« La crise du coronavirus qui frappe la planète entière est un puissant révélateur des bouleversements géopolitiques majeurs que nous affrontons. ». Un quart de siècle après le célèbre livre de Zbigniew Brzezinski Le grand échiquier, des personnalités parmi les meilleurs analystes en relations internationales réunies sous la direction de Jean-Claude Empereur et de Charles Zorbigre publient Le Nouvel échiquier. Un ouvrage fondamental – ceux consacrés à la géopolitique sont rares en France – qui tente d’apporter une réponse aux nouveaux enjeux géopolitiques.
Où en est la société internationale après la crise de la Covid-19 ? De l’ensemble de la quarantaine de contributions que rassemble le livre, fruit d’une rencontre informelle entre des femmes et des hommes venus d’horizons divers, il apparaît, comme le précise J.C. Empereur, qu’un ensemble de lignes de forces se dégage, au moins provisoirement compte tenu de la complexité et du caractère évolutif de la situation :
– le basculement vers l’Indo-Pacifique et plus particulièrement la Chine est une réalité qui dominera le paysage géopolitique du XXIe siècle.
– au-delà d’une simple guerre économique, c’est à un conflit technologique de haute intensité, numérique principalement, que se livrent les États-Unis et la Chine. Cette rivalité exacerbée a pour objectif la domination du monde.
– De nouveaux types d’acteurs apparaissent : États-civilisations (Chine, Inde, Turquie…) et proto-États (Banques centrales, Opérateurs du numérique…). Citant le géopolitologue chinois Zhang Weiwei – « La Chine est désormais le seul pays au monde qui a fusionné dans une démarche imparable et irréversible la plus longue civilisation continue du monde avec un immense État moderne » – J.C. Empereur rappelle que le concept d’État-civilisation, « mêle logique d’empire et choc des civilisations, offrant ainsi une nouvelle forme aux idées défendues jadis et très souvent présentées comme dépassées par Samuel Huntington. ». On est là en présence, poursuit-il, « d’un bouleversement complet des paradigmes de la mondialisation en contradiction totale avec ceux exprimés à Davos par les tenants, par trop déconnectés de la mondialisation heureuse, d’un gouvernement mondial et d’un « Grand reset » économique et financier dirigé par l’Occident ».
– l’Europe, quant à elle, en pleine période de désarroi économique, institutionnel et sociétal, court le risque, si elle ne réagit pas, par la mise en oeuvre d’une stratégie d’indépendance et surtout de non-dépendance de grande ampleur, d’une double vassalisation à la fois chinoise et américaine. « Écartelée entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud, les frugaux et les prodigues, les libéraux et les illibéraux, l’Union européenne est en voie de décomposition-recomposition. A la différence de tous les grands acteurs du monde, elle n’a aucune vision géopolitique d’ensemble, alors que tous en projettent une sur elle. Elle est au fond d’une trappe géopolitique », regrette J.C. Empereur, avant de rappeler que « les Européens doivent comprendre que, dans cette ambiance de montée des périls ils ont à s’affranchir de toute tutelle et réapprendre à agir, « sans le consentement de plus grand, ni de pareil, ni de moindre que soi », comme le prescrivait déjà, il y a cinq siècles, Jean Bodin, l’inventeur du concept de souveraineté. ».
Alors les jeux sont-ils faits ? Non, répondent les auteurs. Selon eux, la Chine peut rencontrer des difficultés économiques et politiques de nature à réduire ses ambitions, les États-Unis, qui font face à de graves difficultés, ont toujours su faire preuve de résilience et l’Europe, consciente d’être au bord du gouffre, peut se ressaisir comme elle l’a montré maintes fois dans son histoire millénaire.
Et la France ? « Il est temps, souligne J.C Empereur, qu’elle se souvienne que par sa présence ultra-marine sur l’ensemble de la planète, elle est mieux placée que quiconque pour s’affirmer dans l’Indo-Pacifique, pivot géopolitique de demain, tant dans son propre intérêt que dans celui de l’Union européenne. »
Mais « le futur est encore loin d’être écrit », concluent les auteurs de ce remarquable ouvrage qui apporte un éclairage indispensable sur la situation internationale post pandémie. À la veille d’une élection présidentielle décisive, un livre à lire pour mieux juger des aptitudes des candidats à diriger la France dans ce contexte de Nouvel échiquier…
Le Nouvel Échiquier, la société internationale après la crise de la COVID 19 sous la direction de J.-C. Empereur et C. Zorgbibe Éditions VA
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine