C’est un livre qui va faire date. « Ces Saints qui forgèrent la Bretagne » de Thierry Jigourel, avec des illustrations de R. Micheau-Vernez à qui les éditions Yoran Embanner ont souhaité redonner vie.
Pour chacun des 22 saints présentés dans le livre, il y a sa vie résumée et un dessin pleine page du peintre Robert Micheau-Vernez. Celui-ci a illustré des ouvrages scolaires d’histoire de France et de géographie., Il est aussi connu pour ses œuvres multiples : dessins, illustrations, affiches, faïences, vitraux, icones… ayant trait à la Bretagne. un Préambule est signé Mikael Micheau-Vernez et la préface de Philippe Abjean, président-fondateur de la vallée des Saints.
Ces Saints qui forgèrent la Bretagne – Thierry Jigourel – Yoran Embanner – 18€ (à commander ici)
Pour évoquer cet ouvrage, essentiel dans le domaine, nous avons interrogé cet éveilleur de peuple qu’est Thierry Jigourel, qui oeuvre par ses nombreux ouvrages depuis des décennies à transmettre la mémoire bretonne et celtique à travers les générations.
Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Thierry Jigourel : Mes racines plongent très profondément en Bro Gwened , le pays Vannetais occidental . Du côté de ma mère, c’est Séné et le golfe, le Morbihan. Du côté de mon père , de mes ancêtres Jigourel, c’est le Bro Pourlet . Je suis fier de cette double ascendance et d’appartenir à un territoire où la résistance contre la tyrannie et la conquête étrangère sont vissées au corps et à l’âme . Du côté maternel, j’ai une pensée émue pour les Vénètes et leur résistance à l’agression césarienne . Du côté paternel, , j’ai une pensée tout aussi émue pour mon ancêtre Grégoire , chaumier et chouan de Gwern, pris et fusillé par les Français pour avoir défendu les droits , libertés et franchises de la Bretagne ainsi que la liberté de conscience . Je suis né à Lorient, ville jadis française , aujourd’hui civilisée et bretonnisée , et que je qualifie souvent de capitale d’un interceltisme pacifique et serein . Une belle reconquête ! J’ai , étant enfant et jeune ado , pris la vague des Stivell, Glenmor, Servat – et celle du FLB !- dans la figure , comme une bouffée de Gwalarn .
Ma conscience bretonne est née alors, à l’écoute du Kan bale an Arb, le chant de marche de l’Arb, de la Blanche hermine et d’An Alarc’h . Et plus tard , à la lecture de l’excellent Xavier Grall, en particulier de la Fête de Nuit , roman symbolique et emblématique dans lequel le héros Arzhel ( nom que j’ai donné à mon fils), va exécuter un préfet de cette fausse république, arrogante et prétentieuse, avant d’être abattu par la police française . Cette Bretagne-là ne m’a plus quitté. J’ai mis ma plume au service de mon pays asservi et colonisé par une puissance étrangère et totalitaire . J’espère qu’un jour ce pays, le mien et celui de mes ancêtres , retrouvera sa liberté et sa dignité parmi les nations . Aujourd’hui, j’ai fui la ville et me suis planté dans un petit village du Trégor intérieur , parmi des gens simples, aimables et vrais qui ont le mérite et l’extrême politesse de me parler au quotidien la langue de mes émotions et celle de mes ancêtres .
Breizh-info.com : Il y a eu beaucoup de livres écrits sur les Saints de Bretagne. Qu’est-ce que le vôtre entend apporter de plus ?
Thierry Jigourel : Je ne sais pas ce que ce livre peut apporter de plus que les autres . Ce serait prétentieux de ma part de l’affirmer. Je salue le talent de Robert Michaud Vernez , membre du grand mouvement artistique des Seiz Breur . J’ai été ravi de faire la connaissance de son fils Mikael, qui se bat pour perpétuer la mémoire de son père . Personnellement, ce qui m’intéresse dans le « christianisme » breton – je me sens très « corbiérien » , c’est à dire « catholique et breton » , c’est précisément tout l’héritage celtique . Un grand auteur mythologue a écrit , ce qui me paraît exact , que , contrairement à ce qui a longtemps été affirmé , les Bretons possèdent, comme les Gallois ou les Irlandais , un corpus ou au moins des fragments de mythologie celtique . Ces fragments sont compris dans les multiples Buhez ar Zent .
On peut citer l’exemple du prince Melar dont la Vie ressemble étrangement au récit mythologique sur Nuada , le dieu de seconde fonction du panthéon irlandais . On peut citer Gwen Teirbron et ses trois seins , une héritière en ligne directe de nos déesses celtiques , comme Anna ,qui est la sainte patronne des Bretons , après avoir été la mère des Dieux et des Celtes . Ou encore Ronan, qui, pour mes deux auteurs trégorrois préférés , Ernest Renan et Anatole le Braz , est bien plus un druide qu’un saint ! Etc etc . Ce sont , autant que possible , ces aspects-là , ces aspects liés au merveilleux celtique , que j’ai tenté de mettre en valeur . Ils le seront encore plus dans un prochain ouvrage à sortir chez Yoran Embaner et qui sera réservé aux adultes et aux adolescents cette fois . Par rapport à d’autres ouvrages , ce livre a aussi des textes sur le renouveau du Tro Breizh , la Vallée des saints et la signification symbolique des Sept Saints fondateur de la Bretagne .
Breizh-info.com : Pouvez vous nous parler de R. Micheau Vernez, illustrateur talentueux à qui se livre , en reprenant son travail; rend hommage finalement ?
Thierry Jigourel : Je connaissais déjà l’existence de Robert Michaud Vernez , membre des Seiz Breur, en particulier son travail d’affichiste pour le Festival de Cornouaille ou pour le FIL . J’ai découvert avec plaisir d’autres aspects d’une œuvre très riche , à qui l’excellent Musée des Beaux-Arts du Faouët a eu l’excellente idée de consacrer une grande exposition .
Breizh-info.com : Ses dessins rappellent parfois le magazine Olole. Y’a t’il eu un lien ?
Thierry Jigourel : C’est vrai que ces dessins de RMV rappellent en particulier ceux de Morris dans cette fameuse méthode de Breton intitulée Le Breton par l’image et publiée en 1944 à Landerneau . Parce qu’ils ont été réalisés sensiblement à la même époque et un peu à destination du même public , avec une inspiration proche .
Breizh-info.com : En quoi les Saints sont-ils importants dans toute la Bretagne ?
Thierry Jigourel : Ces saints sont importants pour les Bretons parce qu’ils font partie de leur univers proche et immédiat . Ce sont un peu des chefs de tribus , des thaumaturges, des guides , des protecteurs et des exemples . Chacun avait ses pouvoirs propres et ses particularités. Ils représentent à mes yeux , un héritage du polythéisme celtique , contre lequel la réforme protestante , la réforme catholique et l’Etat ont lutté , souvent main dans la main, longtemps de toutes leurs forces . Le peuple les aime, malgré les réticences de l’épiscopat et du haut clergé. Il sait qu’ils sont anciens , voire immémoriaux , qu’ils représentent diverses couches de spiritualité . Il sent bien qu’ils ne sont pas en odeur de sainteté dans les hautes sphères de l’Eglise , c’est pour ça qu’il s’y attache à ce point . A tous ceux qui ne les auraient pas lus je recommande chaleureusement la lecture des chapitres qui leur sont consacrés dans Souvenirs d’enfance et de jeunesse d’Ernest Renan , ainsi que celle du Pays des Pardons et la Légende des saints bretons d’Anatole le Braz .
Breizh-info.com : La préface du livre est signée Philippe Abjean. Cela vous semblait comme une évidence, eu égard de son statut de fondateur de la vallée qui fait revivre les Saints de toute la Bretagne ?
Thierry Jigourel : Oui, tout à fait , Philippe Abjean et son équipe , en particulier Sébastien Minguy , le jeune directeur de la Vallée des saints , ont effectué un travail colossal, salutaire et remarquable pour restaurer l’esprit et les formes d’une spiritualité bretonne enracinée et de grands vent . ça leur a valu des attaques en règle d’affidés de l’administration française , relayés par la presse parisienne à sensation. Je pense en particulier à un petit plumitif rennais à qui mon ami Frank Darcel, guitariste du groupe Marquis de Sade et excellent romancier a fait en son temps une réponse appropriée . Ces attaques, bêtes et méchantes d’un système d’autant plus totalitaire qu’il est aux abois nous prouvent que Philippe Abjean, Sébastien Minguy et leurs amis ont fait un travail signifiant, salvateur et de qualité , dans un extraordinaire esprit populaire , d’ouverture et de tolérance . Le peuple breton ne s’y est pas trompé ; il marche avec eux ! Je remercie Philippe Abjean pour son aimable préface.
Breizh-info.com : Comment expliquez vous le succès de la Vallée des Saints, un succès croissant d’ailleurs ?
Thierry Jigourel : Ce serait bien prétentieux de proposer une explication péremptoire. Je pense que le Tro Breizh comme la Vallée des saints correspondent à ce rapport des Bretons à leur identité . A la fois culturelle ET spirituelle. Mais ouverte, tolérante et tissée de plusieurs strates, comme me l’expliquait l’abbé Pierre Mahé , avec qui, il y a quelques années , je partageai le café noir et les crêpes de farine blanche après le pardon du beurre à Notre – Dame du Crann . A Pierre qui me disait gentiment et simplement : « Thierry, si tu aimes la spiritualité de grand vent et les traditions populaires , viens donc à la troménie de Landeleau , tu verras une authentique circumambulation immémoriale . Et des femmes en demande d’enfant, s’asseoir encore sur des pierres de fécondité ! » A ma réponse : « Oh, vous êtes un drôle de chrétien ! Qu’en dirait l’évêque de Kemper ! ? » , le curé de campagne, avec un large sourire illuminant son visage de vieux saint mâtiné de druide , avait eu cette réflexion subtile , puissante et incroyablement aimante : « Tu sais , je serais un bien mauvais curé de campagne et un mauvais Breton si je n’admettais pas toutes les strates de spiritualité ce mon peuple ! » Cette tolérance , cette sensibilité fine et subtile , cette intelligence du cœur et de l’âme , je la retrouve dans la Vallée des saints comme dans le Tro Breizh . C’est une spiritualité qui me convient et dans le parfum de laquelle je retrouve celle de ma Mamm-Gozh Jeanne-Louise Ruyet , que j’accompagnais , petit garçon, à pied , à tous les pardons autour d’Hennebont .
Breizh-info.com : Vous qui contribuez depuis des décennies à éveiller la Bretagne et son peuple par vos écrits et vos histoires, de quel saint vous sentez vous le plus proche ?
Difficile à dire … Je me sens forcément le plus proche de nos vieux saints celtiques , ceux qui sont les plus éloignés de Bethléem et de Nazareth … J’aime bien Ronan , qui avait un jour de colère , fait écrabouiller un homme qui s’en prenait à un chêne , l’arbre des druides . Enfin, j’aime bien le portrait qu’en font Le Braz et Renan. J’aime sa proximité avec la forêt de Nevet , nom moderne du vieux celtique Nemeton , le « sanctuaire », et avec nos frères animaux . J’aime aussi Melar, l’avatar du dieu Nuada , vénéré dans tout le Trégor . Mais , sans vouloir sacrifier à l’idéologie dominante ni faire de la «parité » à tout prix , j’aime bien aussi Santez Anna , la sainte patronne des Breton, qui est l’héritière de la Deva Anna , et aussi Brigite , sainte Brigite de Killdara , l’Eglise du chêne derrière la silhouette de laquelle se profile celle de la déesse Brigantia , la « très haute » . J’aime forcément Gwenn Teirbron, « Blanche à trois seins ». Les Bretons comme les Celtes en général n’ont pas eu besoin des pitoyables diktats de l’Etat français pour reconnaître une égalité de droits et de dignité entre les hommes et les femmes .
J’apprécie aussi Herbot , Edern, tous ces saints liés aux bêtes à cornes , qui portent aussi la mémoire du vieux Cernunnos !
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
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