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Marie-Hélène Baylac raconte la vie d’Agatha Christie, mère d’Hercule Poirot [Interview]

L’historienne Marie-Hélène Baylac vient de publier une biographie de la célèbre romancière Agatha Christie, sans doute une des personnalités littéraires les plus célèbres dans notre monde occidental, mais également ailleurs.

Comme c’est le cas pour beaucoup d’écrivains, l’œuvre de la « reine du crime » a éclipsé sa vie (1890-1976). Or, celle-ci se révèle passionnante. La jeune Agatha écrit son premier roman policier à la suite d’un pari avec sa sœur et conquiert vite le succès et la notoriété. La romantique miss Miller n’aspirait qu’à rencontrer le prince charmant. L’échec de son mariage avec un séduisant aviateur l’affecte au point qu’en 1926, elle se cache pendant dix jours sous une fausse identité, mettant toute l’Angleterre en alerte. Elle en gardera une blessure jamais refermée mais surtout une volonté sans faille d’aller de l’avant. Son remariage avec un archéologue de quatorze ans son cadet décide de sa nouvelle existence, entre les champs de fouilles d’Irak et de Syrie, ses maisons de Londres et son Devon natal, sans oublier l’écriture de nombreux best-sellers comme Dix petits nègres. Devenue une véritable institution, à la tête du premier empire multimédia mondial, elle génère une fabuleuse fortune dont la plus grande partie lui échappe, happée par le fisc ou par des montages financiers qui profitent davantage aux siens qu’à elle-même. Éternelle optimiste, consacrant de plus en plus de temps au théâtre – sa véritable passion –, elle demeure « la patronne » en toutes circonstances. 
Captivée depuis longtemps par l’univers d’Hercule Poirot et de Miss Marple, Marie-Hélène Baylac raconte le roman d’une vie riche en mystères et décrypte les secrets de fabrication d’une œuvre exceptionnelle, matrice de toute la littérature policière contemporaine. 

Agatha Christie – Marie-Hélène Baylac – Perrin – 23 €

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Marie-Hélène Baylac est agrégée d’histoire et a enseigné pendant 40 ans. Tout en consacrant à chaque fois une partie de son temps à l’écriture. « J’ai produit plusieurs ouvrages sur les périodes de la Révolution et de l’Empire mais ma curiosité m’a aussi entraîné sur d’autres chemins comme l’histoire des objets, celle des animaux, la gastronomie et … la vie de “la reine du crime” » nous dit-elle, à l’occasion d’une interview qu’elle nous a accordée, ci-dessous, sur son livre au sujet d’Agatha Christie.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir écrire cette biographie ?

Marie-Hélène Baylac : Comme nombre d’entre nous, j’ai lu très jeune Dix petits nègres, Mort sur le Nil, Trois souris… puis des énigmes plus longues, des nouvelles aussi… jusqu’au jour où je suis tombée sur l’Autobiographie qu’Agatha a voulu livrer à la postérité pour, écrivait-elle, « couper l’herbe sous les pieds de tous les autres biographes en puissance » : de quoi donner envie d’aller voir ce qui se cachait derrière cette volonté !

Breizh-info.com : Comment peut-on expliquer le succès littéraire, aujourd’hui encore, des romans d’Agatha Christie. Que possèdent-ils de plus que d’autres romans policiers selon vous ?

Marie-Hélène Baylac : Je vois de multiples raisons à ce succès :

– Bien qu’ils soient très « victoriens » et peut-être paradoxalement à cause de cela, les romans d’Agatha n’ont pas vieilli. Ils se placent dans un monde suranné mais devenu presque intemporel, loin de la violence à laquelle notre époque s’est habituée. Chez Agatha, le crime est propre et moral, le sang quasiment absent. « La violence pour la violence ? Depuis quand cela présente-t-il de l’intérêt ? […] Pouah ! Autant lire un manuel de médecine légale » s’emporte Poirot dans Les Pendules. Du coup, on peut lire les enquêtes d’Hercule Poirot ou de Miss Marple comme Tintin ou presque, de 7 à 77 ans !

– Une autre raison du succès d’Agatha, c’est sans doute son positionnement dans le foisonnement des genres que cache l’expression « roman policier ». Elle a mis au point le récit d’énigme. Dans une interview aux lecteurs du Club des Masques, elle expliquait : « C’est très captivant d’écrire un roman policier. C’est aussi ingénieux et compliqué que de construire un puzzle. ». De fait, elle livre à ses lecteurs les pièces du puzzle et les invite à chercher la solution. C’est pour cela qu’on relit souvent plusieurs fois un roman d’Agatha : la première fois on se laisse emporter par le récit, la (ou les) suivante(s), on cherche à démonter la mécanique. Au fond, le meurtre est secondaire.

– Enfin, l’univers d’Agatha ne nous a vraiment jamais quitté depuis trois quarts de siècle, au travers de ses livres (traduits dans plus de cent langues), mais aussi de multiples adaptations à la radio, au cinéma et à la télévision. Déjà de son vivant, bien qu’elle ait voulu les limiter car elle s’y reconnaissait rarement, ces adaptations ont contribué à propulser les ventes de ses romans et participé à sa fortune. Aujourd’hui, la romancière se retournerait probablement dans sa tombe en regardant certaines séries qui prennent beaucoup de liberté avec son œuvre ; il n’empêche qu’elles assurent sa popularité. Aucun autre auteur de roman policier n’a généré des retombées d’une telle ampleur.

Breizh-info.com : En quoi la vie d’Agatha Christie a-t-elle influencé son œuvre ? Y a-t-il un lien entre Dix petits nègres et une période de sa vie ?

Marie-Hélène Baylac : Bien que très soucieuse de cacher sa vie privée, Agatha laisse à voir beaucoup de son existence et de ses sentiments dans son œuvre. Elle a écrit une série de romans sous le pseudonyme de Mary Westmacott qui, à bien des égards, sont encore plus autobiographiques que son Autobiographie ; c’est le cas notamment, mais pas seulement, de Portrait inachevé. Ses romans policiers et ses nouvelles aussi sont riches de références à sa vie : L’homme au complet marron au voyage en Afrique du Sud qu’elle accomplit en 1922, Philomel Cottage, Le point de non-retour, Le Vallon… à son amour malheureux avec son premier époux ; Le crime de l’Orient-Express, Meurtre en Mésopotamie, Mort sur le Nil, Rendez-vous avec la mort… à sa vie en Orient. On peut multiplier les exemples.

Dix petits nègres, paru en 1939, appartient à la série des énigmes qu’ont inspiré à Agatha les comptines de son enfance. Elle a organisé ce huis clos dans Burgh Island, une île proche de le côte du Devon, une région chère à son cœur puisqu’elle y est née et y a possédé deux maisons : Ashfield puis Greenway.

Breizh-info.com : Quid des traits de caractère d’Hercule Poirot ?

Marie-Hélène Baylac : Le personnage d’Hercule Poirot est emblématique de la façon de procéder d’Agatha. Grande observatrice du monde qui l’entoure, elle capte des figures, des situations, des conversations et, à partir de là, elle invente. Elle ne se laisse pas enfermer par le réel. Ainsi, il est très probable, comme elle le raconte, que Poirot lui a été inspiré par la colonie de réfugiés belges accueillis dans une paroisse proche de chez elle pendant la Première Guerre mondiale. Mais elle a puisé ses traits de caractère (et son physique) dans son imagination et… ses préjugés. Une fois décidé que ce serait un petit homme avec un nom grandiloquent, elle a voulu qu’il soit très soigné, méticuleux même (« peut-être parce que je suis moi-même quelqu’un d’horriblement désordonné ») puis que « comme beaucoup de petits hommes aux allures de dandy, il serait un peu prétentieux » et, bien, sûr très intelligent, à la hauteur des crimes qu’elle lui donne à résoudre !

Breizh-info.com : Ce qui est frappant chez Agatha Christie, c’est sa faculté à redresser la tête tout au long des épreuves qu’elle aura à subir durant sa vie, et son indépendance, rare chez une femme de son temps, non ?

Marie-Hélène Baylac : Agatha Christie est une femme à la sensibilité à fleur de peau mais qui prend « le métier de vivre » à bras le corps, y faisant preuve d’une grand indépendance, renforcée par la fortune que son œuvre génère : son entourage la surnomme « la patronne ».

Son ouverture d’esprit et son éternel optimisme lui permettent de surmonter les épreuves de l’existence et elle n’en a pas manqué : la trahison de son premier époux qu’elle tente en vain de conjurer en disparaissant pendant dix jours – une affaire qui prend une dimension nationale -, le harcèlement fiscal, des relations conflictuelles avec sa fille, un second mari – un archéologue de quatorze ans son cadet – avec lequel elle bâtit une relation solide, fondée sur des goûts communs et… sur sa fortune, mais qui la trompe.

On ne sait pas toujours qu’elle a écrit une grande partie de ses livres sur les champs de fouilles de Syrie et d’Irak, où elle passait une partie de l’année dans des conditions spartiates et où elle se révéla une excellente restauratrice d’objets d’art. On sous-estime sa production théâtrale, à laquelle elle consacra de plus en plus de temps, expliquant que l’écriture des romans policiers n’était qu’un gagne-pain et « une corvée »…

Breizh-info.com : Quelles sont les œuvres d’Agatha Christie qui vous ont le plus marqué ?

Marie-Hélène Baylac : Voici une question difficile ! J’en distinguerai deux :

Le Vallon, paru en 1946, parce qu’il aborde un thème qui n’a cessé de hanter Agatha, la trahison dans le couple. Elle y démonte les ressorts de l’amour et de la jalousie, ceux qui animent Gerda, l’épouse bafouée de la victime, Henrietta, sa maîtresse en titre, Veronica Gray, l’ancienne amante … je ne dévoile bien sûr pas la fin.

Hercule Poirot quitte la scène qu’Agatha a écrit pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle l’a mis dans le coffre d’une banque à l’attention de sa fille, afin de lui assurer des revenus au cas où elle viendrait à disparaître subitement. Elle voulait aussi « tuer » son détective fétiche pour que personne après elle ne le mette en scène. Ce roman a finalement été publié en 1975 (peu de temps avant sa mort) à la demande de son éditeur car elle n’était plus capable de produire.

On y trouve toutes les théories de la romancière en matière de meurtre : « le meurtre n’est jamais que la fin. L’histoire débute bien avant » ; « chacun de nous est un meurtrier en puissance », il suffit de l’inciter à passer à l’acte ; et bien sûr son attachement indéfectible à la morale même ici au prix d’une entorse à ce principe que je laisse ses lecteurs découvrir.

Breizh-info.com : Le mot de la fin pour nos lecteurs…

Marie-Hélène Baylac : L’œuvre d’Agatha a éclipsé sa vie et pourtant quel roman que cette longue existence avec ses rebondissements et ses mystères ! La petite fille qui voulait être une fée a compris que « nous vivons grâce à un soleil invisible qui est en nous » et n’a cessé d’en activer le rayonnement.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

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