Irlande du Nord. Il y a 48 ans, pas de Black Friday mais un Bloody Friday à Belfast

En ces temps de consumérisme quasi religieux, les enseignes commerciales (et même les gouvernements) incitant les consommateurs à se ruer sur les « affaires » à l’occasion du « Black Friday », penchons nous sur un autre vendredi, réellement noir celui-ci, pour l’Irlande du Nord, un vendredi dénommé Bloody Friday, qui se déroula le 21 juillet 1972, il y a un peu plus de 48 ans.

Une réponse au Bloody Sunday

Nous sommes le 21 juillet 1972 à Belfast, quelques mois après le Bloody Sunday du 30 janvier 1972, où l’armée britannique avait ouvert le feu sur une foule de manifestants pacifistes, tuant 14 manifestants et en blessant des centaines d’autres. C’est le jour choisit par l’IRA, l’Armée républicaine Irlandaise, pour organiser la riposte, et frapper la population nord irlandaise par la terreur.

Le plan est simple ; l’IRA pose 22 bombes à Belfast et aux alentours. L’objectif consistait alors à plonger les troupes d’occupation britannique dans la terreur, et ainsi venger les victimes du Bloody Sunday. Pour éviter un carnage impliquant des civils (ce que ne fera pas tout le temps l’IRA, comme lors des attentats de Birmingham, sans sommation), les médias locaux sont appelés et prévenus que des bombes vont exploser. Les nationalistes irlandais expliqueront ensuite que bien que prévenues, les autorités anglaises n’auront pas totalement tenu compte de ces avertissements – les prenant au départ pour des canulars – et auront réagi par la panique, en évacuant notamment des habitants vers des zones pourtant peu sûres.

Les bombes – la plupart des voitures piégées – explosent l’espace de quatre-vingts minutes. La plupart de ces bombes visaient surtout les infrastructures, en particulier le réseau de transport. Le bilan est lourd ; neuf personnes ont été tuées : cinq civils, deux soldats britanniques, un réserviste de la Royal Ulster Constabulary (RUC) et un membre de l’Ulster Defence Association (UDA), tandis que 130 ont été blessées dont certains atrocement mutilés.

Chronologie du Bloody Friday

  • 14 h 9 : Windsor Park, Belfast
Une bombe (d’un poids estimé à 14 kg d’explosifs) explose sur la passerelle enjambant la ligne de chemin de fer reliant Dublin à Belfast, à Windsor Park. Aucune personne n’est blessée.
  • 14 h 36 : Brookvale HotelBrookvale Avenue, Nord de Belfast
Une bombe (d’un poids estimé à 23 kg d’explosifs) explose à l’hôtel Brookvale. Elle était contenue dans une mallette, déposée par deux inconnus. La zone ayant été préalablement évacuée, aucune personne n’est blessée.
Les autorités reçoivent une série d’alertes pour d’autres engins dans les minutes qui suivent.
  • 14 h 40 : Ulster BankLimestone Road, Nord de Belfast
Une voiture piégée (d’un poids estimé à 23 kg d’explosifs) explose à l’extérieur de l’Ulster Bank sur Limestone Road. Ce site est à quelques centaines de mètres de la précédente explosion, et n’a pas été évacué. Une femme (catholique) y perd les deux jambes, et plusieurs automobilistes sont blessés par le souffle.
  • 14 h 52 : Botanic Railway StationBotanic Avenue, Belfast
Une voiture piégée (d’un poids estimé à 23 kg d’explosifs) explose à l’extérieur de la gare de Botanic Avenue. Il y a de gros dégâts matériels, mais aucun blessé.
  • 14 h 53 : Queen Elizabeth Bridge, Belfast
Une voiture piégée (d’un poids estimé à 73 kg d’explosifs) explose sur le pont Queen Elizabeth. Malgré l’absence d’alerte reçue, aucune personne n’est blessée. Seuls quelques dégâts sur le pont sont à déplorer.
  • 15 h 2 : Agnes Street, Belfast
Une voiture piégée (d’un poids estimé à 14 kg d’explosifs) explose près d’un lotissement occupé majoritairement par des protestants, à Agnes Street. Malgré l’absence d’alerte reçue, aucune personne n’est blessé sérieusement.
  • 15 h 2 : Liverpool BarDonegall Quay, Belfast
Une bombe (d’un poids estimé à 23 kg d’explosifs) explose dans le Liverpool Bar de Donegall Quay. Malgré l’absence d’alerte reçue, seuls quelques dégâts sont à déplorer.
  • 15 h 2 : Bellevue, Nord de Belfast
Une bombe (d’un poids estimé à 23 kg d’explosifs) explose sur le pont au-dessus de l’autoroute M2, à Bellevue (Nord de Belfast). Il n’y a pas de blessé grave.
  • 15 h 3 : York Street StationYork Street, Belfast
Une bombe (d’un poids estimé à 23 kg d’explosifs), contenue dans une mallette, explose à la gare de York Street avant que celle-ci ne soit évacuée. Il y a de nombreux dégâts.
  • 15 h 4 : Ormeau Avenue, Belfast
Une voiture piégée (d’un poids estimé à 23 kg d’explosifs) explose dans l’avenue Ormeau. Malgré l’absence d’alerte reçue, seuls quelques blessés légers sont à déplorer.
  • 15 h 5 : Eastwood’s GarageDonegall Road, Belfast
Une voiture piégée (d’un poids estimé à 68 kg d’explosifs) détruit l’ Eastwood’s Garage sur Donegall Road. Seuls quelques blessés légers sont à déplorer.
  • 15 h 10 : dépôt de bus d’Oxford StreetOxford Street, Belfast
Une voiture piégée explose à l’extérieur du dépôt de bus du transporteur Ulsterbus, à Oxford Street. Cette explosion provoque le plus grand nombre de morts et les plus gros dégâts de toutes les bombes. La zone est en cours d’évacuation lorsqu’un break Volkswagen explose. Deux soldats britanniques, Stephen Cooper (19 ans) et Philip Price (27 ans), sont tués sur le coup. Quatre protestants, travaillant pour la société Ulsterbus, William Crothers (15 ans), William Irvine (18 ans), Thomas Killops (39 ans) et John Gibson (45 ans), meurent de leurs blessures.

  • 15 h 15 : Stewartstown Road, Belfast
Une bombe, que l’on pensait abandonnée sur Stewartstown Road, explose sans faire de blessé grave.
  • 15 h 20 : Cavehill Road, nord de Belfast
Une voiture piégée (d’un poids estimé à 23 kg d’explosifs) explose dans une rue commerçante multi-religieuse en haut de Cavehill Road, au nord de Belfast. Aucune alerte n’a été reçue, et trois personnes sont tuées, de nombreuses autres sérieusement blessées :
    • Margaret O’Hare (37 ans), mère catholique de sept enfants, est tuée ;
    • Sa fille de 11 ans est grièvement blessée ;
    • Brigid Murray (65 ans), catholique, est tuée ;
    • Stephen Parker (14 ans), protestant, est tué.
  • 15 h 25 : ligne de chemin de fer, près de Lisburn Road, Belfast
Une bombe explose sur la ligne de chemin de fer près de Lisburn Road sans faire de dégâts.
  • 15 h 25 : Crumlin Road, Belfast
Deux bombes (d’un poids estimé à 23 kg d’explosifs chacune) explosent au Star Garage sur Crumlin Road, sans faire de blessé grave.
  • 15 h 30 : Nutts Corner, Ouest de Belfast
Une mine explose sur la route de Nutts Corner, au passage d’un bus scolaire rempli. Le chauffeur du bus, qui a vu l’engin, l’évite, diminuant les conséquences de l’explosion. Il est admis que ce bus a été confondu avec un véhicule de l’armée britannique. Il n’y a pas de blessé grave.
  • 15 h 30 : Northern Ireland Carriers DepotGrosvenor Road, Belfast
Une bombe (d’un poids estimé à 23 kg d’explosifs) explose dans le dépôt de Northern Ireland Carriers près de Grosvenor Road sans faire de blessé grave.
  • 15 h 30 : Sydenham, Est de Belfast
Une bombe est neutralisée à Sydenham par l’armée britannique.

30 ans plus tard : Les excuses (tardives) de l’IRA

Les attentats, qui se voulaient notamment être une réponse à la rupture des pourparlers entre l’IRA et le gouvernement britannique, n’auront pas l’effet escompté pour les nationalistes irlandais qui menaient alors une campagne d’attentats sans précédent (Des centaines de bombes posées en 1972). En effet, outre les nombreuses arrestations qui suivirent ce Bloody Friday, ce dernier entraina l’opération Motorman, opération militaire d’envergure durant laquelle l’armée britannique reprit dans Belfast des zones contrôlées jusqu’ici par les républicains irlandais.

La population nord irlandaise y compris catholique, fût très partagée également sur ces attentats (certaines victimes étaient catholiques) et le commandement de l’IRA se trouva lui même divisé sur la tournure des opérations.

De leur côté, les paramilitaires loyalistes se saisir du prétexte pour eux aussi, mener des attaques de représailles, essentiellement contre des civils catholiques.

A l’occasion du trentième anniversaire des bombardements en 2002 et seulement après les accords du Vendredi Saint de 1998, l’IRA a présenté des excuses officielles aux familles de tous les civils qu’elle avait tués et blessés. S’exprimant dans le journal républicain An Phoblacht, les commandants de l’époque de l’organisation paramilitaire expliquèrent : « Le dimanche 21 juillet marque le 30e anniversaire d’une opération de l’IRA à Belfast en 1972, qui a fait neuf morts et de nombreux blessés. Bien que notre intention n’ait pas été de blesser ou de tuer des non-combattants, la réalité est qu’en cette occasion comme dans plusieurs autres, c’était la conséquence de nos actions. Il est donc approprié, à l’occasion de l’anniversaire de cet événement tragique, que nous nous penchions sur tous les décès et blessures de civils que nous avons causé. Nous présentons nos sincères excuses et condoléances à leurs familles »

48 ans plus tard, la guerre civile en Irlande du Nord semble terminée, même si les tensions subsistent. Les plaies, elles, sont loin d’être entièrement refermées dans un pays qui observe désormais lui aussi avec une forte inquiétude les conséquences économiques et sociales à venir des confinements à répétition décidés par les autorités.

Pour en savoir plus (en Anglais) sur le Bloody Friday et plus globalement sur la guerre civile en Irlande du Nord, c’est ici. N’oubliez pas également de consulter notre proposition de bibliographie, en Français.

YV

Crédit photo : wikipedia (cc)
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