A près de 90 ans, Clint Eastwood ignore tout de la notion d’œuvre testamentaire. Si La Mule était, en quelque sorte, une méditation stoïque sur le devenir du monde, son nouveau film prend à bras le corps l’histoire vraie d’un homme, passé en quelques jours du statut de héros national à celui d’ennemi public, pour l’inscrire dans la grande tradition du film-enquête américain, fustigeant les institutions (FBI, Quatrième pouvoir), exaltant la résistance individuelle et distinguant les solidarités imprévisibles. Richard Jewell, un trentenaire obèse, voue un culte à l’autorité policière et, faute de pouvoir intégrer les forces de l’ordre, fait montre d’un zèle outrancier dans les tâches mineures de surveillance qui lui sont confiées. C’est pourtant cette obsession qui lui permet de sauver des dizaines de vies, lors d’un attentat perpétré à Atlanta, au moment de la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques de 1996. Faute de suspect, le FBI (en collusion avec la presse) jette en pâture au public ce paladin de la sécurité et tente de le manipuler avant que celui-ci ne trouve l’appui providentiel d’un avocat spécialisé dans le droit immobilier…
Si ce récit véridique a retenu l’intérêt de l’auteur de Pale Rider et de L’Échange, c’est sans doute par la rencontre qu’il offre entre les rouages du système, prêt à broyer l’individu, et le parcours personnel de celui-ci, marqué par une impressionnante évolution psychologique et une décisive prise de conscience. L’œuvre n’est pas sans parenté avec Dark Waters, le prochain film de Todd Haynes, qui relate lui aussi le combat d’un homme seul contre la toute-puissance de l’Appareil. Mais là où le démocrate Haynes insère les actes de son héros dans le cadre des lanceurs d’alerte contre l’opacité nocive de l’industrie, le républicain Eastwood ne filme pas à hauteur de système mais d’homme. Si, en tant que cinéaste de droite, il se méfie de la machine fédérale, il n’attaque pas celle-ci, mais, dans la lignée des Ford et Capra, dénonce les irrégularités et les défaillances générées par des responsables indignes. À la différence de l’U.R.S.S., dont est originaire la compagne de l’avocat de Jewell, il est possible de faire advenir la vérité dans l’État de droit que sont les U.S.A. – la jeune femme déclare, en effet : « Là d’où je viens, quand l’État s’en prend à un individu, c’est qu’il est innocent » –, puisque les textes de loi comme la liberté de parole résistent à toutes les forfaitures. Reste à convaincre Jewell de lutter contre ses instincts premiers et à lui enseigner la défiance contre les enquêteurs, figures à ses yeux d’une institution dont il entend coûte que coûte préserver la cohérence, sans que la perversité des forces de l’ordre ne lui saute aux yeux. Autrement dit, Jewell doit apprendre à tuer le père pour sauver sa peau, comme l’attestent ses injonctions à l’exhibition des preuves, lors de sa dernière confrontation avec les fédéraux.
En rabattant ce parcours moral sur une mise en cause des dérives médiatiques et judiciaires, sans surplomb ni pathos, Eastwood montre qu’en 2020 il demeure le dernier des classiques.
Sévérac
Le Cas Richard Jewell. Un film de Clint Eastwood, avec Paul Walter Hauser, Sam Rockwell. En salle actuellement
Crédit photo : Erin A. Kirk-Cuomo/Wikimedia (cc)
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