Jusqu’à maintenant, tout enregistrement réalisé à l’insu du salarié ne pouvait être retenu comme élément de preuve. Or la Cour de cassation a récemment admis comme recevable l’utilisation d’un tel procédé. Explications des conséquences que cette décision pourrait entraîner pour les employeurs et leurs salariés avec des informations recueillies auprès de Walter France.
Dans un arrêt récent (Cour de cassation, chambre sociale – 25 novembre 2020 N° 17-19.523) , la Cour de Cassation a admis la recevabilité d’une preuve illicite – à savoir l’utilisation de l’adresse IP du salarié sans déclaration préalable auprès de la CNIL – pour justifier les griefs de la lettre de licenciement. Ce revirement sur le droit de la preuve s’établit en faveur de l’employeur. Peut-on considérer que cette position pourrait également s’appliquer en faveur des salarié(e)s, notamment pour prouver le harcèlement ?
Devant le Conseil de prud’hommes, chaque partie doit prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires à ses prétentions afin qu’elles puissent aboutir.
Le mode de preuve est libre, mais avec certaines limites
Devant un tribunal, le mode de preuve est libre. Les parties peuvent utiliser des témoignages, des documents, des procès-verbaux d’huissiers, des documents techniques, des rapports d’experts… mais dans certaines limites. Les moyens de preuve obtenus grâce à un stratagème, notamment, sont exclus. Typiquement, l’installation d’un dispositif destiné à contrôler à son insu les pratiques d’un(e) salarié(e) considéré comme déloyal(e) est donc un moyen de preuve illicite.
La Chambre sociale accordait jusqu’alors une attention toute particulière à la protection de la vie privée du salarié et veillait à ce que l’employeur n’emploie pas des modes de contrôle ou de preuve qui risqueraient de lui porter atteinte de manière disproportionnée. Les enregistrements clandestins étaient systématiquement écartés des débats. Les fichiers des salariés identifiés comme « privés » ne pouvaient pas être utilisés à leur encontre dans une procédure judiciaire, en application du respect de la protection de la vie privée. Enfin, était jugé comme mode de preuve illicite les éléments tirés d’un dispositif d’enregistrement non déclaré à la CNIL.
Désormais, une preuve illicite n’est pas forcément écartée des débats
Or, récemment et en parfaite contradiction avec ce principe de respect de la vie privée des salariés, la Chambre sociale a récemment jugé :
« L’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »
On pourrait considérer que cette décision constitue un recul inquiétant dans la protection de la vie privée des salarié(e)s.
Les salariés, de leur côté, pourraient prouver plus facilement le harcèlement
Mais logiquement, ce type de preuves pourrait s’appliquer également lorsque c’est le salarié qui est demandeur.
En effet, pour prouver l’existence d’un harcèlement moral et/ ou sexuel, un(e) salarié(e) ne pouvait pas jusqu’alors utiliser des enregistrements effectués à l’insu de la personne enregistrée (sauf en cas de message vocal, la personne intéressée ayant conscience de l’enregistrement de ce dernier).
Ainsi, cette jurisprudence, autorisant des modes de preuves illicites, permettrait d’envisager l’utilisation de ces moyens en garantissant leur recevabilité.
Dans le même esprit, la Cour d’appel de Toulouse a récemment admis la recevabilité d’un enregistrement sonore pourtant réalisé à l’insu de l’employeur, jugeant :
« Elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve, et l’atteinte à la vie privée de M.X est proportionnée au but poursuivi. »
L’application de ce principe par analogie et à l’encontre des employeurs, vient renforcer la position de la Cour d’appel de Toulouse, ce qui laisse présager la possibilité pour les salariés victimes de harcèlement moral et/ou sexuel de produire des preuves qui auraient été considérées comme illicites jusqu’alors, notamment dans l’utilisation d’enregistrements clandestins pour pouvoir faire reconnaître ce délit devant le Conseil de prud’hommes.
Attention à la surveillance des salariés en télétravail
A l’heure où le télétravail se généralise et s’envisage sur le long terme, la question de la surveillance des salariés se pose. Malgré cette décision de la Cour de cassation, il est fortement recommandé aux entreprises de respecter le strict cadre de la législation actuelle. Rappelons la règle :
« Ces dispositifs de surveillance ne peuvent pas être installés à l’insu du salarié. Il doit s’agir d’une surveillance reconnue, admise et qui ne doit pas atteindre aux libertés fondamentales des collaborateurs, notamment en ce qui concerne leur vie privée ».
Il est vivement recommandé qu’une charte détaille la façon dont s’organise le télétravail. L’accord du 26 novembre 2020 stipule que « si un moyen de contrôle de l’activité du salarié et du contrôle du temps de travail est mis en place, il doit être justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché, et le salarié doit en être informé ».
Par ailleurs, si de tels dispositifs sont mis en place, il convient de consulter au préalable le CSE (Comité Social et Économique) des sociétés. Pour les entreprises de moins de 11 personnes salariées qui ne disposent pas d’une telle instance, « les discussions doivent tout de même avoir lieu avec les salariés, et il faut a minima rédiger cette charte ».
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