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De l’exploit de Philippe Gilbert au décor du Paris-Roubaix 2019. Enfer du Nord ou Paradis du cyclisme ? [Reportage]

Dimanche 14 avril 2019. Aux alentours de 17 h, dans un estaminet parfaitement bien nommé « Au pavé », dans le village de Bersée, à quelques encablures de Mons-en-Pévèle. Des dizaines d’amateurs de cyclisme, toutes générations confondues, le peuple du Nord dans toute sa diversité, Flamands et Wallons réunis pour l’occasion, hurlent et poussent le cycliste belge Philippe Gilbert, dont le sprint vient d’être lancé pour tenter de remporter l’édition 2019 de Paris-Roubaix.

Plus rapide que l’Allemand Nils Polit, Gilbert, le vétéran, le champion, le courageux, qui n’avait jamais encore remporté cette classique malgré un palmarès important, l’emporte, alors que très peu misaient sur lui.

Explosion de joie dans l’estaminet. Trois femmes veuves de plus de 75 ans, parfaites connaisseuses et amoureuses du cyclisme, verre de bière à la main (après avoir tourné à la bière et au digestif depuis 12 h, sans broncher, et sans faillir) applaudissent. Les Flamands aussi. L’estaminet est en feu, comme si le LOSC, le club aimé dans cette région, venait de remporter la Ligue des champions. Les deux Bretons que nous sommes, en reportage, sommes stupéfaits devant cette scène, mémorable. Pour du football, pour du rugby, c’est du déjà vu. Pour du cyclisme, jamais. Nous nous regardons : nous avons fait le bon choix ce week-end, en décidant de venir couvrir pour la première fois pour Breizh-info ce Paris-Roubaix.

Car cette explosion de joie, celle d’un peuple du Nord qui trime tant par ailleurs dans son quotidien et qui attend Paris-Roubaix chaque année pour tout oublier le temps d’une journée (et même de plusieurs), n’était que la conclusion d’une plongée dans l’Enfer du Nord. Un Enfer du Nord qui a revêtu, le temps d’un week-end, l’apparence du Paradis du cyclisme. Lisez plutôt !

« Nous ce n’est pas le Tour de France qu’on attend, mais le Paris-Roubaix »

Cette phrase, glissée par un des observateurs rencontrés sur la course, résume bien l’esprit des foules qui se massent à chaque secteur pavé pour suivre le Paris-Roubaix. Si la Grande Boucle a bien la côte, le Paris-Roubaix lui, est hors catégorie. C’est LA course de l’année, pour le public du Nord. Mais aussi pour beaucoup de Flamands, il faut voir le nombre de drapeaux des Flandres distribués à cette occasion en bord de route ! Les coureurs qui se lancent à l’assaut des pavés pour 250 bornes de souffrance suscitent bien plus d’admiration et de respect que ceux qui misent tout sur une course de trois semaines, une fois dans l’année.

« Ce n’est pas ici que vous verrez un Froome ou un Quintana », nous dit-on. C’est exact. Ils sont rares les grimpeurs ayant osé s’attaquer à ces classiques, Paris-Roubaix faisant suite au Tour des Flandres, à l’E3, à Gand-Wevelgem. Pourtant, à l’inverse, les coureurs de classiques disputent pour beaucoup, Sagan ou Gilbert en sont les exemples incarnés, les grands tours. Ce ne sont pas les mêmes champions, les mêmes tempéraments, assurément !

Comment expliquer cet engouement ? C’est très simple. Paris-Roubaix, c’est d’abord la course qui rend hommage à un peuple qui fût un des poumons économiques de la France avant que des politiciens, des gouvernants, des milliardaires étrangers ne décident de provoquer fermetures d’usine, licenciements, drames économiques et sociaux. Une course qui, malheureusement, n’est pas assez mise en valeur par les institutions régionales dans le Nord. Heureusement que le peuple, lui, respecte ses coureurs et ses champions. Quand on vient de Bretagne et que l’on connaît ce qui est fait, en matière de cyclisme, chez nous (sponsoring, publicité, livres dédiés avant chaque course, animations en tout genre dans les villes, pour un Tour de Bretagne, un GP de Plouay comme pour une étape du Tour), on ne peut que s’étonner du peu de cœur à l’ouvrage que mettent les collectivités pour faire de cette course un des évènements majeurs de l’année dans le Nord.

Paris-Roubaix, c’est aussi sportivement une course dure. Il faut pouvoir tenir 7 h sur un vélo, affronter les 29 secteurs pavés, parfois sous la pluie froide, battante, et « faire la guerre », durant toutes ces heures, avec d’autres champions qui tentent de vous faire crever, de vous distancer, de vous faire chuter ou céder, dans les règles de l’art, sur des pavés qui ne sont normalement pas faits pour accueillir une compétition cycliste.

Mais regardez-les ces pavés ! Ils sont là pour éclater des roues, pour faire tomber des coureurs, pas pour les accueillir ! C’est bien pour cela que les Duclos-Lassalle, les Guesdon, les De Vlaeminck, les Boonen, les Cancellara, les Sagan, les Museeuw, les Merckx, les Van Looy, les Moser, y sont devenus des légendes du sport.

pave_paris_roubaix

Troisvilles, Briastre, Trouée d’Arenberg, Mons-en-Pévèle, Carrefour de l’Arbre… le décor qui fait la magie du Paris-Roubaix 2019

Pour que cette course soit belle, il faut bien évidemment les champions. Mais elle ne serait rien sans son décor principal. Ce plat pays, qui est le sien, comme chantait Jacques Brel. Ces pavés, qui apparaissent effrayants quand vous marchez sur les traces des champions que vous adulez, lors d’une reconnaissance, avant la course. 29 secteurs. Des difficultés différentes, mais des kilomètres à pouvoir, potentiellement, se casser la figure, crever sa roue, exploser de fatigue... « La star de cette course, ce n’est pas le coureur, c’est le pavé » nous dit un Flamand fervent suiveur de cette course.

Troisvilles, Briastre, Trouée d’Arenberg, Mons-en-Pévèle, Haveluy, Carrefour de l’Arbre… ces noms sont parfaitement connus de ceux qui savent, qui connaissent, qui président où, chaque année, la décision se fera. Il faut prendre le temps, si vous allez sur le Paris-Roubaix, de ne pas vous concentrer que sur les coureurs et la course. Il faut venir plusieurs jours, et visiter, découvrir, à la fois les secteurs pavés, mais aussi ces innombrables villages, dans lesquels les habitants seront fiers de vous raconter, une anecdote, un souvenir, de vous donner un conseil, à propos de cette course dont ils rêvent pour certains depuis qu’ils sont gamins.

À Troisvilles, c’est le début d’une longue journée pour les coureurs. Enfin, pas vraiment le début, puisque ces derniers ont déjà effectué des dizaines de kilomètres. Mais là, c’est du sérieux, les pavés commencent, et nous rappellent à la mémoire du coureur Jean Stablinski, équipe de l’ombre de Jacques Anquetil, mais aussi et surtout découvreur de la trouée d’Arenberg, lui, l’ancien mineur de fond devenu cycliste.

stablinski

Quand vous arrivez à Briastre, sur le secteur qui va à Viesly, vous ne pouvez que vous incliner à quelques centaines de mètres du début de secteur, devant la stèle qui rend hommage au jeune Michael Goolaerts, tragiquement décédé à même pas 24 ans, en plein effort, sur les routes de cette course. Une stèle où chaque amateur de cyclisme ne peut que se recueillir, aux côtés des bidons laissés, pour l’hommage, par les différentes équipes cyclistes du peloton. Lors de notre visite du secteur, nous croisons un badaud, qui reconnaît lui aussi le parcours. Il nous explique le terrible drame de l’an passé, mais nous informe également que cette année, le secteur sera parcouru en sens inverse, la descente étant dangereuse.

GOolaerts

Prenez ensuite votre voiture, affrontez quelques secteurs à pied, en vélo, ou en voiture (mais 4X4 impératif sous peine de gros dégâts !). Rendez-vous dans la Trouée d’Arenberg, et parcourez-la, en long, en large, en travers. Vous comprendrez ainsi pourquoi tout le monde en a peur. Pourquoi tout le monde « en fait des tonnes » à propos de cette trouée. Impressionnante, elle a sans doute terrifié Joseph Areruya, premier coureur cycliste d’Afrique noire à prendre le départ de la course dimanche dernier (il a terminé 109e, mais hors délai), comme elle a terrifié avant lui tous ceux qui, pour la première fois, s’élancèrent sur le Paris-Roubaix. Non seulement cette trouée illustre parfaitement le qualificatif d’Enfer du Nord, mais elle ramène à l’histoire, et elle oblige à s’incliner, et les coureurs à faire l’effort, nécessairement, en repensant à ces mineurs qui étaient envoyés pour quelques bouchées de pain travailler dans les mines, et parfois, y crever, pour l’appétit sans vergogne des bourgeois.

arenberg

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Lorsque vous marchez sur la Trouée d’Arenberg, en plus de comprendre pourquoi la course cycliste peut se perdre ici, vous comprendrez encore plus pourquoi la lutte des classes avait un sens, il y a plus d’un siècle aujourd’hui. C’est une certitude. 

mines

Rendez-vous également à Pont-Gibus, le secteur qui suit, pittoresque, insolite.

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Terminus Roubaix ? Non, Mons-en-Pévèle et Bersée, « Au Pavé »

On ne va pas vous parler de l’arrivée sur le vélodrome de Roubaix. D’autres l’ont fait, et bien fait. On ne va pas vous parler du mythique Carrefour de l’Arbre. Simplement, regardez la vidéo que nous avons réalisée, vous comprendrez alors pourquoi la course s’y est souvent jouée ces dernières décennies.

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Non, on va vous parler d’un endroit où il faut être, si vous voulez à la fois suivre la course sportivement parlant, vivre une ambiance exceptionnelle, et en même temps, voir passer les coureurs. Cet endroit, cela nous ramène au début de l’article : c’est le village de Bersée, c’est le secteur de Mons-en-Pévèle (19secteur cette année, classé 5 étoiles).

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Bien entendu, il y a d’autres endroits. Mais trop tôt, la course n’est pas forcément lancée. Trop tard, vous n’aurez pas le temps ensuite de quitter votre secteur pavé pour retourner voir l’arrivée à la télévision. Et puis c’est là qu’il faut être, c’est tout ! Quelques jours avant la course déjà, des connaisseurs et des locaux se retrouve « Au pavé » dans le village, pour déguster une bière artisanale locale (ou deux, ou trois…), pour refaire le monde, pour préparer la course, pour parler cyclisme, anecdotes, histoire du pays également. Pour faire la fête, tout simplement. Comme seul le cyclisme sans doute parvient à produire autour de lui sportivement parlant, en suivant le Paris-Roubaix, vous ne verrez que des visages souriants autour de vous, et désireux d’échanger.

On a l’impression de ne plus être dans un bar, mais en famille. Tout le monde se parle, tout le monde rigole, gens de passage et habitués échangent comme s’ils se connaissaient depuis toujours. C’est aussi ça l’esprit Paris-Roubaix.

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Le jour de la course, il y a quelques heures d’attente avant le passage des coureurs : pas bien grave, vous aurez la possibilité de déguster un Welsh, spécialité locale s’il en est, une andouillette, une pièce de bœuf, avec des frites bien entendu.

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Simple, efficace. Contrairement au secteur du Carrefour de l’Arbre sur lequel se situe désormais un restaurant gastronomique dont on se demande bien quel est le côté « populaire » eu égard aux prix pratiqués, c’est bien dans un estaminet, 100 % terroir, qu’il faut patienter en attendant que les premiers coureurs de Paris-Roubaix passent sans le temps de s’arrêter boire un coup !

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Tant pis, vous boirez pour eux. Histoire de les applaudir et de les encourager, du premier peloton des Sagan, Gilbert, Van Aert et autres champions, aux derniers, qui passeront parfois plusieurs dizaines de minutes après, mais qui, tels des guerriers, ne lâcheront rien jusqu’au Vélodrome de Roubaix, le visage marqué par la douleur, la fatigue, l’effort intense. Eux aussi, il faut les pousser, les aduler, les respecter.

Car ces coureurs hors délais, comme ces champions du peloton, comme cet homme-frite rencontré sur le bord de la route, comme ces militants flamands, comme ce patron d’estaminet qui vous offre sa tournée après avoir passé des heures au fourneau à régaler sa clientèle, comme ces trois femmes « d’un certain âge » qui lèvent leurs énièmes verres à la gloire des coureurs, comme cette femme, amie d’enfance de Jean Stablinsky, qui nous raconte l’enterrement de son ami et les larmes de Bernard Thévenet, tout en nous offrant un Pin’s du maillot jaune, comme ces pavés qui se déchaussent, comme ce peuple du Nord qui crie, qui hurle au passage des coureurs et à la victoire de Philippe Gilbert, tout ça, c’est l’esprit du cyclisme, et du Paris-Roubaix. Un Enfer du Nord qui est un paradis du cyclisme, soyez-en certain !

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Yann Vallerie

Crédit photo : breizh-info.com
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