Il y a plusieurs façons de concevoir l’Europe. L’Union européenne en est une. Mais Jean-Yves Le Drian vient de découvrir l’Europe « géopolitique ».
Longue interview de Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, dans Le Monde (20 avril 2020) : une page pour nous parler de la Chine, des USA, de l’OMS, de l’Afrique… Certains passages méritent une attention particulière : « Je lis et j’entends que le monde d’après n’aurait rien à voir avec le monde d’avant. Je partage ce vœu, mais c’est de l’ordre de la prédiction. Ma crainte, c’est que le monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant, mais en pire.
Il me semble que nous assistons à une amplification des fractures qui minent l’ordre international depuis des années. La pandémie est la continuation, par d’autres moyens, de la lutte entre puissances. » Nous avons déjà eu l’occasion de lire quelque chose de ce genre-là avec Carl von Clausewitz : « La guerre n’est que la simple continuation de la politique par d’autres moyens ».
« L’Europe doit devenir géopolitique. »
Plus loin, Le Drian émet un autre souhait : « L’Europe doit devenir géopolitique. Elle doit être au rendez-vous de son histoire, mais aussi assumer ses responsabilités sur le plan international. » Charles de Gaulle avait déjà répondu à la question en 1961 : « Il ne peut y avoir d’unité de l’Europe que si l’Europe constitue une entité politique distincte des autres entités. Une personnalité. Mais il ne peut y avoir de personnalité politique de l’Europe, si l’Europe n’a pas de personnalité au point de vue de la défense. La défense est toujours à la base de la politique. Quand on ne veut pas “se” défendre, ou bien on est conquis par certains, ou bien on est protégé par d’autres. De toute manière, on perd sa personnalité politique, on n’a pas de politique. »
Rappelons le comportement de la République française en la matière. En 1966, Charles de Gaulle annonce que la France ne participe plus aux commandements intégrés de l’OTAN. En 1995, elle recommence à siéger au comité militaire de l’OTAN – le « gaulliste » Chirac étant président de la République. En 2004, Paris envoie des officiers au SHAPE, le quartier général allié en Europe – toujours grâce à Chirac. En 2009, la France réintègre le commandement intégré de l’OTAN – un autre « gaulliste », Nicolas Sarkozy, étant président de la République. Bien entendu, pendant le mandat de François Hollande, rien ne changera, les « socialistes » demeurant fidèles à leur culture atlantiste. Une ligne parfaitement assumée par Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense…
Aujourd’hui, le titulaire du Quai d’Orsay affirme d’un côté : « Nous souhaitons que les États-Unis remplissent leurs responsabilités et gardent une relation de confiance avec leurs alliés. » ; et de l’autre que « l’enjeu est surtout que l’Europe exerce sa souveraineté et se trouve un destin de leadership. Qu’elle se projette dans ce rôle. Qu’elle ne se contente pas de s’interroger sur elle-même, sur la manière dont elle sortira de la crise, dont elle défendra sa souveraineté sécuritaire, d’une manière générale, pour ne pas dépendre de l’extérieur. » Reste à savoir si l’UE voudra exercer sa « souveraineté » et se trouver un « destin de leadership ». Le doute est permis.
Bernard Morvan
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