Il y un mois, en famille, je fêtais mes soixante-dix ans. Depuis le début de l’année 2020, je passais beaucoup de temps à organiser la façon dont je les fêterai avec mes différents groupes d’amis. J’ai toujours privilégié les relations en petit comité pour bien profiter de chacun. Plus la date du 20 février approchait, plus j’étais troublée. Rien n’était évident et j’en arrivais à me contrarier. Puis, le cap passé, j’étalais dans le temps les retrouvailles.
Dernier goûter à La Cigale partagée avec une amie et ancienne collègue. Quand tout bascule, quelques sensations se détachent du lot commun, se gravent dans votre esprit. Selon notre habitude, des petites courses « en ville » : acheter du thé « Mariage » chez Debotté. Nous avons aussi flâné chez « Nature et Découverte ». En prévision d’une invitation fixée à la fin du mois chez la fille d’une autre amie, j’ai craqué pour ce bol « shaker » qui fait tout seul de la chantilly. Une bonne idée de cadeau. La chantilly et moi nous sommes fâchées, alors, une forme de contrition sans doute, j’ai été fasciné par la facilité de l’opération. Il suffit, soi-disant, de verser de la crème froide dans le bol et les pierres magiques font le reste, il faut juste secouer énergiquement. Pour vérifier, il va me falloir être patiente. L’invitation a été reportée.
Ce goûter-là, il avait fallu le mériter, attendre d’avoir une table. Dans ce décor kitsch qui sait si bien accompagner les conversations feutrées, les confidences, nous nous sommes régalées selon notre habitude des tartines grillées, du beurre de chez Beillevaire et des petits pots gourmands, caramel au beurre salé, confiture « maison » et compote. Et cette confidence de mon amie m’annonçant que le lendemain, elle essaierait de trouver des masques à la pharmacie de Saint-Joseph. Pourquoi pas ? Nous nous sommes quittées le cœur léger.
Et ce jeudi de la même semaine, retrouvailles tant attendues avec une amie de la nuit des temps, en fait pour être précise, nous avons débuté ensemble notre carrière professionnelle à la fac de Droit au printemps 1970. L’eau de l’Erdre a coulé sous le pont, nos vies se sont écoulées avec joies et peines entremêlées. Bonheur de se retrouver chez Imagine, une belle table de qualité, rue Gresset. Aujourd’hui je m’en veux de ne pas avoir retenu l’intitulé des plats, il me reste le souvenir d’une entrée délicate et d’un merveilleux dos de merlu savoureusement travaillé. Elle ne connaissait pas l’endroit, elle a beaucoup apprécié. J’ai un souvenir plus précis du verre de vin qui nous a beaucoup plu, il s’agissait d’un Côtes du Rhône Village domaine Amadieu, très à mon goût avec le fruit qui s’impose. Elle me raconte son nouveau mode de vie, son compagnon, leur passion partagée pour les longues marches, les randos. Nous nous confions, nos enfants, nos envies, nos inquiétudes.
À cet instant-là, nous ne savions pas qu’une menace était suspendue au-dessus de nos têtes. Le coronavirus c’était un machin chose qui venait de Chine, mais nous en France, on est les plus forts, on a un système de santé tellement performant que l’on peut, et ce de longue date, faire la sourde d’oreille aux alertes lancées par les professionnels. Et puis, l’important, c’étaient les élections municipales, si elles avaient lieu, cela voulait bien dire que… Coronavirus ou pas, on verrait bien qui fait la Loi.
Hélas aujourd’hui, on voit ! Le pays est à l’arrêt. Les Français ont la gorge nouée et les tripes à l’envers, le constat a été fait dans les supermarchés. Et moi je me dis chaque jour, que si j’avais su… Alors me revient en mémoire ce leitmotiv d’une vieille dame voisine de mes parents : « Fais bien attention mon enfant à toutes ces petites choses sans importance, tu sais, plus tard, il t’arrivera peut-être de les regretter ». Il faut dire qu’elle, elle avait connu deux guerres, perdu un mari et un fils. Elle connaissait le prix des choses.
Anne MESDON
Crédit photo : Velvet/Wikimedia (cc)
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