On le sait maintenant clairement – le coronavirus et la crise financière qui l’accompagne, mais qui était aussi dans les tuyaux depuis un bon moment, vont provoquer une récession et du chômage de masse. Mais peut-on chiffrer ce recul de l’économie ?
The Economist Intelligence Unit (EIU) a revu ce début avril toutes ces prévisions de croissance radicalement à la baisse – si un retour de la croissance est toujours prévu dans le courant du second semestre, il risque d’être douché par le retour de l’épidémie cet hiver, prévu aussi par un nombre croissant de publications médicales, et par les autorités de plusieurs États – dont la Russie – qui ne se limitent pas à faire des hôpitaux de campagne sous des tentes, mais construisent activement des hôpitaux complémentaires en dur à la lisière de tous les grands centres urbains.
Le confinement mondial a induit un chômage de masse et provoqué un choc négatif de demande – la demande globale s’est effondrée du fait de l’obligation de se confiner et de la perte de pouvoir d’achat d’une partie de la population, la consommation s’est grippée et les investissements aussi. Selon l’EIU, l’Allemagne perdrait 6,8 % du PIB – les autorités allemandes avaient déjà prévu, elles, une baisse de l’ordre de 5 % -, la France 5 % et l’Italie 7 % – son bureau statistique a annoncé une baisse de 8 %-. Les États-Unis perdraient 2,8 % et la Chine – où les usines tournent à nouveau à plein régime depuis quelques jours – ne gagnerait que 1 %, contre 6,1 % en 2019.
En Suisse, les économistes de Raiffeisen Bank ont revu à la baisse leur prévision de croissance pour la Suisse – ils anticipent désormais un repli du PIB de 2 % pour la Suisse. En revanche, comme dans d’autres pays où le choc de 2020 devrait être suivi d’un rebond de la croissance, ils anticipent une croissance de 3,8 % pour la Suisse en 2021, contre 1,6 % il y a quinze jours.
Une autre étude, en Allemagne cette fois, de Die Welt fait état de 152 à 265 milliards d’euros de pertes en cas d’un confinement d’un mois (avec de 4,3 à 7,5 % de recul du PIB), et de 255 à 495 milliards d’euros (avec un repli de 7,2 à 14 % du PIB) pour un lockdown de deux mois. Ces pertes monumentales et le relatif contrôle de l’épidémie en Allemagne (107 458 cas et 1 983 morts au 7 avril, avec un taux de mortalité oscillant entre 1,1 et 1,4 %) sont l’une des raisons qui conduisent le pouvoir allemand à envisager une levée du confinement dès le 19 avril prochain.
Le chômage de masse et la grande dépression reviennent aux États-Unis
Aux États-Unis, après avoir longtemps minimisé le coronavirus et ignoré tous les rapports de l’OMS et les alertes des médecins depuis mi-janvier, Trump a fait volte-face lorsque la situation est devenue incontrôlable. La seule ville de New York est en passe de pulvériser les chiffres de toute la Chine pendant l’épidémie… Avec 390 387 cas et 12 474 morts ce 7 avril, les États-Unis sont à la fois le pays qui a le plus de cas et le troisième le plus endeuillé au monde, et rien ne permet de penser que le pic sera atteint dans les jours à venir.
Face au coronavirus, la première économie du monde a surtout étonné par les manques de son système de santé : hôpital de campagne sous des tentes à Central Park organisé par une église évangéliste, navires-hôpitaux hors d’âge, hôpitaux débordés, morgues dans des camions frigorifiques qui débordent de corps, masques et respirateurs en manque malgré les détournements de commandes commis par des américains au détriment de pays européens et du Canada en Chine et en Thaïlande – il s’agit de 200 000 masques N95 commandés par l’Allemagne…
Sans oublier des prévisions de mortalité énormes, en comparaison avec la Chine, la Russie et même les pays européens : « si tout se passe bien » au moins 100 000 morts d’ici juin, 200 000 selon un rapport du CDC américain qui a fuité le 2 avril, et ce sans compter la seconde vague prévue cet hiver… Au 2 avril, les autorités américaines semblaient être encore « optimistes » et avaient commandé 100 000 sacs mortuaires pour les morts à venir du coronavirus, mais la veille un scénario négatif ,faisant état de 1,5 à 2 millions de morts en cas de krach du système sanitaire et du confinement, avait fuité.
Résultat, le chômage a explosé. Dans la seule journée du 2 avril, 6 648 000 personnes ont rejoint les rangs fournis des chômeurs. La veille, ils étaient 3 millions de plus. Dans la dernière semaine de mars, 3,28 millions de personnes ont annoncé avoir perdu leur travail, principalement dans la restauration, les services à la personne, le transport, les commerces alimentaires et non alimentaires ; les états de Californie, Hawaï, Michigan, Pennsylvanie, Kentucky et Rhode Island sont les plus touchés. En Californie, le nombre de nouveaux chômeurs a augmenté de 350 % en une semaine, passant de 186 000 à 878 000 la dernière semaine de mars.
Jusque avant la crise, il y avait 7,4 millions de chômeurs aux USA (3,6 % de la population active). Ce chiffre a déjà doublé en deux semaines et pourrait monter jusqu’à 32 % de la population active selon les prévisions les plus pessimistes des grandes banques américaines, avec 47 millions de nouveaux chômeurs. Une prévision non moins pessimiste de l’ex-présidente des gouverneurs de la Réserve fédérale des USA, Janet Yellen, fait état d’un chômage à 13 % de la population active – au minimum – et d’une contraction de l’économie américaine de 30 % au second trimestre.
Robert Frick, économiste à la Navy Federal Credit Union, prévoit quant à lui un pic du chômage à 20 % – pas très loin des 25 % lors de la Grande dépression en 1929. Et Goldman Sachs prévoit désormais une chute du PIB de 4 % au premier trimestre et de 14 % au second, avec un rebond ensuite – le total en 2020 serait de -1,5 % sur l’année, ce en supposant que la croissance rebondira et que l’État comme la Réserve fédérale noieront l’économie de liquidités en faisant tourner la planche à billets.
Les analystes de la Bank of America tablent, eux, sur un déclin cumulé du PIB de 10,4 % sur 2020 et une reprise de la croissance qu’au quatrième trimestre – le moment précis où pourrait arriver la seconde vague de l’épidémie. Morgan Stanley prévoit une baisse du PIB de 3,4 % au premier trimestre et de 38 % au second, avec un rebond dans la seconde moitié de l’année – et une baisse totale du PIB de 5,5 % cette année.
Dans le Canada voisin, les mêmes raisons engendrent les mêmes résultats : fin mars, 929 000 personnes, soit 5 % de la population active, ont demandé en une semaine à bénéficier des allocations chômage. Ce 28 mars 2020, le journal québécois La Presse estimait que la décroissance pourrait atteindre 5,1 % d’après des documents budgétaires canadiens. Avant la crise, le PIB a augmenté de 1,9 % en 2019 et devait encore augmenter de 1,5 % en 2020, cette estimation ayant été revue à la baisse début mars. Le déficit lui, devrait augmenter de 90 milliards de dollars canadiens et être porté à 112,7 milliards, soit 5,2 % du PIB.
Louis-Benoît Greffe
Crédit photo :DR
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