Ce 24 juillet, il fait relativement chaud à Paris, et à quelques centaines de mètres de la place Trocadéro, à midi, il y a déjà une manifestation. Contre la récente décision du Pape de s’attaquer à la messe traditionnelle, près de la nonciature apostolique vers Alma-Marceau. En remontant l’avenue, l’on tombe sur des manifestants qui affluent de partout au rassemblement statique de la place Trocadéro.
Des drapeaux français partout, sur fond de Tour Eiffel, et des panneaux oranges Philippot. Quelques femmes voilées dont une au premier rang, une jeune fille enroulée dans un drapeau qui répond à Al Jazeera, un jeune homme à côté d’elle qui change les pancartes qu’elle tient dans les mains, régulièrement. Sur la scène, un jeune homme fait la claque et les annonces, se suivent Philippot, mais aussi une restauratrice qui annonce qu’elle n’appliquera pas le pass sanitaire – elle invite tout le monde dans son restaurant à Paris, une étudiante qui va perdre son job alimentaire, Jean-Frédéric Poisson en visioconférence, et ainsi de suite.
Le programme semble bien ficelé. Les slogans aussi (liberté, Macron démission), mais des manifestants avec des mégaphones réussissent à faire entonner d’autres slogans parfois moins mesurés. Des drapeaux français partout – ce qui frappe, c’est la quasi absence de drapeaux régionaux, à part un Lion des Flandres esseulé et un jeune homme qui porte le drapeau de l’Essonne – soleil, bande blanche et fleurdelisé.
Sous les drapeaux français, l’on trouve des manifestants de partout. Adrien, 24 ans, vient de Lyon. Pourquoi ici plutôt que sur les bords brumeux de la Saône ? « C’est tout de meme à Paris qu’est le rassemblement le plus important, et c’était nécessaire de venir ici, au moins une fois ». D’ailleurs, il n’est pas seul, on retrouve à ses côtes trois autres jeunes de l’agglomération lyonnaise.
Jean-Michel et Thérèse, la cinquantaine, viennent du Nord. «C’est important de rappeler à Macron, même s’il prend du bon temps à l’autre bout du monde [en voyage à Tahiti, puis au Japon pour les JO] que le peuple français existe, et qu’il ne pourra pas transformer la France en Chine en 48 heures parce qu’il s’est levé du mauvais pied, les chocolats de Brigitte n’étaient pas bon, et il a décidé de dire à la télé que. Ça ne se passe pas comme ça, et s’il n’est pas content, il peut dégager, la France ne l’a pas attendu pour exister et se sortir de situations historiques bien plus compliquées »
Marie-Cécile est basse-normande – elle est de l’Avranchin, chez les voleurs du Mont saint Mich’. « Venir à Paris, ce n’est pas si loin. C’est à l’autre bout de la ligne de train [Paris – Granville] mais comme c’est un Intercités, dans quelques jours elle sera inaccessible aux gens non vaccinés, et toute notre desserte locale va tomber à l’eau. Réserver les trains aux gens vaccinés ou devoir dépenser en octobre 50 € [49€ pour un test PCR] pour pouvoir prendre le train, même pour aller dans l’Orne, c’est absolument n’importe quoi. On a déjà des campagnes à la traîne, c’est à croire que Macron veut encore plus creuser le fossé. Qu’il fasse attention, nous on a des fourches ! ».
En cherchant un peu, difficilement, on a trouvé quelques Bretons – le nombre et le maillage des rassemblements bretons, 24 sur les cinq départements, y compris dans des petites villes (Lamballe, Guingamp, Moëlan sur Mer…) en a retenu plus d’un. Néanmoins, sous un drapeau tricolore frappé du Sacré Coeur, on a trouvé Cédric et Julie, la trentaine : « Ah, on est les seuls bretons ou quasi ? C’est vrai qu’il n’y a pas de drapeaux régionaux, c’est assez nationaliste comme meeting. Mais il s’agit aussi de la défense des libertés de tout le peuple français, ça concerne aussi bien les Bretons que les gens de la Creuse », explique Cédric.
Julie ajoute, « le discours du 12 juillet de Macron m’a mis en colère, et ça ne retombe pas. Visiblement, je ne suis pas la seule. Macron se croit où ? Depuis qu’il est là, il a filé la poisse à la France, Notre-Dame brûle, il se met le peuple à dos une première fois, puis on a le Covid et la crise – on est loin d’être sorti de l’un et l’autre, c’est évident que cette histoire de pass sanitaire et de dérive dictatoriale sert à masquer tous ses échecs présents et à venir. Il prend bien les français pour des cons, mais même ses électeurs qui le défendaient encore ont mal au cul maintenant, ça suffit. On est là pour dire que ça suffit, et maintenant on va venir le chercher ».
Pendant ce temps là, le meeting ronronne et le fond de la place, discrètement, se vide – les organisateurs ont déjà eu le temps d’annoncer, il y a une demi-heure, qu’il y avait 100.000 personnes sur les lieux, alors pleins à craquer. Tandis que des policiers en effectifs assez faibles pour une telle affluence commencent à barrer les avenues qui mènent vers Saint-Lazare et l’avenue de la Grande Armée, l’on apprend qu’une autre manifestation, partie de la Bastille, a réussi malgré les gaz à « briser la croûte » de l’enclerclement du cortège et se frayer un passage vers Saint-Lazare, puis se rapprocher des Champs.
Par une avenue oubliée des policiers, puis la place Victor Hugo, et enfin le quartier des Ternes, des petits groupes franchissent, de Trocadéro aux Champs Elysées, certains se font même gazer avenue de la Grande Armée. Néanmoins ils débouchent, en faisant jonction avant que l’avenue Wagram ne soit barrée, et arrivent place de l’Etoile en pleine circulation – le pied de l’Arc est ceint par les véhicules de pompiers et de gendarmes mobiles, puis sur les Champs.
Malgré les gaz, le cortège bigarré, avec moins de drapeaux français et plus de gilets jaunes, réussit à barrer les Champs et à descendre par petits à-coups au milieu des touristes ébahis, quasiment jusqu’à l’angle de la rue Marbœuf, tout près de l’Elysée – vide, les motards de la BRAV [brigades de répression de l’action violente motorisées, censées s’en prendre aux casseurs et se déployer rapidement contre les manifestations sauvages] passant régulièrement en groupes, mais ne faisant guère de zèle. Las, canon à eau, gaz et désorganisation des manifestants, régulièrement coupés par la circulation, qu’ils interrompent à leur tour, font leur affaire et le cortège se disperse vers 19h30.
« Les Champs, c’est effectivement bien d’y aller, mais ce n’est guère stratégique, si on n’est pas nombreux. L’avenue est très large, ils peuvent manoeuvrer en ligne ou avec le canon à eau comme ils le veulent, et gazer assez facilement », réfléchit tout haut un manifestant plus âgé. « C’est loin de tous les objectifs utiles, et si on n’est pas assez nombreux, on est séparés par le flot de la circulation, c’est super facile pour les forces de l’ordre de scinder le cortège en petits morceaux pour mieux les réduire ou les nasser ».
« En tout cas, on a fait les Champs, c’est sympa », lui répond un manifestant plus jeune. « Et les flics, ils sont un peu comme Macron qui pense qu’il pourra enfler tout le monde et tout contrôler, ils ont encore cru qu’ils pouvaient empêcher la manif de Bastille de sortir de son parcours [vers porte de Champerret] et barrer l’accès aux Champs, sauf que les Champs c’est tellement grand que comme d’habitude ils ont oublié deux trois rues et on est passés, c’est assez révélateur ».
Il est possible que l’on soit fixé au 31 juillet – samedi prochain, en France comme en Italie où le mouvement a démarré dans la foulée contre un pass sanitaire censé entrer en vigueur le 5 août prochain – auront lieu quantité de rassemblements contre la dictature sanitaire. Dans plusieurs villes d’Italie ce samedi, notamment à Florence, les policiers ont déposé casques et boucliers et ont marché dans les rangs de la foule.
Pendant ce temps, en France, des blacks-blocks affrontaient la police à Nantes et tabassaient des manifestants pour une bannière catholique, pendant qu’à Paris les Champs étaient gazés et à Marseille, les CRS retiraient les casques pour mettre leurs calots face à des manifestants qui restaient statiques et pacifiques.
Dans la quasi-totalité des 200 et quelques rassemblements partout en province, malgré des parcours un peu sauvages (Grenoble notamment) et des manifestants qui n’ont pas hésité à aller prendre le château local (Angers) voire entrer dans la mairie et passer le portrait de Macron par la fenêtre (Poitiers), les policiers sont restés passifs, voire presque invisibles. Si la loi passe, il leur faudra en appliquer les dispositions ubuesques envers leurs proches, accepter peut-être de se vacciner contre leur gré ou de perdre leur travail. Par sa démesure et son caractère autoritaire, le pass sanitaire soulève des problématiques et des échos historiques qui ne laissent personne indifférents.
Louis Moulin
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