Interview réalisé et publié par le blog Les crises, « Espace d’autodéfense intellectuelle ».
Les crises : Vous qui êtes, comme Peter Dittus qui a écrit ce livre avec vous, un spécialiste des questions économiques et monétaires, comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser au problème de l’OTAN ?
Hervé Hannoun : La raison principale qui m’a animé est la suivante : j’ai pris une part active dans ma vie professionnelle aux processus qui ont amené à l’Union monétaire et à l’introduction de l’euro. Mais, au moment du référendum de 1992 sur le Traité de Maastricht, je n’imaginais pas que ce projet de Mitterrand et Kohl pour la Paix allait être dévoyé, à partir de 1998, par le projet géopolitique américain de prendre le contrôle de fait de la politique de sécurité commune européenne grâce à l’élargissement simultané de l’Union européenne et de l’OTAN aux pays de l’Est de l’Europe, et grâce aussi à la décision du président Sarkozy en 2008 d’abandonner la posture stratégique gaulliste de refus de participation au commandement militaire intégré de l’OTAN. À partir du moment où 22 pays de l’UE, dont la France, sur 29, devenaient membres à part entière de l’OTAN, l’esprit initial de Maastricht était trahi car « l’Europe pour la Paix » allait inévitablement être contrariée par l’ingérence des États-Unis, avec leurs objectifs géopolitiques propres, dans la politique européenne de défense et de sécurité commune. J’ai donc voulu analyser et mettre à nu cette « trahison » du projet initial, pour essayer aujourd’hui de militer pour le retour à l’esprit de la France non alignée et de l’Europe indépendante des États-Unis voulues par De Gaulle et Mitterrand. Le sursaut est encore possible.
Les crises : Quel a été votre plus gros sujet d’étonnement quand vous avez travaillé avec Peter Dittus sur ce sujet ?
Hervé Hannoun : Ce qui est frappant, c’est la montée depuis 2014 de la rhétorique agressive des communiqués unanimes publiés à l’issue des réunions des ministres des Affaires étrangères (puis de chefs d’État ou de gouvernements) du G7 et de l’OTAN. Le rouleau compresseur américain a la maîtrise effective de ces communiqués poussant à la confrontation avec la Russie. La dynamique de groupe agressive de ces réunions du G7 Affaires étrangères et de l’OTAN est très inquiétante. Le peuple français n’a aucune prise sur cette marche des somnambules de l’OTAN vers un conflit armé à l’Est de l’Europe, et il ne sait rien des engagements pris en son nom dans ces réunions.
Les crises : Est-il excessif de dire que l’OTAN est en train de transformer « l’Europe de la Paix » pour laquelle les Français ont voté en 1992 en une « Europe de la guerre » ?
Hervé Hannoun : Le risque est réel. L’OTAN est un mécanisme d’alignement, en matière de sécurité et de défense, de l’Union européenne sur les États-Unis. Or ces derniers ont une posture de plus en plus belliqueuse. On peut donc craindre le pire si on ne met pas fin à l’imbrication actuelle entre l’OTAN et l’Union européenne, ce qui suppose la sortie de l’OTAN des 22 pays de l’Union européenne qui en sont membres. Cette sortie est d’ailleurs aussi à notre avis le préalable logique à toute idée d’une « véritable armée européenne » telle qu’avancée par le président Macron pour le futur. On ne pourra stopper la dérive vers « l’Europe de la guerre » qu’en coupant le lien de subordination établi par les États-Unis entre l’OTAN, qu’ils contrôlent, et l’Union européenne en matière de politique de sécurité et de défense.
Les crises : Que faites-vous du contre argument de « la menace russe » qui légitimerait la mission de l’OTAN en Europe ?
Hervé Hannoun : Une stratégie gaulliste pour la France doit être tous azimuts, c’est-à-dire se prémunir contre toutes les menaces extérieures potentielles (y compris la Russie), et non pas en privilégier une seule.
Comme l’avait montré Helmut Schmidt, l’OTAN (et le complexe militaro-industriel qui la soutient) ont besoin de s’inventer un ennemi pour justifier les énormes budgets militaires des pays de l’OTAN qui représentent une dépense annuelle de l’ordre de 1 000 milliards de dollars. Il est contre-intuitif de penser qu’un pays de 146 millions d’habitants, qui n’est pas une grande puissance économique et qui peine pour cette raison à allouer chaque année une cinquantaine de milliards de dollars pour sa défense, puisse menacer militairement l’Union européenne, dont le budget militaire consolidé est beaucoup plus important. La fonction principale de la « menace russe » est, du point de vue du complexe militaro-industriel, de préserver l’allocation de ressources publiques actuelle en Occident donnant la priorité à la dépense militaire par rapport aux priorités humanitaires globales que sont la transition écologique, la lutte contre les épidémies, la pénurie d’eau, la pauvreté ou la malnutrition. C’est une question à mille milliards de dollars que nous posons dans ce livre. Celle de la réallocation d’une partie de ces 1 000 milliards vers des actions pour le bien commun.
Les crises : Pourquoi selon vous ce sujet – l’OTAN – est-il si peu débattu ?
Hervé Hannoun : Le silence est en effet assourdissant sur cette question en France. On comprend pourquoi : la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN a été faite de façon furtive, sans recours à un référendum. On veut donc en dire le moins possible aux Français pour ne pas risquer un débat difficile. Les médias officiels ne montrent pas une curiosité excessive sur l’OTAN et sur son caractère obsolète depuis la dissolution de l’Union soviétique. Seules quelques voix fortes, notamment dans la société civile, celle de « Initiatives pour le désarmement nucléaire », animées par Paul Quilès, tentent de provoquer un débat national citoyen en France sur ces questions. Il y a urgence à ouvrir ce débat interdit à l’occasion des élections européennes du 26 mai prochain.
Source : Les crises
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