moyen-Age. On y parle de la cuisson lente de la viande, des oignons et des carottes. Le livre est aujourd’hui conservé dans les archives de la BNF. Les Angevins seraient-ils à l’origine de ce plat? Ils auraient apporté avec eux une variante du « Bœuf Mode » qui figurait déjà sur les tables royales au Moyen-âge. Une chose est sûre, c’est qu’aujourd’hui encore, c’est aux Angevins que l’on doit le monument le plus spectaculaire de la cité parthénopéenne, la fameux Castel Nuovo connu aussi sous le nom « Maschio Angioino », le « mâle Angevin », surnom du à son imposante tour, le phallus d’Anjou, dressé au cœur de la ville qui montrait toute la puissance de ces nouveaux seigneurs. J’entends déjà nos lecteurs d’Angers exulter. Pourtant tout angevine que pourrait être cette recette, cette théorie n’explique en rien le nom, quel rapport pourrait-on trouver avec la ville de Gênes ?

Après presque deux siècles de domination, les Aragonais prennent le relais des Anjou. Sous la domination espagnole, les Républiques maritimes prennent de l’importance. Naples, Amalfi, Gênes deviennent les ports les plus importants de la péninsule et les échanges commerciaux ne cessent d’augmenter. Ainsi, à proximité du port de Naples existait une ruelle, « il vicolo delle Genovesi », où se retrouvaient les marins génois. Certains affirment qu’ils cuisinaient un plat quasiment sans viande mais avec des oignons en abondance soit du à leur modeste condition de marin ou, comme il est dit parfois avec un peu de méchanceté, car ils étaient connus pour être avares (probablement car ils étaient d’habiles commerçants). Remplaçant la viande par des oignons, le plat coutait effectivement très peu. Pourtant, là aussi, cette théorie prend vite l’eau car il n’existe pas de plat similaire dans la cuisine génoise. Ainsi on voit mal comment ces marins auraient pu le cuisiner à Naples et pas de retour chez eux… Le mystère demeure.

Et si la recette ne tirait pas son nom de la capitale ligure mais bien d’un homme du nom de Genovese ? Ce nom de famille est particulièrement diffusé en Campanie et ceci expliquerait que l’on écrive « Genovese » avec une majuscule. Voici l’explication qui pourrait finalement mettre tout le monde d’accord mais qui a aussi donné naissance à une autre légende. Avançons encore dans le temps. La fin de la domination des Aragonais voit l’avènement des Bourbons. Avec eux, serait arrivé un cuisinier d’origine… Suisse ! Ce Genevois talentueux aurait régalé la cour du royaume des Deux-Siciles. Les Napolitains l’aurait alors surnommé « O’Genoves » en référence à sa ville d’origine : Genève et non pas Gênes. Sa recette de Bœuf aurait ainsi peu à peu pris le nom de « Manzo alla Genovese ». Ainsi la recette serait Suisse ! Là encore, on ne saurait trancher définitivement, ainsi je vous propose finalement de passer à ce qui nous intéresse le plus…. La recette ! Je vous indiquerai seulement celle que j’ai essayée mais en cherchant vous trouverez autant de variantes que de personnes s’appelant Genovese à Naples mais cela nous prendrait trop de temps. Cette dernière est très simple, demande peu d’attention, juste du temps.

Il ragù di Manzo alla Genovese : la recette

Ingrédients pour 4 : 1,5 kg d’oignons jaunes, 800 gr de bœuf à braiser, 100 gr de jambon cru coupé en dés, 500 gr de pâtes (idéalement les ziti sinon les rigatoni), parmesan, huile d’olive, sel et poivre.

Tout d’avoir, après avoir épluché les oignons, placez-les dans une grande casserole d’eau froide. On porte à ébullition et on les laisse cuire une minute. Après les avoir égouttés et laissés tiédir, on les tranche finement à l’aide d’un couteau bien aiguisé. Dans une grande cocotte faites dorer la viande à feu vif dans un peu d’huile d’olive. On laissera la pièce de viande quasiment entière comme pour un pot-au-feu. Une fois dorée de tous les cotés, on recouvre le tout des oignons ciselés, on y mélange les dés de jambon, on sale et l’on poivre, l’on baisse le feu au minimum et l’on couvre. Vous serez certainement impressionné par la quantité d’oignon, n’en faites rien, c’est là que réside tout le secret de la recette. Les oignons ne vont pas tarder à relâcher leur eau et c’est cette eau de végétation qui va cuire la viande et se réduire peu à peu laissant un délicieux condiment pour vos pâtes. La cuisson durera environ 7 heures, toutes les heures vous prendrez soin de mélanger.

Une fois le temps écoulé, retirez et réservez la viande, elle s’effilochera très facilement, elle sera votre « secondo », votre plat principal que vous pourrez servir avec le légume de votre choix. Le reste de la sauce composée d’oignons fondus, de dès de jambons confits et bien sur d’un peu de viande qui se sera détachée du morceau principal, sera la sauce pour un délicieux plat de pâtes (vous pouvez aussi y effilocher un peu de viande). A Naples on aime utiliser les Ziti, pâtes très longues ressemblant un peu à un cierge. Ils sont cassés à la main, de la largeur d’un poing, au dessus de la sauce avant d’être cuits dans l’eau bouillante salée. Les petits morceaux de pate qui tombent dans la casserole de sauce quand on brise les pates viennent ajouter à la consistance. Les Ziti étant durs à trouver, on pourra utiliser des Rigatoni « trafilatti al bronzo », c’est-à-dire extrudés dans des moules en bronze, gage de qualité et qui confère aux pates une surface rugueuse qui permet à la sauce de bien adhérer. Une fois les pates cuites, on les jette dans la sauce et on mélange bien directement dans la casserole. On ajoute un peu de parmesan au moment de servir. Si par malheur le mélange est trop sec (difficile), on peut ajouter un peu d’eau de cuisson des pates que l’on aura réservé avant de les égoutter. L’amidon servira alors de liant à la sauce.

C’est prêt !!

Pierre d’Her

Crédit photo : breizh-info.com

[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

0 réponse à “Gastronomie. « Il ragù di Manzo alla Genovese » au menu ce dimanche midi !”

  1. marsaudon dit :

    super! continuez !

  2. VIBES dit :

    très agréable à lire/instructif… et appétissant:
    bravo et merci

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Société

« Le patriarcat n’existe plus, garçons fragiles et immigration sources des féminicides » : l’analyse à contre-courant du ministre de l’Éducation italienne

Découvrir l'article

Immigration, International

Italie. Immigration : une hausse record des demandes d’asile en 2023

Découvrir l'article

Immigration, International

Italie. Immigration : Meloni doit aussi composer avec les ONG pro-migrants

Découvrir l'article

A La Une, Immigration, International, Politique, Sociétal

Italie. Insécurité : Matteo Salvini dénonce « certains juges communistes qui n’appliquent pas les lois »

Découvrir l'article

International, Société

GPA : l’arrestation de deux Italiens en Argentine révèle un réseau de vente de nouveaux-nés ?

Découvrir l'article

International

Tyrannie des juges en Italie sur la question migratoire. Des magistrats bientôt sanctionnés ?

Découvrir l'article

A La Une, Immigration, International

« En 5 ans, 11 141 Italiennes ont été violées par des étrangers ». Le dernier livre choc de Francesca Totolo vient de sortir [interview]

Découvrir l'article

Immigration, International, Religion, Sociétal

Italie. « Sans migrants, notre pays ne peut pas vivre » selon un archevêque

Découvrir l'article

International, Société

Le sénat italien a voté l’interdiction de la GPA, même à l’étranger

Découvrir l'article

Immigration, International

Scandale transfert des migrants en Albanie : seulement 16 individus à bord

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky