L’entreprise EARTA, victime collatérale de la restructuration chez Presstalis devenu France Messagerie, avec l’aval de l’État ? C’est le scénario qui se dessine petit à petit ces dernières semaines, alors que 250 salariés sont directement menacés par les annonces récentes, dont 230 salariés handicapés.
En cause ? La restructuration du groupe Presstalis, accablé de dettes malgré la participation financière annuelle de l’État (donc de l’argent du contribuable) depuis des années. Le principal distributeur de presse en France avait évité la fermeture mi-mai, mais avait vu ses filiales en région liquidées, avec là aussi plus de 500 salariés « liquidés » (ceux de la SAD et de Soprocom).
Une restructuration qui devrait avoir un impact sur des sociétés dont Presstalis était le client, comme EARTA, entreprise qui, dans ce domaine, valorisait les invendus de presse (triage et recyclage).
Pour mieux comprendre les enjeux et les conséquences de cette « restructuration », mais aussi pour mieux comprendre le fonctionnement, opaque, de l’entreprise Presstalis (France Messagerie) financée par l’État (80 millions d’euros injectés récemment, une somme qui s’ajoute aux 95 millions versés ces derniers mois dans Presstalis) dont l’activité de messagerie de presse consister à distribuer des journaux et magazines à travers un réseau de points de vente, nous avons interrogé Didier Rio, patron de l’entreprise EARTA et du groupe Zefi, victime collatérale d’arrangements secrets en haut lieu.
Zefi est le premier réseau français d’entreprises solidaires unissant des Entreprises Adaptées dont EARTA fait partie.
Breizh-info.com : Pouvez-vous revenir sur la situation actuelle au sein d’EARTA ?
Didier Rio (EARTA) : Depuis 2016 nous gérions tous les invendus de la presse, pour la SAD qui était le dépositaire filiale à 100 % de Presstalis. La SAD a été liquidée le 15 mai, Presstalis a été mis en redressement judiciaire. Nous avons réussi à continuer à travailler pour eux, malgré la crise, malgré le Covid.
Mais depuis, nous sommes très étonnés, meurtris. J’estime que le processus de décision de France Messagerie est opaque, totalement, sur le choix des futurs dépositaires. Depuis le début. On appelle, on se présente (alors qu’on travaille avec eux depuis 4 ans), sans aucune réponse désormais. On a l’impression qu’ils préparent quelque chose entre eux, entre dirigeants, et que ce n’est plus ouvert.
Il n’y a aucune transparence, et le pire, c’est que tout cela est financé par l’État en parallèle. On lit que France Messagerie se targue de transparence, de bienveillance, mais c’est faux.
Nous avons vécu des crises, nous en revivrons sans doute. Mais des crises naturelles. Là c’est abominable, car vous vous retrouvez face à un groupe financé par l’État, qui ne répond à aucune attente, qui prend des décisions opaques, et on va voir que ça s’est fait entre eux.
Breizh-info.com : Quel est le travail principal des salariés au sein d’EARTA ?
Didier Rio (EARTA) : Il y a 250 000 invendus de presse qui arrivent par jour environ. On va ou bien les contrôler, ou bien les trier, pour les éditeurs, qui vont stocker ou revaloriser autrement ensuite en les revendant différemment. Ou bien nous allons les revaloriser en termes de papier pour faire de la pâte à papier ou d »‘autres journaux.
En 2016 nous avons créé un vrai site industriel permettant réellement de bien valoriser, vérifier, quantifier ces retours d’invendus.
Nous avons ce site sur Voivres/Le Mans fondé spécialement pour Presstalis, maintenant EARTA ce n’est pas que ce site. Nous sommes imprimeurs, sur Nantes, nous gérons des archivages, de la gestion électronique de documents pour d’autres clients, nous avons différents métiers heureusement.
Mais nous avons énormément investi sur cette activité (800 000 euros dédiés il y a deux ans). Nous avons pris des bâtiments pour faire cette activité. À ce jour, l’impact n’est pas uniquement lié à cet établissement, à ce site. IL va y avoir un réel tsunami sur l’ensemble de la société EARTA. Le Covid nous a fragilisé comme tous, et là, notre premier client s’en va, de cette façon. Cela aura des répercussions sur Nantes, sur nos différents sites. Des répercussions très importantes.
Breizh-info.com : Comment France Messagerie justifie le fait de vous enlever ce marché, sachant en plus que vous employez des travailleurs en situation de handicap ?
Didier Rio (EARTA) : Je n’ai senti aucune volonté de faire au mieux pour nos salariés de la part des dirigeants de France Messagerie et de Presstalis. Cela fait plus de trois mois qu’on envoie des emails, qu’on appelle, on a rien, pas d’échange. Ils font leurs affaires entre eux, l’État finance, tout va bien… ce n’est pas audible.
Donc nous alertons. Ce n’est pas facile de déballer tout sur la place publique comme nous le faisons aujourd’hui, mais nous n’avons pas le choix. Les décisions prises ne vont pas dans le sens non plus d’une efficacité, d’une rentabilité.
Les anciens salariés de la SAD, eux-mêmes, s’interrogent sur l’opacité de France Messagerie, et reconnaissent que nous sommes les mieux placés pour ce travail. À partir de là, il ne s’est rien passé.
Breizh-info.com : Mais concrètement, le mandat que vous aviez s’est achevé et n’a pas été reconduit c’est bien ça ?
Didier Rio (EARTA) : On ne sait même pas… On sait que nous n’avons pas les mandats. Mais ce que l’on sait c’est que les nouveaux dépositaires (ceux qui ont eu les mandats) vont gérer les invendus chez eux.
Breizh-info.com : Vous avez laissé entendre que Louis Dreyfus, patron de Presstalis et du journal Le Monde, vous aurait fait la promesse de continuer à travailler avec vous, quid ?
Didier Rio (EARTA) : Nous n’avons aucune nouvelle. C’est choquant. Il se fabrique à ce jour un système identique à ce qui se faisait avant, sans que l’on soit impliqué dedans et tout cela financé par nos impôts. C’est un schéma absurde socialement, humainement.
Breizh-info.com : Qu’est-ce que l’État donne concrètement à Presstalis ?
Didier Rio (EARTA) : L’État a financé tous les déficits de Presstalis depuis des années. Mais récemment, l’État finance à hauteur de 200 millions d’euros en plus. Et c’est sûrement une bonne chose pour accompagner la diffusion de la presse, je ne remets pas ça en cause. Mais quand on met autant d’argent, on doit contrôler, ce n’est pas en interne qu’ils doivent faire ce qu’ils veulent, ce n’est pas possible.
Je suis convaincu qu’avec des règles du jeu bien définies, EARTA a sa place. On ne demande pas de passe-droit, pas de prime, simplement de travailler. Juste que l’on contrôle la loyauté de l’attribution des mandats.
Breizh-info.com : Quelles sont les conséquences pour vos salariés, pour vous, le chef d’entreprise ?
Didier Rio (EARTA) : Cela va être dramatique humainement. On ne peut pas imaginer pouvoir passer cette crise même en faisant le dos rond. Nous aurons un plan social d’ampleur. Je ne le mesure pas encore. Je n’ose pas donner un chiffre, mais ce sera supérieur à 100 salariés.
Breizh-info.com : Quelles sont les réactions au sein de votre entreprise ?
Didier Rio (EARTA) : Les salariés sont grands. Ils travaillent. Vous savez, souvent on dit que dans le monde du handicap, ce ne sont pas de vrais boulots, etc. Si, là c’est un vrai travail, de vraies compétences. Ils sont grands en disant qu’ils ne nous prendront pas en défaut. Les partenaires sociaux sont scotchés. Ils ne pensaient pas être trahis par l’État. Ils sont abasourdis.
Concernant l’attitude de Louis Dreyfus, c’est comme ça. Il y a des gens méprisants, d’autres moins, c’est comme ça. Mais c’est le rôle de l’État qui est choquant.
Breizh-info.com : Quel rôle joue Louis Dreyfus dans cette affaire ?
Didier Rio (EARTA) : Il est président du directoire du journal Le Monde, président de Presstalis, de France Messagerie. On a fait le tour du personnage. L’emploi de personnes handicapées n’est ni une priorité, ni quelque chose d’important pour lui. Mais ce qui me dérange, c’est que l’État les laisse faire, les finance. Et laisse à leur merci des hommes et des femmes fragiles comme mes salariés. On n’imaginait pas ça.
Breizh-info.com : Mais qui va faire le travail que vous faisiez jusqu’ici ?
Didier Rio (EARTA) : Non à priori ils vont donner des mandats à d’anciens dirigeants de la SAD, qui vont créer une entreprise, qui vont faire la même chose. Un cercle d’anciens potes, ouvertement. Ce n’est pas acceptable.
Breizh-info.com : Envisagez vous une bataille juridique ?
Didier Rio (EARTA) : Oui, évidemment. On ne peut pas se faire voler, spolier comme ça sans réagir. Première réaction, nous avons alerté, y compris chez Presstalis. Aucune réaction. Puis nous alertons la presse. Nous espérons ne pas aller plus loin, mais nos services juridiques travaillent sur une saisine. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, mais il y a matière, au vu des éléments que nous recueillons. Il est hors de question que des réseaux puissent fonctionner entre eux et fassent perdre leurs emplois à des hommes et des femmes qui n’ont jamais démérités. Oui, j’irai jusqu’au bout.
Propos recueillis par YV
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