Le 4 février, s’est tenu à Aix-en-Provence, au mémorial du Camp des Milles, un colloque sur les forces et fragilités de l’Etat de droit. De nombreuses autorités (notamment judiciaires), locales et nationales étaient présentes en tant que participants aux échanges ou en simples auditeurs.
Alors que, compte tenu de la charge mémorielle du site et du sujet brûlant d’actualité qu’est l’Etat de droit, on aurait pu s’attendre au moins à un questionnement sur la direction autoritaire que prennent l’Etat français et l’Union Européenne, il n’a été question que de fustiger toute opposition ou voix dissidente au pouvoir central français ou européen.
Les prises de parole n’ont été finalement qu’une alternance entre des affirmations péremptoires accusant les détracteurs du libéralisme autoritaire, et des appels à une meilleure reconnaissance du pouvoir judiciaire dans les institutions, gage d’un véritable Etat de droit, et surtout de leur position éminente dans la société. Mais ne nous y trompons pas : des idées très intéressantes et légitimes appuyaient les propos. Malheureusement, ces idées étaient tordues par les orateurs afin de les détourner de leur sens initial, voire pour les retourner contre leur sens initial.
La bal des poncifs
Outre les tartines de parallèles douteux entre les nazis et les opposants au mondialisme libéral, avec les appels lourdement répétés et orientés à rester attentifs aux enseignements de l’Histoire, le préambule de Mr Alain Chouraqui, du haut de son autorité morale et mémorielle, a immédiatement donné la couleur. Tout y passe dans les symptômes éculés des menaces pour la démocratie :
-le fameux repli identitaire, qui n’est en fait que la tentative de préserver un semblant d’identité culturelle, quand les sapins de Noël sont voués aux gémonies, que l’histoire du pays est au mieux niée, au pire agonie, que le halal devient une norme par défaut dans de nombreux abattoirs et que la galanterie est taxée d’agression sexuelle, parmi tant d’autres choses.
-La défiance vis-à-vis des élites, due à des discours populistes d’irresponsables, et à la trop grande liberté des « réseaux sociaux » (qui étaient si formidables lors des « printemps arabes » et du coup d’état d’« Euromaïdan », et qui sont très largement dominés et censurés par les mondialistes libéraux, mais qui seraient encore trop libres). Aucune remise en question du pourquoi de la critique des élites et de la si grande perméabilité aux « vilains discours populistes ». Il faudrait que les peuples acceptent tout sans broncher.
-La perte de repères par la remise en cause de principes bien établis comme le respect des élus, des journalistes, de la police, des droits de l’homme… Du système en somme.
Puis, dans l’introduction, Robert Badinter, parrain de l’événement, a mené une charge directe contre les démocraties illibérales, dont il considère que le nom même est une ineptie. Il n’a cependant pas justifié pourquoi. Nul besoin, car le public était servilement acquis et buvait les paroles du grand ancien. Et de mettre en garde contre une fausse idée de la démocratie qui serait de la limiter à un renouvellement de ses décideurs par des élections régulières. En effet, la deuxième jambe d’une démocratie saine est l’Etat de droit, à savoir un corpus de règles visant à éviter l’arbitraire et permettre la contradiction, en se fondant sur des valeurs, que sont les droits fondamentaux. C’est le garant des libertés publiques face à l’action de l’Etat. Il est fondé sur une indépendance du pouvoir judiciaire. Ce corpus doit être en outre établi par un processus légal, légitime et démocratique.
Cette idée est en effet juste, mais comme toutes les réflexions pertinentes, elle est tordue pour arriver à l’idée maîtresse : La démocratie est en grand danger face au peuple inculte et manipulé, dont le pouvoir électoral doit être limité par des institutions éclairées et capables d’exercer un contre-pouvoir réel face à des élus abusifs. On aurait cru que ce message pouvait s’adresser à la politique menée actuellement par les dirigeants français et nombre de leurs partenaires européens. Et bien non, ce fut tout le contraire.
Le peuple, ce danger à contenir (pour son bien)
-L’Etat d’urgence quasi permanent que fit la France depuis 7 ans ? Une nécessité compte tenu des « circonstances exceptionnelles ».
Pas de remise en cause de ces restrictions draconiennes des libertés publiques ni de l’apartheid pour « emmerder » les Français. Aucune question sur la légitimité de ces Etats d’urgence, ni sur la pérennisation de leurs lois d’exception. Pire que ça, Mme Noëlle Lenoir, ancien membre du Conseil Constitutionnel (CC), juge l’actuel bien tiède, et affirme qu’elle serait allée bien plus loin, notamment avec la vaccination obligatoire (Outre cette dérive délirante-et hors sujet, personne ne lui rappelle que ça n’est pas le CC qui propose les lois, il ne fait que juger de leur constitutionnalité). Ils en appellent même opportunément à la référence historique de la république romaine qui avait mis en place le système de la dictature en cas d’urgence, en oubliant qu’il ne pouvait excéder 6 mois, le temps de faire revenir les choses dans l’ordre. On a largement excédé les 6 mois, le président a avoué l’évidence qu’il voulait emmerder les Français, et le but n’est pas un retour à l’ordre, bien au contraire. Si l’état d’urgence n’existe que dans un état de droit, son activation doit bien être légitime, temporaire, et au profit de tous.
-Le contrôle total d’internet avec l’identité numérique et la fin de l’anonymat ? Plus qu’une fatalité, un souhait des intervenants, évidemment pour lutter contre les fameux « messages de haine », fourre-tout regroupant tout ce qui n’est pas en accord avec leur vision du monde et de la société.
Finalement, ce colloque décevant regroupant un très large panel du pouvoir judiciaire français actuel et à venir, n’a eu de cesse de rappeler qu’une démocratie reposait, en plus des élections régulières, sur l’Etat de droit, garant des libertés publiques face à l’autorité arbitraire de l’Etat. Fidèle au « en même temps », il fustigeait les citoyens populistes/complotistes/extrémistes… de défendre des libertés publiques de manière égoïste. On marche sur la tête.
Très politisé, avec des prises de position parfois hasardeuses, la réflexion symptomatique de l’animatrice de la 1ère table ronde, Mme Noëlle Lenoir, était très représentative du décalage de ce colloque. Elle a ainsi affirmé : « L’Etat de droit, garanti par le pouvoir judiciaire, était façonné au sortir de la seconde guerre mondiale pour limiter l’action de l’Etat face au peuple. Ça n’est aujourd’hui valable que pour des pays comme la Russie ou la Turquie, ou d’autres d’Europe centrale, mais chez nous ce serait plutôt… ». Quand elle a réalisé que sa phrase allait logiquement se terminer par le fait de limiter l’action du peuple face à l’Etat, elle s’est ravisée, comprenant instinctivement l’aberration réaliste de son propos.
Le colloque de l’entre-soi s’est clôturé avec Mme Dominique Lottin (qui a validé le pass vaccinal au CC) comme il avait commencé, avec de grandes considérations morales sur les libertés publiques à défendre face à la menace des extrêmes, sans aucune remise en cause de l’arbitraire actuel et délirant. Et ces grandes âmes qui appellent à « l’éducation au Droit » des masses incultes ne se sont jamais posé la question de ce paradoxe :
Alors qu’ils citent le Rule of Law anglais, où il est précisé que la loi doit être claire, précise et fonctionnelle (dans le but d’être accessible à tous et applicable), leur système judiciaire est impénétrable pour un non initié, biaisé par des procédures complexes, et les lois qu’ils valident n’ont aucune de ces qualités. Et on ne parle même pas du critère primordial pour une loi : qu’elle soit juste…
Jean-Pierre LAMORGUE
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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Une réponse à “Forces et fragilités de l’Etat de droit. Le colloque de l’ENTRE-SOI des magistrats à Aix-en-Provence.”
Ouf ! On a eu peur : nos éminents professeurs de droit de nos universités pourront continuer à enseigner les grands principes juridiques, démocratiques, constitutionnels de séparation des pouvoirs, d’indépendance de la justice … sans avoir à s’interroger sur ce qui se passe dans nos pays occidentaux ni à ouvrir les yeux sur une situation susceptible de les rendre aveugles sur-le-champ.