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Pour saluer les gens d’Ouessant (Chronique du confinement qui passe.-3)

Il est vrai que les Britanniques, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, refusèrent à leur héros Premier ministre, un second tour d’héroïsme : ils renvoyèrent Churchill, sir Winston, à son whisky et son « No Sport ! » de légende, pour placer en tête un travailliste avéré, le major Attlee. Notre petit roi devrait méditer l’affaire… les revenchards – même gilets jaunes – ont souvent « raison ». À propos, avez-vous entendu votre voisin proposer de distinguer le bon professeur Raoult avec ce costume ? Beurk… C’est un grade élevé dans la légion d’honneur qu’il mérite, le Marseillais !

L’autre soir, délaissant « l’Espagne rouge » de l’immense Ksawery (Xavier) Pruszynski, je suis parti pour la mer d’Iroise en compagnie de Nicole Ferroni et de Raphaël de Casabianca. J’avais une petite appréhension de voir l’amuseuse bien connue se frotter au granit, à la mer et au Fromveur… En plus, je ne connaissais pas son entraîneur, ledit Raphaël de Casabianca. Je faillis décrocher au début, lors de leur promenade sur les « crêtes » du continent… jusqu’à ce que se rue sur eux un infâme cabot au nez plat qui fut à l’instant baptisé « Monique » et se blottit dans les bras de la Ferroni.

« Z’ont l’air abattus, imprégnés du lieu, racornis d’humilité rogneuse. », Géo Fourier (coll. Part.) Photo : Breizh-info.com

On nous épargna le difficile embarquement à bord du « vapeur » qui fait le voyage du Conquet au port du Stiff, ainsi que les émois des passagers… On vit tout de suite que ça allait « cogner » entre ces visiteurs et leurs hôtes : Inès Orlach et Timothée Priol. Cela « cogna » en effet. Je vous invite à rejoindre les fans de l’émission qui diffuse en replay (aïe) sur la 2. Vous entrerez dans la maison de Toulalan qui domine le fond de la baie et la meilleure plage (la plus grande, celle de Corz) de ce terrible coin de villégiature. Faites-vous humble, c’est la loi ! Ne la ramenez pas comme un surréaliste au temps d’André Breton, qui posait entre les rochers anthropomorphes de la pointe de Pors Men. On a les photos (années 30) ! Ne faites pas plus le malin qu’un chainchard… Chainchard vous êtes, chainchard vous resterez jusqu’à la fin des temps, en dépit du courant actuel qui voit une invasion estivale d’avocats, de psy(s), de semi-intellos (des journalisses) – à vous dégouter d’exister ! Remarquez, on les reconnaît tout de suite quand ils se promènent sur la lande… Z’ont l’air abattus, imprégnés du lieu, racornis d’humilité rogneuse. Comme disait, en breton, mon ami Nicolas : « Le vent se lève, que le Bon Dieu protège les marins d’Ouessant, que les autres se démerdent ! »

Nos deux voyageurs, Nicole et Raphaël, découvrent l’insularité en se promenant à bicyclette et en rencontrant des lieux et des gens. Nicole Ferroni est une belle personne : la preuve, elle a versé une larme visible mais retenue devant la beauté sublime de la Pointe de Pern… et une seconde larme, lors de la soirée d’adieu chez Véronique et Olivier. Deux moments très forts, j’ai eu du mal. J’ai aussi pointé, au fil de cette heure trois quarts – dommage que ça n’a pas duré plus longtemps – des instants de rare beauté. Je vous les cite…

Nicole et Raphaël rendent visite à « Tim » sur son lieu de travail : l’école primaire de Lampaul où il fait « classe unique » à tous les gamins de l’île (une bonne trentaine) du cours préparatoire au CM2. C’est un véritable enchantement de voir ces bouilles de gosses ravis d’être un peu distraits le temps du passage des invités. Le chant est perçu comme un exercice. Une gamine de dix ans déplore les déchets produits l’été par les chainchards. Je l’embrasse… Survient l’institutrice et sa maternelle. Je ne voudrais pas être impoli, mais à regarder le tableau, il n’y a guère de colorés dans cette assemblée. Tss… Remarque d’autant plus désobligeante que c’est vu de l’extérieur de la boîte à images et en dehors de la conversation avec un naturel « du pays » dont la fonction intermittente est de sortir tout le monde de l’eau… en Méditerranée. Vous me suivez ?

La rencontre d’une autre belle personne, Ingrid la « plombière », nous fait partir en camionnette rouge bordeaux vers deux vieilles dames qui passeront, pour la postérité, comme symboliques de cette « île aux femmes » ainsi qu’on désignait Ouessant dans les temps anciens, quand les hommes partaient des mois et des années pour le Commerce ou la Royale. Nicole, qui fut prof’ de kekchose dans l’éducation moderne – j’ai pas saisi, mes oreilles sifflent –, se met tout de suite à la tâche : c’est une bonne aide à Ingrid qui lui donne un cours de TP. Tout ce temps, Raphaël a suivi à vélo…

Ouessantine, GéoFourier, DR

Évidemment, les temps ont changé. Les mauvais jeux de mots sur les façades ont heureusement disparu… Vingt-cinq ont passé… En descendant la rue principale vers le Stang, on trouve à tribord… une pizzeria ! Vains dieux, la bouffe carton italienne a encore marqué des points ! Ludo, le pizzaiolo, prépare le déjeuner pour ses visiteurs, lesquels découvrent son autre fonction qui laisse pantois Nicole et Raphaël : il est le « patron » du canot de sauvetage SMS de Ouessant. Promenade et démonstration. Un gars s’y colle, en tenue de dauphin… Les visiteurs sont habillés pour le grand large.

Suit une soirée de filage et de tricotage des beguen… ces bons chaussons d’intérieur (je vous les recommande, à l’aise, y compris dans les sabots de bois). Autour de la table, Nicole s’essaie au fuseau… bon, c’est pas très réussi… elle a l’impression d’avoir fait « une barbe à papa ». Elle se chamaille un peu avec Raphaël. Mais l’instant le plus précieux est la rencontre avec une fileuse, une « prof’ de breton » en formation. Émilie, la bretonnante nous explique la beauté de sa langue – alas, j’entrave quelques mots, je suis un bigorneau. Elle apprend le breton avec une vieille dame qui a connu les persécutions des jacobins contre les locuteurs celtiques. Elle parle breton avec son bambin… De quoi rendre fier toute la communauté. Moi, ce qui me bouleverse est de voir que rien n’est jamais perdu. Merci Émilie !

En mer d’Iroise, les surprises ne manquent pas. Un canot pneumatique de Camaret emporte nos « continentaux » et Inès jusqu’à l’île de Quéménès où vivent Étienne et Amélie, deux ermites joyeux qui tiennent auberge pour surdoués du tourisme. Ils ont remplacé un autre couple, doté de plusieurs loupiots, qui a vécu et restauré la « ferme » pendant dix ans… De quoi rêver. Pour eux, ils sont là depuis deux ans… sans pas (encore) d’enfant. Ils élèvent des moutons (certains tout noirs) d’Ouessant… mais grande taille, XL. L’île a été achetée par le Conseil départemental du Finistère. Voilà de braves gens !

Bon, revenons à notre Espagne. Nous sommes en 1936 et ne dépasserons pas 1937. Xavier (c’est plus facile de le franciser) Pruszynski est écrivain et journaliste. Il se rend de Varsovie à Madrid pour son métier de rapporteur. Il découvre les « beautés » de la Révolution telle qu’on l’imaginait en ces temps de Frente Popular. En Espagne ça durait depuis janvier 1936. Le pronunciamiento de Franco, ce colonel félon, ça date de juin de la même année. Moi, je suis né à ce moment-là, dans une famille très Cristo-Rey.

Le livre de Pruszynski est du genre à soulever le cœur, même pour celui qui a lu (bien après) Soljénitsyne et  Varlam Chalamov… celui qui a regardé, fasciné, pour la dixième fois Katyn, le grand film d’Andrzej Wajda. Chaque page est une illustration de la férocité des peuples : d’un côté comme de l’autre. Les curés et les cocos… Pire, les anars et les fachos, définitions d’époque… Nous avons vécu l’horrible XXe siècle et nous finirons à Narayama. Bon courage les « vieux » !

Que les lumières mouvantes et nocturnes d’Ouessant, du Créach et de la Jument, nous garde. Sans parler de la corne de brume.

MORASSE

Photo de couverture : Samuel Lamotte d’Incans/Wikimedia (cc)
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