Quand un Breton lit un autre Breton… il ne le comprend pas toujours. Le journaliste Charles Jaigu a récemment publié dans Le Figaro un compte rendu de lecture de Quand la machine apprend. Dans ce livre qui rencontre en ce moment un vrai succès, Yann Le Cun décrit avec passion ses travaux de chercheur en informatique. Ils ont fait de lui l’un des grands noms mondiaux de l’intelligence artificielle (IA) et de l’apprentissage machine.
Né en 1960 dans la banlieue parisienne, où son père était ingénieur, Yann Le Cun a hésité entre différentes vocations (il a été tenté par la paléontologie) avant de choisir l’informatique. Ce scientifique de haut niveau n’y est pourtant pas entré par la grande porte. Ni normalien, ni polytechnicien, il a préféré entrer dans une école d’ingénieurs post-bac, l’ESIEE de Marne-la-Vallée pour éviter le parcours d’obstacle des prépas. Il a enchaîné sur un doctorat à l’université Pierre-et-Marie Curie (aujourd’hui Paris Sorbonne Université) puis un post-doc au Canada.
Dès avant la trentaine, il s’est fait remarquer pour ses travaux sur les réseaux de neurones puis l’apprentissage automatique et l’apprentissage profond. Devenu professeur au Collège de France et à New York University, il a accepté en 2013 une proposition hors normes : créer un laboratoire d’intelligence artificielle chez Facebook, le FAIR (Facebook Artificial Intelligence Research). Il est aujourd’hui le directeur scientifique de cet établissement de recherche privé qui a créé des laboratoires à travers le monde, dont un à Paris. Ses travaux lui ont valu cette année la plus haute récompense mondiale en informatique, le prix Turing.
Neurones et transistors
Yann Le Cun cherche à comprendre comment fonctionne le cerveau humain pour s’en inspirer dans la conception de ses machines. « Nous devons chercher les principes fondamentaux de l’intelligence et de l’apprentissage, que ces derniers soient biologiques ou électroniques », écrit-il. Cela n’a pas échappé à Charles Jaigu. Mais ce dernier en tire une extrapolation hasardeuse : « On sait désormais, depuis le séquençage de l’ADN au début des années 2000, qu’il n’y a pas de caractéristique génétique de l’intelligence. L’inné est si peu et l’acquis est immense, car tout se joue dans la relation du cerveau avec son environnement. Les avancées accomplies par les Le Cun de ce monde recoupent finalement les autres sciences du cerveau qui soulignent l’importance de la plasticité neuronale. »
Évidemment, Yann Le Cun ne dit rien de tel. Son domaine à lui ne fait pas partie des « sciences du cerveau ». Son domaine, il est parfaitement clair là-dessus, c’est la machine, et c’est déjà énorme. Il souligne d’ailleurs que « l’avenir de la recherche en IA ne peut se résumer à copier la nature ». Bien entendu, jamais il ne dit que « l’inné est si peu ». L’inné, pour la machine, ce sont des composants électroniques toujours plus puissants ; sans eux, la notion même d’IA serait inconcevable. Et Charles Jaigu, qui n’est pas davantage généticien, s’est trop avancé en affirmant « qu’il n’y a pas de caractéristique génétique de l’intelligence ».
Le consensus scientifique dit le contraire : « Il est clair que des facteurs à la fois environnementaux et génétiques jouent un rôle dans la détermination de l’intelligence », écrit ainsi la U.S. National Library of Medicine. En jouant sur le mot « caractéristique » (l’intelligence ne dépend pas d’un seul gène mais de plusieurs), le journaliste a tenté de glisser clandestinement son postulat simpliste dans la besace du savant !
Yann Le Cun, Quand la machine apprend – La révolution des neurones artificiels et de l’apprentissage profond, Éditions Odile Jacob, 388 pages, 22,90 euros.
E.F.
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