Ancienne élève de la très grande France Clidat, la pianiste d’origine japonaise Kanae Endo livre un nouveau CD qui ravira les amateurs de musique bretonne. Il est composé de trois Suites, deux de Borodine et Grieg, et une troisième de Rhené-Baton (1879-1940) intitulée En Bretagne. Chef de l’Orchestre symphonique néerlandais puis de l’Orchestre Pasdeloup, Rhené-Baton est resté très lié à Jean Cras, à Paul Le Flem ou à Paul Ladmirault, tous compositeurs influencés au début du XXe siècle par l’imaginaire et le légendaire celtiques.
Rhené-Baton n’est plus guère joué aujourd’hui, pas plus que ces autres compositeurs qui donnèrent à la Bretagne un remarquable répertoire revivifiant des traditions mélodiques et rythmiques immémoriales, à l’instar de ce que firent Bartok et Kodaly en Hongrie à la même époque. Il ne reste guère que de vaillants interprètes comme le violoncelliste Aldo Ripoche pour en proposer les œuvres dans des concerts régionaux qui mériteraient de plus amples auditoires.
Des tours à la fois savoureux et sensibles, qui ne dépareillent pas dans le paysage sonore celtique
C’est pourquoi l’incursion dans ce répertoire de Kanae Endo, qui enseigne par ailleurs à la Schola Cantorum de Paris, mérite un détour attentif. Les six mouvements de la suite En Bretagne de Rhené-Baton ont des titres ‘localisés’ (‘Crépuscule d’été sur le grand bassin de Saint-Nazaire’, ‘Retour du Pardon de Landévennec’ ou ‘Vieille diligence sur la route de Muzillac’) qui n’éveillent plus rien dans l’imaginaire moderne. Mais la superposition d’harmonies debussystes avec des rythmes traditionnels ou des mélodies proches des complaintes du répertoire populaire donne à ces pages des tours à la fois savoureux et sensibles, qui ne dépareillent pas dans le paysage sonore celtique.
La partition du quatrième mouvement, ‘Sur la grève déserte de Trez-Rouz’, réserve une surprise, exigeant un tempo différent dans la première (♪ à 126) et la seconde (♪ à 104) parties de chacune des mesures à 6/8. L’interprète, fidèle à cette indication, parvient à donner une impression de longue mélopée respirée, dans deux pages d’accords qui, sans cela, resteraient ternes et sans vie.
Quant au cinquième mouvement, ‘Fileuses près de Carantec’, il ne dépareillerait pas en bis dans un concert consacré à Debussy. C’est dire la qualité des émotions qu’offre l’exhumation par Kanae Endo d’une partition de 1909, dont nul ne comprend pourquoi elle est restée si longtemps dans les placards. Elle trouve ici une première, très lyrique et très brillante mise à la disposition du public des mélomanes, au moins de ceux qui souhaitent sortir des sentiers trop rebattus par les ‘chaînes’ classiques.
Jean-François Gautier
Kanae Endo, « Escapades », CD Forlane (FOR 16889), 12,60 €
Crédit photo :DR
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