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Anarchisme. En un an, la Bretagne est devenue un bastion de l’Union communiste libertaire

Un peu plus d’un an après son congrès fondateur du 10 juin 2019, l’Union communiste libertaire dresse un bilan positif de son action dans un compte-rendu du 6 septembre dernier. 600 militants sur toute la France et la Belgique francophone, 54 implantions locales, soit 12 de plus qu’à sa fondation, une présence offensive dans les cortèges syndicaux, un journal, Alternative libertaire, disponible en kiosque et qui se laisse lire… Petit à petit l’oiseau rouge et noir fait son nid.

Anars des villes et des champs…

La Bretagne des 5 départements compte à elle seule 9 implantations, presque 20 % des structures locales du jeune parti ! Les anars ont planté le drapeau noir sur des métropoles comme Nantes, Rennes et Brest avec leur population étudiante plus ou moins turbulente, mais aussi sur des sous-préfectures plus modestes : Saint-Malo, spot de week-end enraciné pour Parisiens ; Lorient et son port industrialo-militaire ; Lannion, pôle technologique récemment rayé de la carte par Nokia ; Dinan et Fougères, fières citadelles derrière leurs vieux remparts… Quimper manque à l’appel, mais pas Quimperlé qui, avec moins de 12 000 habitants, a ses graines d’anarchistes…

L’esprit réfractaire semble se plaire dans les marges. Ailleurs sur le territoire français, les petites villes d’Occitanie sont également surreprésentées. Ayant pour berceau le village de Bellenaves dans le département de l’Allier, au seuil de l’Auvergne, l’UCL note d’elle-même dans son bilan « le début d’un ancrage en zone rurale ».

Armand Robin (1912-1961). Écrivain et militant libertaire à l’ancienne, c’est-à-dire antimarxiste. Né dans le Centre-Bretagne, il a surtout vécu dans le 15ème arrondissement de Paris. Selon son ami Georges Brassens, il lui arrivait de téléphoner au commissaire de police de son quartier, pour le plaisir de lui dire : « Monsieur, j’ai l’honneur de vous dire que vous êtes un con ». (Wikicommons)

L’UCL, version pêchue et controversée de l’anarchisme (pédophilie et islamisme)

L’UCL est issue de la fusion d’Alternative libertaire et de la Coordination des Groupes Anarchistes, deux courants qui ont rompu avec la vénérable Fédération anarchiste. Mariant le rouge et le noir, les militants de l’UCL préfèrent s’intituler communistes libertaires, anarcho-communistes ou encore plate-formistes. Ils reprochent aux anarchistes synthétistes de la FA (sobre drapeau noir unicolore) leur manque de structuration idéologique et organisationnelle.

Les synthétistes, à la suite de Sébastien Faure (1858-1942), critiquent en réponse l’imprégnation marxiste et les visions totalisantes de ceux qu’ils présentent comme des « bolchéviks » de l’anarchie. Les synthétistes se veulent des gardiens du temple, continuant d’honorer tous les grands saints et docteurs de l’Anarchie, même quand ils sont partiellement anachroniques, contradictoires ou choquants pour des oreilles actuelles.

Plus combatifs et plus ouverts sur leur époque, les communistes libertaires se ressentent de l’influence de Daniel Guérin (1904-1988), intellectuel de haut vol qui a cherché à dépoussiérer l’anarchisme et à l’inscrire dans la culture et dans les luttes sociales des années 70.

La grande affaire de ces années-là était la Révolution sexuelle. Sincère mais poussé par une logique de liberté sans limite, Daniel Guérin a voulu faire une place dans la lutte aux pédophiles « persécutés » par des lois « réactionnaires ». Signataire de pétitions en leur faveur dans le Monde et Libération, Guérin était notamment proche de Guy Hocquenghem, journaliste à Libé et activiste propédophile que la mairie de Paris a honoré d’une plaque commémorative début 2020. Pour être juste, les anarchistes synthétistes ont aussi des taches sur leur biographie : Sébastien Faure a été condamné deux fois pour des « affaires de mœurs », euphémisme pour des agressions sexuelles sur des mineures et même des fillettes.

Les communistes libertaires d’aujourd’hui ne font plus cause commune avec les pédophiles. Mais ils ont trouvé à défendre d’autres victimes, plus dans l’air du temps : les islamistes « persécutés » par la laïcité occidentale. L’UCL se félicite ainsi d’avoir coorganisé la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre 2019, au coude à coude avec le CCIF. L’Anarchie donnant la main à la Charia, à deux pas du Mur des Fédérés…

Portrait des anarchistes bretons : des déserteurs…

À vrai dire, l’anarchiste breton moyen ne cadre pas avec ces scènes un peu surréalistes. Il ne voile pas ses filles et s’il a une barbe de trois jours, ce n’est pas pour imiter un prophète médiéval.

Géographiquement, en habitant la France périphérique chère à Christophe Guilly, il a fait le choix de déserter la mondialisation plutôt que de l’affronter en première ligne. Cela est aussi vrai professionnellement : les bastions pros de l’UCL sont la Poste (autour de l’antenne Franchise postale), l’Éducation nationale (Classe buissonnière) et la SNCF (le Rail déchaîné), bref la sphère de l’État, qui comprend aussi les syndicats subventionnés, qui emploient quelques permanents UCL, comme à Lorient.

Une exception toutefois, mais hors de Bretagne : il existe à Montreuil une boulangerie autogérée proche de l’UCL, nommée La Conquête du Pain. Pas de patrons ni de salariés, mais l’idéal proudhonien d’une coopérative d’égaux. Selon le témoignage d’un habitué sur Facebook, « il y a la baguette gratuite de l’étudiant ou du pauvre, la queue est longue à midi mais le goût est meilleur qu’ailleurs. Le service est super sympa. Au niveau des horaires, on arriverait presque à de la régularité (…) Au niveau prix, on n’est pas dans la grande distribution (…) ».

Les aspirations profondes du militant UCL sont anti-mondialisation. « La fédération des territoires signifie que la société est structurée à partir des communes, puis des régions, parce qu’elles sont les espaces les plus directement contrôlables par la population, sermonne le manifeste de l’UCL (…) Les régions fédérées ne reproduisent pas nécessairement le dé­coupage des anciennes régions administratives. L’important est qu’elles atteignent une autonomie productive en matière agricole et industrielle, pour permettre un maximum d’échanges en circuits courts. (…) avec des sites de production à taille humaine (…) »

L’UCL nous signale au passage que nous ne sommes pas que des machines à produire et à consommer : « les besoins humains (…) sont fonction de données culturelles, d’aspirations personnelles, mais aussi de ce qui est matériellement disponible (…) ». Encore un peu et l’UCL admettrait l’existence à la surface de la Terre de peuples avec des spécificités culturelles.

Dans la société annoncée par l’UCL, on pourra même choisir individuellement une partie de ce qu’on consomme, sans demander leur avis aux planificateurs : « la diversité des besoins appelle donc à la coexistence d’un mécanisme de planification générale et d’une sphère d’échanges de biens, à l’initiative des individus et des communautés. La planification doit recenser les besoins et orienter la production vers la satisfaction des besoins fondamentaux, dans le respect des impératifs écologiques : logement, alimentation, déplacements, santé, formation… De façon ni concurrente ni contradictoire, la sphère d’échanges spontanés doit permettre l’accès de chacune et de chacun à des commerces et services de complément. » C’est Byzance !

et un héros : Kendal Breizh 

De tous ces anars anonymes et jargonnants, se détache la claire figure de Kendal Breizh. Son destin symbolise la grandeur de l’idéal libertaire et son impossibilité pratique.

De son vrai nom Olivier Le Clainche, Kendal Breizh est né en 1977 à Malestroit, dans le Morbihan, d’une famille originaire du Centre-Bretagne (autour de Carhaix). Il a bougé ensuite en fonction de l’emploi et semble s’être posé enfin en Trégor.

On sait peu de choses sur sa vie personnelle, sinon qu’il n’a jamais émigré hors de Bretagne. Cela explique qu’il ait plus ou moins galéré professionnellement. Il a notamment travaillé comme surveillant au lycée Diwan de Carhaix, fait des piges à Radio Gwened (à Pontivy, de 2011 à 2013) ou sur France Bleu Breizh Izel (à Quimper, pendant moins d’un an). Il a fait aussi de l’intérim comme « opérateur de production » et rempli une série de « petits boulots ».

Kendal Breizh était un « compagnon de route » d’Alternative libertaire, l’ancêtre de l’UCL. C’était aussi un défenseur de la culture bretonne, et même un indépendantiste. Cela fait deux raisons pour lui de s’intéresser à l’expérience du Rojava. Les Kurdes du nord de la Syrie profitent de la guerre civile syrienne pour défendre leur identité nationale et pour mener une révolution sociale inspirée par le « municipalisme libertaire » de l’Américain Murray Bookchin.

Kendal part en Syrie en juillet 2017, à l’apogée du Rojava. L’anarchiste breton va s’y transformer en militaire discipliné. Il est décrit comme un troupier s’attachant à bien servir son arme, le lance-roquette, comme un officier disponible et discret, d’une « gentillesse énervante », plein d’humour mais peu porté sur les discussions politiques.

Il est vrai que là-bas il ne se ballade pas dans un livre d’anticipation de Kropotkine, mais dans la dure réalité du Moyen-Orient. Derrière les comités autogérés du Rojava, c’est le PKK, un parti unique de tradition maoïste, qui tire les ficelles. Avec un vrai sens des réalités : pendant toute la période, il respecte un pacte de non-agression avec le régime syrien. Les offensives terrestres contre l’État islamique sont coordonnées avec l’aviation US et même avec Israël.

Pendant le séjour de Kendal se passe un retournement de situation pour les Kurdes. Le régime national-islamiste turc les attaquent et le Rojava est (à demi) abandonné par les Occidentaux. C’est pendant la bataille d’Afrine que Kendal Breizh meurt (le 10 février 2018), dans le cadre d’une guerre de tranchées désespérée, la milice kurde étant sans couverture aérienne face à une des meilleures armées de l’OTAN.

Le PKK-YPG suit une stratégie très classique et très lisible : réunir en un seul ensemble viable tous les territoires kurdes syriens. Avec comme rêve secret ce qui se rapprocherait d’une autorité politique reconnue internationalement… une sorte d’État qui puisse protéger le peuple kurde syrien de ses voisins hostiles et développer son économie et sa culture.

La partie se joue encore. Seul l’avenir dira si Kendal Breizh a contribué à l’avènement d’une patrie kurde, ou s’il est mort en vain.

E.P.

Un article sur un autre anarchiste breton (d’origine auvergnate) : https://www.breizh-info.com/2020/06/16/145586/nantais-et-revolte-biographie-sans-filtre-de-jules-valles-un-ado-dultragauche-au-xixeme-siecle/

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

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Une réponse à “Anarchisme. En un an, la Bretagne est devenue un bastion de l’Union communiste libertaire”

  1. PL44 dit :

    « Encore un peu et l’UCL admettrait l’existence à la surface de la Terre de peuples avec des spécificités culturelles. »
    De 1969 à 76, il y a eu une Fédération Anarchiste Communiste d’Occitanie (FACO).

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