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La Catalogne, une histoire compliquée

Les peuples oubliés de l’histoire ont beaucoup de mal à faire vivre un récit historique qui puisse entrer en compétition avec l’histoire écrite par les vainqueurs et mise en musique à partir du début du XIXe siècle comme Jules Michelet l’a fait pour la France. Bretons, Basques, Catalans, ont des rapports compliqués avec leur passé car il ne cadre pas forcément avec l’image que les souverainistes modernes souhaiteraient transmettre.

Les Bretons ont la chance d’avoir été des acteurs de l’histoire, notamment en échappant à la conquête par l’empire franc, matrice de l’Europe moderne. Leur patrimoine linguistique et culturel spécifique, le fait d’avoir été un vrai pays indépendant, parfois totalement, du temps de ses rois, parfois nominalement vassal d’un royaume plus puissant, confère aux Bretons une assise historique incontestable.

Si les Basques peuvent s’appuyer sur un particularisme ethnique indubitable, ce n’est pas le cas des Catalans, vite intégrés dans la couronne d’Aragon puis dans les domaines de la nouvelle monarchie espagnole, résultat de la réunion des royaumes de Castille et d’Aragon.

Catalogne : une histoire inventée ?

Pour compenser cette histoire peu compatible avec le discours indépendantiste actuel, l’histoire catalane est toujours tentée par les tours de passe-passe comme l’invention dans les manuels d’histoire d’une monarchie catalano-aragonaise qui n’a jamais existé. Pourtant, c’est le passé le plus récent de la Catalogne qui a le plus de mal à passer.

Dans un article qui prend à rebrousse-poil le discours des indépendantistes, le journaliste José-Garcia Dominguez a rappelé dans les colonnes du site libéral madrilène Libertad Digital, quelques réalités de la Catalogne d’après-guerre qui sont en général oubliées par la presse catalaniste.

Ceux qui connaissent l’histoire de l’Espagne ont souvent vu les images de l’entrée du général Yagüe à Barcelone en 1939. Les rues sont noires de monde et les troupes franquistes se dirigent au centre de la capitale régionale sous les vivats d’une population transportée d’allégresse.

Dix ans plus tard, le FET de las JONS, le parti unique aux origines fascisantes, le seul autorisé dans une Espagne alors dirigée par le général Franco, comptait rien qu’à Barcelone, 47 629 membres. À Tarragone, 8 % de la population masculine, âgée de plus de 25 ans avait dans la poche la carte du parti phalangiste. Et pas par obligation, comme le suggèrent maintenant tant d’âmes pieuses intéressées par l’effacement des preuves des fautes de leurs grands-parents.

Personne n’était obligé de s’inscrire à la Phalange. Ainsi, en 1949, dans les municipalités catalanes de plus de 10 000 habitants, 450 maires et conseillers possédaient la carte de la Phalange, mais 113 autres occupaient des postes comparables dans leurs localités respectives sans avoir besoin d’être phalangistes. Ce qui démontre le caractère strictement volontaire de l’adhésion à la Phalange.

En fait, une fois l’occupation de la Catalogne par les franquistes achevée, selon les calculs a minima des historiens qui étudient cette période, parmi lesquels se distingue le professeur  Martí Marín de l’université autonome de Barcelone, environ dix mille Catalans se sont portés volontaires auprès des nouvelles autorités pour occuper les postes abandonnés par les républicains. Ajoutons à cela qu’en 1939, six mille Catalans se sont inscrits, il va sans dire, volontairement aussi, aux Anciens combattants franquistes.

Ces chiffres que l’histoire officielle s’acharne à ignorer, celle qui cherche à inventer une résistance sociale catalane à la dictature, démontrent que le mythe de la résistance de la Catalogne est une invention de toutes pièces.

C’est plutôt tout le contraire. Il y avait beaucoup plus de répression et d’exécutions en Estrémadure ou en Andalousie, des régions sans frontière sécurisée pour fuir à l’étranger, qu’en Catalogne où 3 688 exécutions ont eu lieu après la guerre. Rien qu’à Cordoue, une ville andalouse que personne n’a jamais élevée sur les autels de la mythologie historique progressive,  9 579 personnes ont été passées par les armes. Et à Séville, environ huit mille.

Le maquis catalan, qui se serait distingué pour son importance dans la résistance armée contre le régime, est un autre des mythes qui propage l’histoire officielle, une fiction n’ayant qu’un lointain rapport avec la réalité. La résistance armée en Catalogne a joué un rôle bien moindre que les guérillas communistes en Galice, dans les Asturies ou à León. Ou encore que celles des Andalous de la Sierra Morena.

Pour le reste, s’il est vrai que les classes laborieuses catalanes ont accueilli le nouveau régime avec une hostilité silencieuse, en revanche au sein des classes moyenne et supérieure, auxquelles il faudrait ajouter la population rurale, l’attitude envers Franco oscillait entre la passivité complaisante et un soutien plus ou moins enthousiaste. Rien de très différent de ce qui s’est passé dans le reste du pays. On peut conclure que dans les années qui ont suivi la fin de la Guerre civile, le soutien social au franquisme en Catalogne n’était pas marginal.

Au cours des années suivantes, lors des années de forte croissance que va connaître la région, notamment au cours des années 1960, loin de s’atténuer, le soutien catalan au franquisme s’est renforcé.

Cette période pose un problème insoluble aux historiens souverainistes. D’un côté, ils cherchent à prouver que le régime voulait ruiner économiquement la Catalogne quand, en même temps, ils lui reprochent de lui avoir envoyé les centaines de milliers de travailleurs dont ses usines avaient besoin pour alimenter la croissance de la région. Cette contradiction ne semble pourtant troubler personne dans le petit monde de l’intelligentsia catalane.

En analysant la nouvelle technocratie qui prendra à la fin des années 1950 le pouvoir économique des mains des phalangistes, on se rend compte qu’elle est dirigée par Laureano Lopez Rodo, un Catalan pur jus, issu du quartier de Gracia à Barcelone. Une décision aussi importante que celle d’installer la principale usine de construction automobile de la SEAT (le Renault espagnol) à Barcelone et non pas dans une autre région d’Espagne, sera prise par le ministre de l’Industrie de l’époque, un militaire catalan du nom de Joaquín Planell Riera, ancien haut responsable de l’Institut national de l’industrie.

Le passé franquiste de familles indépendantistes

José García Domínguez aurait pu rappeler bien d’autres faits intéressants comme le passé franquiste des familles de nombreuses figures de proue de l’indépendantisme qui est rappelé par un article détaillé par David Lopez Frias dans les colonnes du site libéral el Español.

Le journaliste mentionne notamment une des figures emblématiques de l’indépendantisme, le chanteur Lluis Llach, dont la chanson l’Estaca a été un des ferments de la renaissance du souverainisme après la fin du régime franquiste. Dans les paroles de cette chanson, il mentionne son grand-père Narcis Siset Llanssa, un barbier élu maire de la gauche républicaine catalane qui fut fusillé après la guerre. Chose curieuse, dans aucun autre canton Lluis Llach mentionne ses ancêtres « Llach». C’est bien dommage, car ils étaient des franquistes convaincus et auparavant des carlistes qui se sont battus pour une Catalogne conservatrice, traditionaliste… et espagnole !

Maria Jesus Cañizares, dans un article paru dans Cronica global, rappelle de son côté que le parti catalaniste Convergencia i Unio (CiU), longtemps hégémonique en Catalogne, est la formation politique qui a absorbé le plus de maires franquistes entre 1979 et 1983.

La journaliste cite l’étude de l’historien catalan Roger Molinas avançant que « dans de nombreuses zones rurales de Catalogne, les structures de pouvoir politique franquistes, qui ont émergé en 1939 avec la victoire des nationalistes, restent intactes dans la démocratie grâce au recyclage que fait CiU ».

Roger Molinas explique que CiU « recrute même des dirigeants fascistes qui n’avaient pas été maires auparavant, tels que Primitivo Forastero, maire de Camarles en 1979, combattant volontaire sur le front de l’Est contre le bolchevisme et dirigeant éminent de la Phalange à Tortosa durant la dictature et qui en 1977 s’était présenté comme candidat au Sénat pour le parti d’extrême droite Cercles José Antonio ».

D’autres maires franquistes ont été recyclés à d’autres postes politiques par CiU. « Certains sont devenus députés à Madrid, délégués de la Généralité dans la capitale ou ministres régionaux, comme Josep Gomis (Montblanc). D’autres sont recyclés en tant que députés du Parlement régional, tels que Miquel Montanya (Lleida), Enric Olivé (Tarragone) ou Josep Maria Coll (Sant Celoni) ».

L’histoire est une arme à double tranchant. Largement réécrite pour les besoins des indépendantismes périphériques, elle contribue à construire des générations nouvelles dans l’adhésion au nationalisme et dans la détestation de l’Espagne. Toutefois, la réalité est têtue et elle finit toujours par faire surface, battant en brèche un discours nationaliste qui triomphe aujourd’hui faute d’adversaire.

L’apparition de Vox dans le panorama politique espagnol change la donne. Pour la première fois le discours manichéiste et mensonger de la gauche et des nationalistes trouve du répondant. Alors que durant ces quarante dernières années, la droite a refusé le combat idéologique, abandonnant toutes ses positions pour se limiter à la défense de l’économie libérale de marché, une nouvelle génération cherche la confrontation au nom de valeurs traditionnelles et d’une vision de l’histoire plus proche de la réalité des faits.

Balbino Katz

Crédit photo : DR
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