Le théâtre, les compétitions sportives, plusieurs théorèmes utiles et même les premières machines connues, reconstituées de nos jours par le musée des technologies d’Athènes http://kotsanas.com/fr/categories.php)… . Voilà quelques-unes des inventions dont on crédite les Grecs. Il faudra maintenant y ajouter les rampes d’accès pour handicapés dans les installations publiques. C’est du moins la thèse défendue par Debby Sneed, une chercheuse de l’Université de l’Etat de Californie, dans un court article paru le 21 juillet dans la revue Antiquity. A consulter pour les illustrations plutôt convaincantes.
Quelle place pour les handicapés dans une société d’athlètes ?
Tous les Grecs n’étaient pas des beaux gosses body-buildés commençant leurs journées par une séance au gymnase. C’est ce que rappelle la chercheuse californienne dans la première partie de son article.
Elle s’appuie d’abord sur les données de la littérature classique. On y recense de nombreux personnages mythiques ou historiques « à mobilité réduite ». Le général athénien Miltiade, vainqueur de Marathon face à l’envahisseur perse, fut blessé à la cuisse et dut jusqu’à la fin de ses jours être transporté dans une litière – l’ancêtre de la chaise roulante. Fait prisonnier par les Spartiates, Hégésistrate d’Elis échappa à ses chaînes en se coupant un pied ; ce bricoleur se confectionna ensuite une prothèse en bois pour pouvoir marcher. Encore plus significatif, il y avait dans l’Olympe une personne en charge du Handicap : le dieu Héphaïstos (Vulcain chez les Romains).
Frise de Parthénon, British Museum, Wikicommons. En conversation avec Athéna, Héphaïstos, le dieu handicapé, appuie son épaule sur une discrète béquille. Sa mère Héra, épouvantée à sa naissance par sa laideur, l’avait jeté du haut de l’Olympe. Il survécut mais resta boiteux. Compensant son handicap par son habileté à fabriquer les armes, il sauva Zeus et le monde pendant la Guerre contre les Géants.
Les circonstances de sa naissance évoquent les infanticides et l’eugénisme qui avaient cours chez les Anciens, pratiques coutumières qui seront vivement combattues par les premiers chrétiens.
Debby Sneed tire également partie de l’iconographie : les célèbres poteries illustrées de scènes de la vie quotidienne ou de la mythologie sont riches de personnages équipés de canes ou de béquilles. L’infirme, dans ces scènes conventionnelles, est un vieillard, une vieille dame ou au contraire un jeune hoplite revenant du front, glorieux mais pas entier.
Les fouilles donnent aussi quelques enseignements sur le handicap antique. Les tombes du cimetière d’Amphipolis (Grèce du Nord) révèlent des problèmes d’arthrose sur 60 % des squelettes de l’échantillon étudié. Une tombe de Capoue (Italie du sud, alors grecque) du troisième siècle avant Jésus-Christ contenait un homme avec une jambe manquante et enterré avec sa prothèse en bois et en bronze – la plus ancienne prothèse connue au monde.
Enfin, les victimes du destin et les accidentés de la vie avaient droit à la philanthropie et à la considération de leurs concitoyens. A Athènes par exemple, une allocation publique était prévue pour les citoyens incapables de subvenir par eux-mêmes à leurs besoins.
Des rampes pour handicapés dans les installations collectives helléniques ?
Dans les derniers paragraphes de son article, Debby Sneed en vient enfin aux fameuses rampes.
Des rampes aux fonctions diverses ont été retrouvées sur les sites helléniques, par exemple à Athènes entre l’Agora et l’Acropole. Elles ne peuvent guère avoir été spécialisées pour les infirmes, convient la dynamique californienne d’une trentaine d’années, archéologue-enseignante au département d’études classiques de son université de Long-Beach.
Ce qui a attiré davantage son attention, ce sont des rampes de taille moyenne dégagées dans les sanctuaires. Deux rampes sont ainsi visibles au sanctuaire panhellénique d’Olympie, où se passaient les fameux Jeux Olympiques. Ce complexe architectural est un véritable parc aménagé de façon rationnelle pour accueillir un vaste public venant de toute la Grèce. On y venait pour les épreuves sportives, ou encore pour prier le Grand Zeus. Or une de ces deux rampes conduit en pente douce vers le temple surélevé abritant la monumentale statue du dieu. Debby Sneed pense que son utilité la plus probable était de faciliter l’accès pédestre aux pèlerins.
Dans un autre grand sanctuaire panhellénique, celui d’Epidaure, le public était plutôt composé d’amateurs de théâtre venant au festival, mais aussi et surtout d‘éclopés et de malades venus se faire soigner par le maître des lieux, le dieu guérisseur Esculape. Après s’être baignés et avoir prié, les pèlerins, dont le célèbre Démosthène, laissaient des ex-votos représentant leurs organes souffrants : on a ainsi retrouvé de nombreuses jambes factices. Or à Epidaure, on a pu mettre en évidence 11 rampes d’accès, desservant 9 structures du parc.
Un autre sanctuaire à vocation médicale existait près de Corinthe. Également consacré à Esculape, mais beaucoup plus petit, on y a trouvé deux rampes d’accès, autant que dans le grand sanctuaire d’Olympie.
Enfin, la littérature ou l’épigraphie donnent plusieurs exemples de malades se rendant dans un temple d’Esculape sur une litière tirée par des esclaves.
Il y aurait ainsi une forte corrélation entre sanctuaires médicaux fréquentés par des handicapés et rampes d’accès. Pour Debby Sneed, ces éléments convergent vers une interprétation de ces rampes comme des structures équivalentes à nos modernes aménagements en faveur des personnes à mobilité réduite.
Une opinion qui n’est pas partagée par Katia Sporn, une chercheuse de l’Institut archéologique allemand d’Athènes interrogée par ScienceMag : selon elle ces rampes ont été multifonction. Concentrées dans le Péloponnèse sur une courte période, elles seraient le témoignage d’un style régional d’architecture sans influence durable.
E.P.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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