Gérard Ligozat : « Il n’existait pas jusqu’à ce jour de manuel d’apprentissage de l’occitan au travers de son dialecte vivaro-alpin.

A nostre biais – Apprendre l’occitan Vivaro-Alpin. Tel est le nom de l’ouvrage publié par Gérard Ligozat aux éditions Yoran Embanner.

L’occitan, langue romane très proche du catalan, recouvre 32 départements français et 7 vallées piémontaises (Italie). Les linguistes définissent 7 grands dialectes (pour autant il y a intercompréhension entre les différents locuteurs).

Cette méthode concerne l’occitan vivaro-alpin qui couvre les Alpes du sud, l’Ardèche, la Drome et trois vallées piémontaises. C’est une méthode classique qui comprend leçons, prononciation, vocabulaire, grammaire et syntaxe.

Des exercices sont aussi proposés pour vérifier l’acquisition des apprentissages.

Pour évoquer le destin de cette langue, nous nous sommes entretenus avec Gérard Ligozat, qui la fait vivre au quotidien ?

A nostre biais – Apprendre l’occitan Vivaro-Alpin – Gérard Ligozat – Yoran Embanner – 12€ (à commander ici)

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Gérard Ligozat : Je suis né à Gap (Hautes-Alpes), dans une famille où l’on parlait occitan (et français). L’occitan était la langue maternelle de mes parents et de mes grands-parents. Mes parents utilisaient l’occitan (appelé ici comme ailleurs « le patois ») lorsqu’ils voulaient ne pas être compris par les enfants ; et c’est ainsi que nous – mon frère et ma sœur et moi-même –  avons appris cette langue ; du moins, nous pouvions comprendre ce qui s’échangeait entre eux.

L’occitan échappait souvent à ma mère, lorsqu’elle nous réprimandait en particulier – mais pas question de l’interroger sur cette langue, elle réagissait comme s’il s’était agi de propos un peu choquants, un peu ridicules. Et souvent, elle se tirait de l’embarras par le rire.

Mon père, lui,  avait à Gap un petit magasin où il vendait des aliments pour le bétail, avec un succès très limité car les coopératives qui s’étaient développées après-guerre réalisaient la plus grande partie du commerce – et mon père se contentait souvent de « boucher les trous ». Lorsqu’il avait  conclu son affaire avec un client, il allait avec ce dernier boire le canon de l’amitié, au bistrot  situé tout à côté du magasin, et là, l’occitan était la langue normale utilisée. Mon père n’avait pas la timidité langagière de ma mère, et l’occitan lui venait tout naturellement. Moi, je les écoutais, en sirotant un diabolo grenadine.

L’argent était bien rare dans la famille, mon père avait fait face à de graves problèmes financiers qui s’étaient mués en problèmes de santé. Lorsque j’ai eu dix ans, il m’a placé chaque année, durant les vacances d’été, comme « commis » dans une ferme du gapençais : j’étais alors berger, chargé de m’occuper d’un troupeau d’une quinzaine de vaches. Je me souviens encore, avec un zeste d’émotion, de ma crainte lorsqu’il fallait s’approcher de la vache dans l’étable pour la détacher, et se placer ainsi à la merci de ses imposantes cornes – imposantes du moins pour un gamin de dix ans. Avec un zeste de crainte, mais aussi, je l’avoue, de nostalgie.

Dans la vie de la ferme, l’occitan était la langue de travail. Avec les gens, et avec les bêtes, en premier lieu avec la chienne de berger qui était devenue bien vite une grande amie qui ne comprenait que l’occitan, et un occitan technique bien plus complexe que ne peut l’imaginer un petit citadin : « passa ailamont darrier , vai-la querre ! », « fai la venir ! », « pica-la ! ». J’en ai gardé une admiration pour les possibilités expressives de l’occitan en ce qui concerne les indications de mouvement dans l’espace.

Depuis le début de l’école primaire, j’étais élève au lycée de Gap. Au lycée, je me suis découvert en terminale un grand intérêt pour les mathématiques – jusque là, étudiées de manière quelque peu nonchalante – et, après deux années de classe préparatoire à Grenoble, je me suis retrouvé à Normale Sup à Paris, où j’ai préparé et soutenu une thèse en mathématiques pures, ce qui m’a mené au CNRS, puis à l’université. Rattrapé par mon intérêt pour les langues, j’ai ensuite bifurqué vers ce qui est un domaine de l’intelligence artificielle – le « traitement automatique des langues naturelles » dans le jargon informaticien : il s’agit d’utiliser l’ordinateur pour « comprendre » le langage humain, comme le ferait un autre humain dans les mêmes circonstances. Et pour cela, se pose un problème de traduction : passer du langage humain à celui de l’ordinateur, de façon « intelligente ».  C’est là la tâche difficile de la « communication homme-machine ».

Breizh-info.com : Qu’est-ce que la langue occitane Viraro-Alpine ? Comment a-t-elle été parlé en Occitanie, et quelle est son actualité ?

Gérard Ligozat : Le vivaro-alpin : il n’y a pas de « langue vivaro-alpine », mais une langue unique, l’occitan, dont le vivaro-alpin est un des six dialectes, à  côté de l’auvergnat, du limousin, du languedocien, du provençal et du gascon.  L’occitan, ou langue d’oc, permet de désigner sans ambiguïté l’ensemble des six dialectes.

Le vivaro-alpin est donc un des dialectes de l’occitan. Il est moins connu que les autres : le terme qui le désigne ne fait que partiellement référence à une province d’Ancien Régime – le Vivarais, qui correspond en gros au département de l’Ardèche – et à une région géographique, les Alpes, en l’occurrence les Alpes du Sud. Terme bâtard donc et peu expressif, mais qui s’est imposé dans le milieu des linguistes romanistes. Il a l’avantage, malgré ses défauts, de ne pas évoquer seulement une partie de l’espace que recouvre le dialecte, comme le faisaient les termes de « dauphinois », ou de « provençal alpin ».

Le territoire du vivaro-alpin s’étend en fait, de l’ouest à l’est, des franges de l’Auvergne, du nord de l’Ardèche et de la Drôme, des Hautes-Alpes, du nord des Alpes de Haute Provence jusqu’à une quinzaine de vallées d’Italie du nord dites « Vallées occitanes d’Italie », et du nord au sud, de l’Isère jusqu’aux Alpes maritimes.

Breizh-info.com : Pourquoi avez vous souhaité publier ce manuel d’apprentissage ?

Gérard Ligozat : Il n’existait pas jusqu’à ce jour de manuel d’apprentissage de l’occitan au travers de son dialecte vivaro-alpin. J’ai repris un projet initial élaboré il y a quelques années, ayant  constaté que la situation n’avait pas changé, même si un manuel en italien existait pour la partie orientale du dialecte.

Deux objectifs complémentaires sont poursuivis dans cette méthode, qui vise un public très large, car elle s’adresse à des apprenants de compétences linguistiques très variées en occitan, et de motivations très variées elles aussi.

Un premier point est que, pour des débutants en occitan, il faut s’appuyer sur des bases claires pour constituer un socle linguistique solide. Pour cela, la première partie du manuel enseigne un parler bien localisé (celui de l’Embrunais), sans s’appesantir sur la variabilité dialectale possible.

Une fois acquises ces bases, il m’a semblé important de donner à l’apprenant dorénavant avancé une idée des formes variées dans lesquelles se décline le dialecte lorsqu’on parcourt son territoire. À cette fin, la deuxième partie du manuel offre un bouquet de textes authentiques de nature variée (enquête, témoignage, poésie, théâtre) dans des parlers situés tout au travers de l’espace vivaro-alpin, avec une incursion . . . en Calabre et en Allemagne !

Breizh-info.com : Y’a-t-il dans les régions couvertes par cette langue un enseignement bilingue aussi développé qu’en Bretagne par exemple ?

Gérard Ligozat : L’occitan vivaro-alpin, sous le terme de « patois », est omniprésent dans la toponymie de l’espace géographique qu’il recouvre. Dans la conscience linguistique des habitants, il est présent sous une forme cachée – je dirais qu’il couve dans cette conscience comme le feu couve sous la cendre : il suffit d’un rien – une plaisanterie dans le café du village, un après-midi de théâtre « patoisant », un conseil de prudence au visiteur — pour que la langue révèle sa présence et se remette à vivre.

Mais la situation pour autant que je puisse en juger est loin de celle de la situation du breton en Bretagne, dont personne semble-t-il ne remet en cause l’existence comme langue. Pour écarter une source possible d’incompréhension, la difficulté ne provient pas l’existence en occitan de dialectes occitans « officiels », ce qui n’est pas le cas en Bretagne : les locuteurs du vivaro-alpin se sentent tout à fait à l’aise lorsqu’ils entendent un discours en provençal ou une messe en languedocien. Elle est plutôt dans le manque de perception de l’existence globale de la langue, en dépit – ou à cause ? de l’affection très souvent portée au « patois ».

Cela dit, plusieurs centres de promotion et d’activités (conversations, apprentissage, chanson, théâtre) en faveur de la langue existent dans l’espace vivaro-alpin.

– En Drôme-Ardèche, l’activité militante se manifeste par des cours de langue, et également, dans le cadre de la promotion par la région Auvergne-Rhône-Alpes, la publication de textes en occitan des XIXe et XXe siècles qui accordent une bonne place au vivaro-alpin.

— Dans les Hautes-Alpes existe depuis une quinzaine d’années à Gap une Calandreta (équivalent des écoles diwan), où la langue est enseignée en immersion. Il existe également à Gap une librairie associative, dont la composante Internet assure un important travail de diffusion.  Ces activités de type occitaniste poursuivent un travail bien engagé au XIXe et XXe siècles avec des « écoles » du F élibrige.

— Du côté italien, la « Chambra d’Òc » accomplit un travail de diffusion remarquable (publication de romans, de poésies, de traductions).

— Enfin, dans les vallées vivaro-alpines des Alpes maritimes, ce qu’on appelle plaisamment la « Gavotina du ca » – parce que l’on y parle de « cabra » (chèvre) et non de « chabra » – participe désormais également au mouvement de promotion du dialecte.

Breizh-info.com : En quoi est-il selon vous fondamental de permettre à la jeunesse notamment de se réapproprier les langues régionales ? 

Gérard Ligozat : Je pense qu’il est important pour toute personne qui vit dans une région qui a la chance de posséder une culture de langue autre que la langue française – qu’elle y soit née ou non – d’avoir conscience de l’environnement culturel dans lequel elle se trouve, pour ne pas « vivre idiote ». Or c’est le contraire qui se passe en général : qui n’a pas provoqué la stupéfaction de son interlocuteur en lui apprenant à quel point le français était une langue minoritaire en France jusqu’au début du XXe siècle ? Mais où est-il question de cela dans l’enseignement, sauf exception remarquable ?

Pour ne pas être neuve, l’injonction « Connais-toi toi-même! » n’a rien perdu de son actualité. C’est sans doute une des tâches les plus importantes qui doit occuper les défenseurs de nos langues : réussir à s’ouvrir sur la société de sorte que la connaissance – et éventuellement la pratique – de ces langues devienne l’affaire de tous.

Breizh-info.com : Vous êtes par ailleurs membre de l’association internationale d’études occitanes, pouvez vous nous en parler ?

Gérard Ligozat : La chose n’est pas visible, ou si peu, lorsque l’on vit en France. Mais considérée globalement dans sa bonne dizaine de siècles d’existence, la langue occitane a la chance de disposer d’une tradition littéraire ancienne et, pour sa période médiévale en particulier, glorieuse. Le monde de la culture –  sauf peut-être en France, comme l’insinuait perfidement un romaniste allemand du XIXe siècle auteur (en français !) d’une « grammaire de la langue des Félibres », connait l’existence d’une école troubadouresque qui a un temps constitué un exemple imité dans toute l’Europe (trouvères de langue française, Minnesänger allemands, poètes d’Italie, d’Espagne et du Portugal). Seule survit dans le folklore français la caricature du troubadour miséreux grattant son luth. Encore moins peut-être sait-on, eût-on a fait des études, qu’il existe une littérature bien vivante en occitan, et des romanciers, poètes et dramaturges contemporains. Et que cette littérature est elle-aussi connue et étudiée à travers le monde.

L’Association Internationales d’Études Occitanes a été créé pour regrouper les romanistes qui à des titres divers travaillent sur la matière occitane. Elle publie des travaux scientifiques dans le domaine, et organise tous les trois ans un Congrès international. Les communications se partagent entre le domaine de l’occitan médiéval, et le domaine moderne et contemporain.

Breizh-info.com : Conseilleriez vous certains livres à nos lecteurs bretons, pour qu’ils découvrent, en plus de la langue avec votre ouvrage, votre culture, votre patrimoine, votre histoire ?

Gérard Ligozat : Je conseillerais en premier lieu l’« Histoire de l’Occitanie », de Philippe Martel, chez l’éditeur breton Yoran (Yoran-Embanner) qui donne de très nombreux pointeurs vers  les différents aspects de la culture occitane.

Pour le dialecte vivaro-alpin en particulier, mon manuel « A nòstre biais » (À notre façon) comporte quatre pages de bibliographie commentée (qui est mise à jour en continu sur le site www.normalesup.org/~ligozat).

Il existe également en anglais une très complète – elle va des plus anciens textes en occitan jusqu’aux romanciers et poètes du XXIème siècle – et excellente anthologie bilingue (occitan-anglais) de la littérature occitane, compilée et traduite par James Thomas : « Grains of Gold: An Anthology of Occitan Literature », publiée en 2015 aux éditions Francis Boutle.

Je voudrais terminer en rappelant que Michel Feltin-Palas, journaliste de la presse généraliste, en l’occurrence « L’Express » publie une lettre hebdomadaire en ligne sur les langues de France, y compris le français, qui est très pertinente, très informative, et qu’il faut soutenir en s’y abonnant (l’abonnement est gratuit) car elle constitue la seule ouverture médiatique généraliste sur les langues minoritaires : [email protected]

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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