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Monseigneur Pierre d’Ornellas : « L’Église alertera toujours sur l’eugénisme qui risque d’imprégner nos mentalités » [Interview]

Monseigneur Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, responsable du groupe de travail sur la bioéthique de la Conférence des évêques de France, a écrit l’ouvrage Bioéthique : Quelle société voulons-nous pour aujourd’hui et demain ?, livre paru aux éditions Balland. Il y propose des repères face aux enjeux de bioéthique.

Au sommaire du livre, la description d’un monde nouveau, les questions de bioéthique à aborder. Un regard bienveillant sur la vie humaine en état de précarité. Un être humain essentiellement fragile. Une technique humanisée par l’éthique. Le désir, expression de la transcendance. La gnose de l’algorithme. Un sursaut éthique. Une fécondité à manifester pour toute vie. Audition devant la mission d’information parlementaire sur la bioéthique, 30 octobre 2018.

Juste avant les débats parlementaires, Mgr Pierre d’Ornellas synthétise le fruit des débats dans les diocèses dans le cadre des États généraux de la bioéthique, il écrit ainsi :

« Ils sont une armée humble et silencieuse, qui prennent soin de nos frères et sœurs fragilisés. Ils sont professionnels de santé, acteurs du service à la personne, bénévoles dans des associations ou des aumôneries, anonymes dans leur famille ou leur voisinage. Ces contemplatifs de la vie humaine entendent parfois des slogans apparemment assurés et savamment médiatisés. J’avoue que je comprends leur tristesse, voire leur colère, face à ces soi-disant certitudes selon lesquelles il serait évident que telle vie humaine ne vaudrait plus la peine d’être vécue ou qu’il est possible de la produire selon nos simples désirs d’adulte. Ils ont d’ailleurs entendu les terribles désespoirs que ces paroles engendrent quand, sûres d’elles, elles disqualifient des vies de personnes très fragilisées qui ont le courage d’aimer la vie et de vivre.

Ils se demandent alors si notre société n’aurait pas une conscience quelque peu endormie en raison des canons de la performance et de la rentabilité qui modèlent nos désirs. Ils s’interrogent sur nos techniques de plus en plus sophistiquées qui semblent agir comme des étalons de mesure pour évaluer une vie humaine sans défaut. Et même, ils s’inquiètent devant les marchands de rêves d’épanouissement idéal et sans limite, qui risquent de nous aveugler sur les capacités de vraies joies chez ces personnes vivant de grandes vulnérabilités.

En se mettant à l’école de nos frères et sœurs en situation de vulnérabilité, on apprend que chaque vie humaine est belle et vaut la peine d’être vécue. On s’engage alors avec sollicitude auprès de celles et ceux qui souffrent devant les vulnérabilités dans leurs familles. On se fait proches pour les écouter respectueusement, les aider, les accompagner afin qu’eux aussi finissent peu à peu par découvrir la même chose. Aimer la vie, c’est ne juger personne, mais c’est apporter sa pierre pour que grandisse en notre société une culture de vie, de soin, de relation et d’accompagnement. »

Pour parler de son livre, nous nous sommes entretenus avec Monseigneur d’Ornellas :

Breizh-info.com : Monseigneur, qu’est-ce qui vous fait peur avec ces lois de bioéthique à venir ? 

Mgr D’Ornellas : La fuite en avant ! Le progrès n’est vrai que si l’éthique demeure la boussole et non pas seulement les possibilités techniques. Étant donné les enjeux que soulève l’usage de certaines techniques, en particulier en génétique, nous avons besoin de temps pour réfléchir à ce que nous faisons et à ce que nous voulons en recherchant le vrai bien de tous. Souvent des options sont très tranchées en étant opposées et parfois militantes. Pourquoi ? Sans doute parce qu’on ne recherche pas ensemble le bien de tous et non pas les intérêts de quelques-uns. Est-il possible de dialoguer avec sérénité en s’écoutant les uns les autres et en allant sur des questions qui visent une conception de l’être humain ? Je crois au dialogue qui ouvre des voies raisonnables pours tous et pas seulement pour quelques-uns. Sinon on risque la domination de certains sur d’autres.

Breizh-info.com : Vous vous inquiétez notamment des possibles conséquences d’une autorisation de la PMA. Mais n’existe-t-elle pas déjà, dans d’autres pays ?

Mgr D’Ornellas : Pourquoi la France n’aurait-elle pas une voie originale, fondée sur le respect « primordial » de l’enfant et de sa dignité, comme le demande l’ONU ? Dans le fond, une question capitale est la suivante : quelles relations voulons-nous instituer ? Selon quels critères ? Relations inter-générationnelles, relations avec le corps médical, relations à l’argent, relations à la planète. Protéger celle-ci et protéger le plus faible sont liés. La bioéthique consiste à protéger ce que nous avons reçu. Dans cet esprit, la filiation est la relation fondamentale ! Chacun de nous est fils de ou fille de. La filiation est sûrement un beau sujet de réflexion, sans oublier de considérer que le corps est indissociable de l’esprit chez la personne, comme le souligne d’ailleurs l’étude du Conseil d’État sur la bioéthique.

Breizh-info.com : Il fût un temps où l’Église en France avait de l’influence, notamment pour faire fléchir les autorités politiques sur certaines lois. Force est de constater qu’aujourd’hui, le mariage pour tous en est un exemple, ce n’est plus le cas. Le regrettez-vous ? Comment l’expliquez-vous ?

Mgr D’Ornellas :  Je n’ai pas l’habitude de regretter le passé. C’est aujourd’hui et demain qui sont passionnants ! L’Église continuera toujours à écouter les plus fragiles, ce qu’a constaté le président Macron au Collège des Bernardins. L’Église se fait leur porte-parole. Une société où les plus fragiles ne sont pas écoutés ni considérés est en danger. Si on prend soin d’eux de façon résolue, alors on engendre une vraie fraternité. C’est cela dont l’Église veut être porteuse. Qui serait contre les plus fragiles ? Être à leur côté, les intégrer dans notre société, voilà un programme politique ambitieux qui garantirait une justice empreinte de solidarité et d’hospitalité. C’est à un tel projet de société que nous invite la réflexion en bioéthique et non à un simple ajustement des usages technologiques. Au cœur de cette fraternité, il y a la solidarité en vue du soin de tous. Les progrès scientifiques considérables qui permettent des soins nouveaux ont vocation à nourrir la fraternité. Car la fraternité nous oblige à considérer l’égale dignité de tous, y compris chez le plus petit. C’est beaucoup plus que la non-discrimination qui ne suffit pas à l’éthique, loin de là ! La non-discrimination conduit à la fuite en avant car il y aura toujours des discriminations dans l’usage de techniques. La fraternité, elle, appelle à des renoncements par respect de la dignité de tous.

Breizh-info.com : À quel titre avez-vous été auditionné par la mission d’information parlementaire sur la bioéthique ? Quel message avez-vous souhaité faire passer ? Avez-vous eu l’impression d’être entendu ?

Mgr D’Ornellas : Au titre des religions. Un représentant des musulmans, un rabbin pour les juifs, le président des protestants et moi-même étions auditionnés ensemble. Je ne sais pas si j’ai été entendu, mais j’ai insisté sur l’être humain qui est une personne unique à recevoir telle qu’elle est, gratuitement. Il y a quelque chose de gratuit dans notre existence sur terre. Gratuité et filiation sont intrinsèques l’une à l’autre. Or, j’ai été frappé que le rapporteur de la mission parlementaire nie qu’il y ait de l’eugénisme, c’est-à-dire la sélection entre les êtres humains sur laquelle j’attirais l’attention, alors qu’à peu près tous les rapports relatifs à la bioéthique notent cet eugénisme dit « libéral » en étant le fruit de décisions individuelles rendues possibles grâce aux techniques. Celles-ci ont tendance à fabriquer un être humain et elles ont un coût, parfois exorbitant. L’Église alertera toujours sur l’eugénisme qui risque d’imprégner nos mentalités. Voilà un enjeu décisif : donner une vision éthique qui permettra aux techniques d’une part, de servir l’homme, lui dont le visage est absolument unique et qui est toujours un don à recevoir gratuitement, et, d’autre part, d’apporter sans cesse de meilleurs soins dans une relation patient-soignant qui demeure un pacte de confiance, comme le dit Paul Ricœur. Sans une éthique globale, la bioéthique risque de succomber à la fascination des techniques qui, pourtant, peuvent nous rendre de si beaux services.

Breizh-info.com : Vous semblez regretter, ou tout du moins alerter sur des évolutions sociétales pouvant changer profondément la nature de l’homme, de l’être humain. Mais finalement, ces évolutions ne concernent-elles pas que la petite minorité occidentale que nous sommes ? L’Église moderne, les prêtres dits « progressistes » n’ont-ils pas eux aussi joué un rôle dans une forme de désacralisation, y compris de la vie ?

Mgr D’Ornellas : Je ne comprends pas bien votre question. Je suis témoin du travail admirable qu’accomplissent tant de prêtres avec un respect infini pour chaque vie humaine, aussi fragile ou blessée soit-elle. Par contre, vous avez raison de souligner l’aspect occidental de la bioéthique. Étant allé souvent en Afrique, je pense parfois à notre égoïsme. Quand je vois que des médicaments n’arrivent pas en certains villages de brousse, j’ai du mal à entendre certains débats en Occident sans penser à une jeune fille malade en brousse qui allait vers sa mort faute de soin.

Breizh-info.com : Quel est le message principal du livre que vous publiez aujourd’hui ?

Mgr D’Ornellas : Comment entrer dans un regard juste, admiratif et respectueux sur l’être humain ? Il me semble que ce beau et large regard – un regard d’amour, un regard contemplatif – nous empêchera de céder à la fascination pour la technique pour elle-même. Avec un tel regard qui induit une vision de l’être humain, il est possible de donner un sens aux techniques de telle sorte que celles-ci ne soient pas des reines nous gouvernant mais des servantes nous aidant, pour leur part, à vivre heureux ensemble.

Propos recueillis par YV

Crédit photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

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