Le peuple de droite en Uruguay retient son souffle. Il se pourrait que cette fois-ci, ce soit la bonne et que l’alternance attendue soit enfin arrivée après 15 ans de règne sans partage de la gauche.
Mais pour que le résultat soit officiel, il faut encore attendre vendredi. La gauche, après une remontada dans la dernière ligne droite, a voulu faire compter jusqu’aux derniers bulletins…même si ceux-ci ne pourront pas mathématiquement changer la donne. Pour narguer la droite et la faire languir. Un manque de fair-play discutable, dans un continent où la contestation des résultats mène à des guerres civiles (Venezuela, Bolivie…).
Gauche contre droite, les Uruguayens la jouent classico
Les médias internationaux prennent largement parti pour la gauche : Ouest-France, cela va de soi, mais aussi le libertarien The Economist, qui a chanté en 2013 les louanges du gouvernement battu. Le peuple uruguayen lui est très partagé, coupé en deux comme on l’a vu dans le passé en France, infiniment douée elle-même pour la zizanie.
Chaque camp a gommé ses dissensions et s’est rassemblé dans la haine du camp d’en face. Le Front Elargi est mené par Daniel Martinez, un ingénieur franco-uruguayen de centre-gauche. Cette alliance très large compte dans ses rangs le parti communiste d’Uruguay et des anciens guérilleros d’extrême gauche, les fameux Tupamaros dont l’incroyable audace a inspiré les Picaros à Hergé.
Le candidat de droite Luis Alberto Lacalle Pou, fils d’un ancien président, d’esprit Manif pour tous, a fait alliance avec la droite libérale, mais aussi avec la droite nationale du général Guido Manini Rios – ce dernier défend la mémoire de l’armée qui a vaincu les Tupamaros dans la guerre civile des années 70. Car dans la vraie vie, c’est le général Tapioca qui l’a emporté, avec des méthodes pas toujours très reluisantes…
Le débat électoral a été classique. D’un côté la gauche a vanté l’État-providence (qui a fait reculer de façon spectaculaire la pauvreté) et les réformes sociétales (libéralisation de l’avortement, de la marijuana, du mariage homo). Elle a pu s’appuyer sur l’électorat urbain de Montevideo.
De l’autre, la droite, majoritaire dans le pays rural profond, répond politique de l’offre pro-business, fiscalité trop lourde, repères anthropologiques et lutte contre l’insécurité, qui semble avoir été déterminante. Car il semblerait que le minuscule Uruguay, décrit comme la Suisse de l’Amérique latine pour ses banques et sa tranquillité, subisse l’influence de son voisin le Brésil et de sa terrifiante violence.
L’Uruguay, entre mondialisation et guerre civile
Paisible comme un canton helvète, l’Uruguay ? C’est plus compliqué que cela.
Grand comme un tiers de la France, avec une population moindre que la Bretagne, l’Uruguay est habité par un alliage d’Espagnols et d’Italiens, avec une mesure de sang amérindien et une pointe d’ascendance française. Le climat est tempéré et la vocation du pays agricole – et aussi bancaire : ce petit pays sert de Luxembourg aux Argentins fortunés pour leurs opérations d’optimisation fiscale.
Économiquement, l’Uruguay évoque l’épisode biblique de Joseph et du Pharaon. Quand les cours mondiaux des matières premières sont élevés, il jouit d’une prospérité insolente. Et alors, il peut se permettre des avancées sociales étonnantes (l’Uruguay avait des assurances sociales inspirées de l’Allemagne bien avant la France). Le Front Elargi, qui a dirigé le pays depuis 2004, a ainsi bénéficié des énormes besoins chinois et a redistribué cette richesse à la population sous forme d’allocations.
Mais quand les cours des matières premières se retournent, alors ce sont les vaches maigres. Et avec elles, la guerre civile ouverte ou larvée, dans ce pays latin doué pour l’embrouille, qui possède plus de courants politiques que de fromages. Le parti d’en face est vite diabolisé et accusé de tous les maux. La gauche uruguayenne, peinte comme angélique, a un goût de la provocation et de l’humiliation anti-droite qui rappelle celle de la gauche française. Les traditionnels jours fériés catholiques de la Semaine Sainte ont été ainsi rebaptisés officiellement Semaine du Tourisme par le gouvernement laïcard de la Belle Époque. De quoi alimenter des rancœurs qui un jour vous explosent au visage, sans apporter de solutions concrètes aux problèmes du pays.
Yffic
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