En cette période d’assemblées générales qui débute, les gérants de sociétés seront bien avisés de prendre quelques précautions concernant leur rémunération. Conseils par Julien Gasbaoui, avocat consacrant son activité au droit pénal des affaires.
Montant de la rémunération, contenu de la rémunération et pouvoir de l’associé majoritaire : les règles sont connues, mais en pratique le plus souvent pas appliquées. Or, devant un juge, invoquer l’usage n’est pas un argument. Mieux vaut, pour prévenir tout contentieux, respecter les règles.
Voter la rémunération en amont et pas après coup
En principe, la rémunération du gérant de SARL doit être fixée en amont. Première solution : cette rémunération peut être fixée dans les statuts. Ce qui est à déconseiller, car toute évolution ultérieure supposerait une modification des statuts. Difficilement envisageable.
Deuxième solution : une décision collective décide un montant fixe et durable, avec éventuellement un mode de calcul concernant une part variable. Dans ce cas, la rémunération devra être versée tant qu’elle ne sera pas révoquée.
Mais bien souvent, il n’est pas possible de fixer la rémunération en amont, celle-ci étant corrélée fortement à l’activité de la société. L’évidence juridique se heurte aux réalités économiques… En conséquence, l’habitude se prend de valider a posteriori la rémunération, lors de l’assemblée générale de l’année suivante. Actuellement, les SARL dont l’exercice social se termine au 31 décembre commencent à envoyer les convocations aux assemblées générales ordinaires, lors desquelles les gérants feront valider les prélèvements qu’ils ont effectués durant l’année précédente.
On pourrait s’interroger, et à l’extrême imaginer que les prélèvements pourraient encourir la qualification d’abus de biens sociaux, en ce sens que le gérant n’a pas été autorisé, comme le demande la loi, à prélever les fonds.
Une telle interprétation serait exagérée, car c’est la réalité du travail qui compte. Dès lors que le gérant s’implique dans l’intérêt de la société et que sa rémunération n’est pas disproportionnée par rapport au travail fourni, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. En revanche, le problème se posera si l’assemblée générale refuse l’approbation. Le dirigeant pourrait alors être contraint de rembourser.
Autrement dit, la possible intervention d’une AG a posteriori expose le dirigeant à un risque de remboursement de ses rémunérations.
Pour éviter ce type de désagrément, les gérants seront bien inspirés de proposer, lors de l’AG de l’année N, une résolution et un vote fixant leur rémunération pour l’année à venir N+1, pourquoi pas en s’autorisant une formule du type : « rémunération dans la limite de…. ».
Inclure les cotisations sociales dans la rémunération
Un grand classique : il faudra penser à inclure les cotisations sociales.
Les gérants majoritaires et les gérants, associés ou non, appartenant à un collège de gérance majoritaire, relèvent à titre obligatoire de la sécurité sociale des indépendants. En principe, les cotisations sont donc dues à titre personnel par le gérant lui-même et non par la société.
Ainsi, la pratique, bien ancrée, voulant que les cotisations sociales soient réglées par la société est en réalité anormale. Elle est juridiquement possible, mais dans ce cas les cotisations sociales doivent être intégrées dans la rémunération brute du gérant, qui, donc, mécaniquement, augmente. Et ce montant doit faire l’objet d’un vote des associés.
Il convient d’y insister : c’est le gérant associé qui doit les sommes à l’URSSAF et non la société qui n’en est nullement débitrice. Les cotisations du gérant sont personnelles. Si c’est la société qui paie, il faudra que le compte courant du gérant (qui devra donc être alimenté, rappelons qu’un compte courant ne peut pas être débiteur) soit débité du montant des sommes dues. Ces enregistrements comptables devront être faits même si les appels de cotisations sont reportés en cette période de pandémie.
Cette écriture comptable prouvant que c’est effectivement le gérant qui a réglé ses cotisations sociales pourra se révéler capitale en cas de contentieux !
Le gérant majoritaire fait à peu près ce qu’il veut
La question se pose régulièrement : comment des minoritaires peuvent-ils agir pour que le gérant majoritaire ne se rémunère pas de manière excessive, les privant ainsi de dividendes ?
Il faut tout d’abord savoir que la détermination de la rémunération du gérant d’une société à responsabilité limitée par l’assemblée des associés ne procède pas d’une convention. Rappelons qu’une convention réglementée doit être approuvée en assemblée générale des associés à la majorité attendue pour les décisions ordinaires ; mais l’associé ou le gérant concerné par la convention à approuver ne peut participer au vote.
La rémunération du gérant ne faisant pas l’objet d’une convention réglementée, celui-ci peut donc prendre part au vote concernant sa propre rémunération.
Que peuvent faire les minoritaires ? Certes, ils peuvent intenter un procès pour abus de majorité. Or, si la notion d’abus de majorité existe, elle est rarement efficace. En effet, pour qu’un abus de majorité soit avéré, cela suppose la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir la contrariété à l’intérêt social et la rupture d’égalité entre majoritaires et minoritaires.
À cet égard, comme en témoigne un récent arrêt, la contrariété à l’intérêt social ne saurait suffire en l’absence de rupture d’égalité*. Mais l’inverse est également vrai : la rupture d’égalité est insuffisante en l’absence de contrariété à l’intérêt social**.
Les conditions étant, rappelons-le, cumulatives, il faudra donc, pour espérer voir aboutir l’action des minoritaires, que ceux-ci démontrent que les majoritaires perçoivent des ressources excessives et que cela se fait non seulement au détriment de la structure mais aussi des minoritaires.
Un gérant minoritaire doit savoir ce qui peut lui arriver
Lors de la création d’une entreprise, il arrive qu’un associé, qui porte l’idée, soit minoritaire mais se fasse désigner en tant que gérant. Ce gérant minoritaire doit être conscient des faiblesses de sa position et des risques que son projet lui échappe. En effet, il ressort de tout ce qui précède qu’un gérant associé minoritaire pourra non seulement être révoqué, mais ensuite se trouver dans une situation où le nouveau gérant, majoritaire ou placé par les majoritaires, pourra, de fait, le priver de dividendes sans qu’une action en justice puisse le protéger.
La réaction judiciaire ne lui sera alors pas forcément favorable. Il perdra simultanément son pouvoir et ses revenus. Pour le dire en d’autres termes et plus trivialement : un associé majoritaire fait (presque) ce qu’il veut !
* Cass. com., 10 juin 2020, n° 18-15.614
** Cass. 3e civ., 18 avr. 2019, n° 18-11.881
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