Suite de la série d’articles consacrés à la Savoie, à son histoire, des articles qui ont fait réagir sur les réseaux sociaux, avec cette fois-ci un papier sur le référendum de 1860.
Napoléon III pensait que les décisions politiques importantes devaient être validées par plébiscite. Ce qu’il fit avec son propre coup d’état !
Mais ce référendum répond aussi aux idées machiavéliques de Cavour qui ose écrire le 12 mars 1860:
« Nous ne pouvons tenir aux Savoyards le langage dont nous nous servons dans nos négociations diplomatiques. Nous ne pouvons pas leur dire que nous les cédons à la France parce qu’il lui convient d’arrondir ses frontières: nous devons nous borner à leur parler de leurs intérêts »
Aux termes de complexes tractations diplomatiques entre les représentants français et ceux de Cavour, le 24 mars 1860, 20 mois après les accords ultra-secrets de Plombières, deux traités secrets préalables, le Traité de Turin est signé dans le bureau de Cavour. Ce traité est l’acte souverain de Victor-Emmanuel, duc de Savoie, cédant par sa seule autorité la Savoie à la France. La volonté populaire est vaguement évoquée par la formule imposée par le machiavélique Cavour afin de donner le change : « sans nulle contrainte de la volonté des populations. »
Paul Guichonnet, le grand historien de la Savoie, explique : « Le peuple souverain de Savoie n’est aucunement partie contractante à cet accord qui engage les souverains considérés comme les propriétaires des territoires, dont les populations suivent le sort. » Il s’agit donc bien d’un acte souverain du duc de Savoie livrant la Savoie à la France. On peut appeler ça, au mieux, un acte de vente mais le terme le plus approprié me semble félonie.
Le référendum qui va être organisé n’est donc d’aucune manière nécessaire. Mais les idées nationalistes de part et d’autre des Alpes obligent à faire croire qu’on respecte les peuples. L’opinion publique savoisienne est très divisée. L’issue du plébiscite est incertaine.
La France va donc faire immédiatement pression sur la Savoie en l’envahissant militairement grâce au retour des troupes françaises restées en Lombardie après la guerre contre l’Autriche. Ce fait est très peu connu. Le référendum aura lieu dans un pays formellement occupé par une armée étrangère. Le 1er avril 1860, les troupes françaises occupent la Savoie ! L’entrée des troupes françaises provoquent des scènes de liesse dans beaucoup d’endroits sauf dans le Faucigny et le Chablais qui voient la perspective de devenir suisses s’éloigner définitivement.
Le Traité et l’invasion de la Savoie provoquent une dernière réaction de la Suisse qui songe à une éventuelle intervention militaire à Thonon. Un aventurier, membre du Grand Conseil, tente un débarquement à Thonon…Mais tout ceci avorte piteusement.
Après le 24 mars, tous les fonctionnaires d’origine piémontaise se retirent de Savoie, laissant le pays complètement désorganisé et soumis au pouvoir militaire et politique français avant même l’organisation du plébiscite.
Le 2 avril 1860, deux gouverneurs-régents sont nommés pour diriger la Savoie dans cette période transitoire et organiser le fameux plébiscite, un à Annecy, un à Chambéry. La future structure départementale artificielle de la Savoie est déjà en place ! Ils annoncent que le référendum aura lieu les dimanche 22 et lundi 23 avril 1860 de 8 heures du matin à 7 heures du soir. Pourrons participer tous les citoyens âgés d’au-moins 21 ans nés en Savoie ou hors de Savoie de parents savoisiens, domiciliés dans la commune depuis 6 mois.
Napoléon III souhaite un plébiscite « populaire » massivement positif comme il en avait l’habitude en France… A cet effet, il envoie en Savoie son émissaire particulier le sénateur Armand Laity. Laity, polytechnicien, préfet, prototype du haut fonctionnaire français, regarde avec mépris cet étrange pays : « La Savoie paraît bien arriérée à ce grand commis de l’Etat français, imbu d’un complexe de supériorité évident » note Paul Guichonnet qui mit en évidence le rôle occulte de ce personnage dans la préparation du référendum.
Laity comprend très vite que pour éviter le risque de la victoire du non en Savoie du Nord qui était évidente, il faut accorder très rapidement la possibilité d’instauration de la Zone Franche avec la Suisse et Genève. Le bulletin NON sera donc remplacé par le fameux bulletin OUI et ZONE qui permit de sauver la face de Napoléon III en Savoie du Nord.
Des actes absolument indignes eurent lieu quelques jours avant le plébiscite. Au cœur d’une intense propagande menée par Laity, les syndics émettant des doutes au sujet du Traité de Turin sont destitués ! On sait également aujourd’hui que les bulletins NON ne furent souvent ni distribués ni même imprimés:
« Quant aux bulletins NON aucun n’a été distribué… La légalité tue, disait M. Guizot. M. Laity m’a fait comprendre qu’il faut se défendre aussi contre la légalité. Combien de fois ne l’ai-je pas maudite ? (…) En attendant, je laisse aller à la diable les bulletins NON. » Lettre de l’intendant de Maurienne au gouverneur-régent de Chambéry, Dupasquier
Cette lettre est extraordinaire et évidemment très choquante : il faut se méfier de la légalité ! C’est avoué le caractère frauduleux du référendum organisé en sous main par le sénateur Laity. Le référendum ne fut donc bien qu’une mascarade nécessaire à Cavour et à Napoléon III pour faire croire qu’ils respectaient la décision populaire. Ils ne faisaient que mettre en œuvre les décisions de l’entrevue secrète de Plombières. Il faut reconnaître ici le génie politique de Cavour qui ne dévia jamais de ses objectifs, quels que furent les événements. Cela demeure un homme d’Etat très impressionnant, d’une énergie inouïe face au roi Victor-Emmanuel II, homme faible, inconstant et indécis.
Les journaux savoisiens pro annexionnistes de l’époque insistent d’ailleurs sur le côté artificiel du référendum. Pour eux, et ils ont raison : par le traité de Turin, la Savoie appartient déjà à la France depuis le 24 mars 1860.
Les résultats de ce plébiscite frauduleux sont éloquents :
OUI : 130 533
NON : 235
99,8% de Oui ! Score soviétique s’il en est !
Nous avons vu l’incroyable complexité des opinions en Savoie à la veille du référendum : annexionnistes, monarchistes, pro helvétiques, et quelques partisans marginaux de l’indépendance dont nous n’avons pas parlé. Ce résultat est donc strictement impossible, le référendum fut truqué.
Nous concluons cette triste histoire de la trahison de la Savoie par un extrait de l’article de l’envoyé spécial du Times de Londres à Genève en 1860. Il fut scandalisé par cette mascarade humiliant les Savoisiens jusqu’à aujourd’hui:
«C’était hier le grand jour où la Savoie devait ratifier par un vote le traité de cession et j’étais à me demander si je devais franchir les frontières de la Suisse pour salir vos colonnes du récit de la FARCE la plus abjecte qui ait jamais été jouée dans l’histoire des nations.» Times of London traduction française dans : Journal de Genève – 03.05.1860 – Page 1 (letempsarchives.ch)
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2 réponses à “Savoie. Le référendum du 22 mars 1860 : « La farce la plus abjecte qui ait jamais été jouée dans l’histoire des nations »”
Que d’insistance pour accabler Cavour, le duc de Savoie, etc. ! Et quel accent revanchard ! Nulle part votre article ne démontre que ce n’était pas le choix des Savoisiens de faire partie de la France. Il n’a donc aucun intérêt.
Vous n’avez semble-t-il pas compris que tout ceci fut une mascarade et que, le voulant (Savoie du Sud) ou non (Savoie du Nord), la Savoie fut vendue à la France par son souverain lors d’une tractation secrète dont les hommes politiques ont souvent le secret. Jusqu’à aujourd’hui, cette annexion fut une catastrophe humaine, culturelle et économique pour la Savoie.
Bien à vous.
Reybaz