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La Hollande est un pays dont toute la structure sociale est articulée autour du protestantisme. C’est à dire une société où l’individu est centré sur une communauté restreinte, méfiant de l’Etat, jaloux de ses intérêts familiaux propres et investi dans le commerce, avec une distinction nette entre morale privée et morale publique. D’ailleurs, si le calvinisme a triomphé sans grandes difficultés du luthérianisme, c’est entre autres choses pour son autonomie vis-à-vis du pouvoir. En politique, en tant qu’elle est l’art d’administrer une cité, cette matrice théologico-sociale se traduit par un intérêt relatif pour la chose publique. Les Hollandais comme les Anglais manifestent leurs desiderata politiques par la culture ou le commerce, c’est à dire indirectement. La culture de la manifestation et de la bataille de rue leur est tout à fait étrangère, à l’exception des bagarres de stade.
Dès lors, les émeutes violentes suivies de pillages qui ont eu lieu samedi dernier sont à analyser avec la plus grande attention. A Amsterdam, Rotterdam et La Haye, les émeutes ont tenu trois nuits. Bien sûr, comme partout en Europe de l’Ouest, il y a eu un ballet en deux temps. Premièrement, des citoyens d’origine européenne sont descendus dans la rue pour demander à leur gouvernement de reculer sur une mesure qui ne leur plaît pas : et des compatriotes récents, disons de la racaille extra-européenne, a profité des troubles pour piller. Le récit de ces journées a déjà été publié par Présent dans les numéros précédents.
Toujours est-il que notre exécutif est particulièrement inquiet face à ces faits, qui pourraient donner des idées à certains. En France, l’annonce d’un troisième confinement est relativement bien accueillie dans les sondages, mais pour une très mauvaise raison, indépendante des intentions du gouvernement : un confinement signifierait la fin du couvre-feu, et par conséquent la possibilité de reprendre les balades en soirée, ainsi que les courses après 18 heures. Le couvre-feu à 18 heures fait l’objet d’un consensus scientifique : il n’y a pas de preuves avérées de son efficacité pour stopper l’épidémie, mais des preuves avérées de son efficacité pour rendre la vie personnelle et professionnelle plus pénible. Par ailleurs, les queues façon soviétique devant les commerces à 17 heures et les transports bondés à 17 h 30 sont des catastrophes à moyen terme.
Cette gabegie est due à la gabegie communicationnelle du gouvernement. Et celle-ci n’est autre que le reflet de la gabegie stratégique du gouvernement, la boucle est bouclée. Pourquoi notre exécutif est-il si indécis, et cumule-t-il les départs et faux départs, laissant entendre tout et son contraire ? Pourquoi les secrétaires d’Etat contredisent-ils les ministres qui contredisent les préfets qui contredisent les porte-paroles ? Pour une raison aussi scandaleuse qu’elle est claire : tous les membres du gouvernement soignent leur risque pénal. Avec la judiciarisation de la société et de la politique, corolaire indissociable du positivisme juridique inhérent à la République, les responsables politiques sont certains de devoir se défendre un jour à la barre. Depuis que tout ce qui se trouve dans le bloc de constitutionnalité a une valeur juridique, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) peuvent créer à l’infini des motifs de procès aux politiques. Dès lors, aucun ministre ne cherche plus à gérer la crise, mais à fabriquer des éléments de défense pour ces procès à venir. Ce paradigme rend impossible toute action courageuse, toute audace, toute prise de décision claire, puisque l’entre-deux mou et la godille permettront de noyer le poisson plus efficacement. Il faut le dire et le dire fort : ce gouvernement ne gouverne pas. Il communique pour se couvrir. La fausse désorganisation de la stratégie gouvernementale est délibérée, et ne procède pas d’une urgence : c’est un choix.
Alors, confinera, confinera pas ? Présent et l’ensemble des médias ne sont pas en mesure de donner la réponse, pour une bonne raison : le gouvernement lui-même ne sait pas encore. Ceux qui vous disent le contraire vous mentent. Peut-être qu’Emmanuel Macron finira tout de même condamné, mais pour un chef d’accusation qu’il n’a pas prévu : peut-être un juge ne lui reprochera pas d’avoir mal géré la crise : mais de ne pas l’avoir gérée tout court. •
Benoît Busonier