SUD SDIS, syndicat de sapeurs-pompiers, vient de rédiger et de nous adresser une lettre ouverte adressée au président de la République, Emmanuel Macron, sur « les travailleurs “low cost” que sont les sapeurs pompiers volontaires qui sont très largement exploités par les SDIS (Service départemental d’Incendie et de Secours) pour des considérations purement économiques. »
En cause, le statut précaire du SPV (sapeur pompier volontaire) et la non-application de la directive européenne 2003/88 pour la santé et sécurité des travailleurs au travail.
Voici la lettre ouverte, ci-dessous :
Monsieur le Président de la République,
Depuis des années les sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas considérés comme des travailleurs1. Ils sont exclus par le législateur des protections conférées par les directives européennes, en matière de santé et de sécurité au travail2 mais également dans bien d’autres domaines tels que le travail à durée limitée3, le temps partiel4 ou encore la protection des jeunes au travail5. Pourtant, ils exercent les mêmes missions que les sapeurs-pompiers professionnels6.
Si le législateur a bien reconnu le caractère dangereux du métier et des missions exercées par les sapeurs-pompiers7, ils continuent hélas à se blesser ou mourir8 au cours d’interventions réalisées sur des temps qui auraient dû être consacrés à leurs repos de sécurité consécutifs de leurs activités professionnelles principales.
Alors que dans tous les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) les professionnels et les volontaires interviennent sur les mêmes interventions9, souvent ensemble dans un même véhicule, les professionnels sont reconnus comme des travailleurs et bénéficient des protections issues du droit communautaire, les volontaires en sont totalement exclus et perçoivent des indemnités, appelées vacations jusqu’en 2004, d’un montant considérablement inférieur au salaire du professionnel.
Les travailleurs low cost que sont les volontaires sont très largement exploités par les SDIS pour des considérations purement économiques10. De plus, si certains SDIS protègent les volontaires mineurs en leur interdisant de réaliser des départs en intervention avant leurs 18 ans, d’autres n’hésitent pas à les employer comme des professionnels majeurs en garde de jour11 comme de nuit12, cette situation nous replaçant ainsi dans des temps que nous pensions révolus.
C’est pourquoi, dans le cadre d’un recours au Tribunal administratif de Lyon, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) vient d’être déposée afin que le Conseil constitutionnel puisse enfin trancher cette question.
Monsieur le Président de la République, nous connaissons parfaitement votre volonté de défendre les droits de l’Union européenne. Elle vous a conduit notamment à déposer à Copenhague en avril 2018 l’instrument de ratification du Protocole n°16 à la Convention européenne des droits de l’homme13. Cette ratification a permis à 10 pays de l’Union européenne dont la France, de leur ouvrir la possibilité de demander des avis à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), à compter du 1eraoût 2018.
Il s’agit bien, à l’évidence, d’une pierre de plus à la construction de l’édifice juridique européen pour la protection des libertés et des droits fondamentaux.
Malheureusement, nous connaissons trop régulièrement des décisions « surprenantes » de la justice administrative lyonnaise14 en regard du droit français et du droit de l’Union. Le Conseil d’État n’étant lui-même pas exempt de se faire rappeler à l’ordre par la Cour de justice de l’Union européenne15.
Nous espérons que cette QPC parvienne bien devant le Conseil constitutionnel. Sa finalité est de sauver des vies de sapeur-pompier, de rétablir le principe d’égalité devant la loi pour tous les sapeurs-pompiers, mais également d’assurer aux volontaires un droit à la protection sociale découlant du préambule de la Constitution de 1946.
Votre gouvernement, depuis près de six mois, a déclaré vouloir transposer la directive 2003/88 pour les sapeurs-pompiers volontaires16. Mais plus de 25 ans après la première directive sur la santé et la sécurité au travail, les volontaires ne peuvent toujours pas bénéficier des protections pourtant rendues obligatoires par le droit communautaire.
Récemment, la Cour des comptes a même reconnu que le sapeur-pompier volontaire est indéniablement un « travailleur » à qui les protections minimales de la directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 doivent en principe s’appliquer17.
La France est ainsi exposée à une nouvelle mise en demeure de l’Europe pour non-respect d’une directive protégeant la santé et la sécurité des travailleurs au travail18.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre profond respect.
Le secrétaire national,
Rémy CHABBOUH
[1] Article L.723-5 du Code de la sécurité intérieure : « L’activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n’est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres »,
Article L.723-8 du Code de la sécurité intérieure : « L’engagement du sapeur-pompier-volontaire est régi par le présent livre ainsi que par la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers. Ni le Code du travail ni le statut de la fonction publique ne lui sont applicables, sauf dispositions législatives contraires, et notamment les articles 6-1 et 8 de la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers. Les sapeurs-pompiers volontaires sont soumis aux mêmes règles d’hygiène et de sécurité que les sapeurs-pompiers professionnels ».
[2] Directive 89/391 du 89/391 du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail,
Directive 93/104 du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail,
Directive 2003/88 du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
[3] Directive européenne 1999/70 CE du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée.
[4] Directive européenne 97/81 CE du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES.
[5] Directive européenne 94/33 CE du 22 juin 1994, relative à la protection des jeunes au travail.
[6] Arrêt N° 390665 du Conseil d’État du 12 mai 2017 : « 5. Il résulte des dispositions du code de la sécurité intérieure citées au point précédent que les sapeurs-pompiers volontaires exercent la même activité que les sapeurs-pompiers professionnels dans des conditions qui leur sont propres et qui excluent, en principe, l’application du Code du travail et du statut de la fonction publique».
[7] Article L 723-1 du Code de la sécurité intérieure : « Le caractère dangereux du métier et des missions exercés par les sapeurs-pompiers est reconnu ».
[8] À titre d’exemple, il y a quelques années, au lendemain de sa garde de 24 heures en tant que professionnel, un sapeur-pompier « double statut » (professionnel et volontaire) décédait quand son fourgon s’est retourné alors qu’il allait combattre un violent incendie, sous le statut de sapeur-pompier volontaire.
[9] Article L 1424-5 du Code des collectivités territoriales : « Le corps départemental de sapeurs-pompiers est composé :
1° Des sapeurs-pompiers professionnels ;
2° Des sapeurs-pompiers volontaires […] »
Article R 1424-1 du Code des collectivités territoriales : « Les services d’incendie et de secours comprennent des sapeurs-pompiers professionnels appartenant à des cadres d’emplois créés en application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et des sapeurs-pompiers volontaires qui, soumis à des règles spécifiques fixées en application de l’article 23 de la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers, ne peuvent exercer cette activité à temps complet ».
[10] Directive 89/391 du 12 juin 1989, 13ème considérant : « considérant que l’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique ». Ce considérant a été repris dans la directive 93/104 du 23 novembre 1993 (8ème considérant), et dans la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 (4ème considérant).
[11] Au SDIS du Rhône et de la Métropole de Lyon (SDMIS), un jeune sapeur-pompier volontaire né le 12 septembre 2000, entré dans la collectivité le 1er janvier 2018, a réalisé au cours de l’année 2018, et avant ses 18 ans, 10 gardes de 12 heures de jour au mois de juillet et 12 gardes durant le mois d’août. Pendant ces deux mois, il a effectué plus de 140 interventions. Ces temps de travail sont identiques à ceux d’un sapeur-pompier professionnel.
[12] Le 14 juillet 2019, au SDMIS, afin de compléter la garde de nuit en effectif insuffisant, un sapeur-pompier volontaire mineur a effectué une garde de nuit dans une caserne.
[13] Ratification par la France du protocole N° 16 CEDH.
[14] Arrêt 417168 du 11 juillet 2019 du Conseil d’État: À titre d’exemple, et il existe bien d’autres cas similaires, sept ans après une mutation abusive d’un agent du SDMIS par ailleurs représentant syndical très actif, le Conseil D’État vient de rappeler sèchement à la Cour d’appel administrative de Lyon qu’elle avait commis une erreur de droit en statuant sur la mutation de l’agent, sans prendre en compte la commune d’implantation de la caserne à laquelle l’agent était affecté.
[15] Affaire C-416/17 du 4 octobre 2018, le Conseil d’État aurait dû saisir la Cour d’une question préjudicielle en interprétation du droit de l’Union, afin de déterminer s’il y avait lieu de refuser de prendre en compte.
[16] Réponse du Ministère de l’Intérieur du 12 mars 2019 : D’autre part, afin de se prémunir de tout effet préjudiciable qu’entraînerait une application directe de l’arrêt « Matzak », le gouvernement entreprendra la transposition de la directive, afin d’en exploiter les larges facultés de dérogation.
[17] Rapport de mars 2019 de la Cour des comptes sur les SDIS, voir pages 117-118.
[18] La France s’est régulièrement fait rappeler à l’ordre, pour ne pas avoir transposé des directives dans les délais impartis, ou pour avoir oublié de transposer certaines dispositions de directives :
- Affaire C-45/99 du 18 mai 2000, au sujet du retard de transposition de la directive 94/33 du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail,
- Affaire C-46/99 du 8 mai 2002, au sujet du retard de transposition de la directive 93/104 du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail,
- Affaire C-226/06 du 5 juin 2008, au sujet de la transposition incomplète de la directive 89/391 du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail,
- Infraction 2006/4581 du 27 septembre 2012, mettant en demeure la France de transposer pour les sapeurs-pompiers professionnels, plusieurs points de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail,
- Infraction 2009/2044 du 26 juin 2013, mettant en demeure la France de transposer pour les médecins en formation, plusieurs points de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail,
- Infraction 2010/4037 du 26 septembre 2014, mettant en demeure la France de transposer pour les policiers, certains points de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V