Le 17 mars, comme chaque année, le monde se parera des couleurs de l’Irlande à l’occasion de la Saint-Patrick. Aux États-Unis, la fête revêt une importance majeure du fait de la très importante diaspora irlandaise. Quand et comment ces hommes et ces femmes sont-ils arrivés là-bas ? Comment se déroule la Saint-Patrick en Amérique ? Petit tour d’horizon…
Les causes de l’émigration
Pas de Saint-Patrick sans Irlandais et donc sans émigration, du moins autrefois ! Si la France et de nombreux pays fêtent désormais l’événement sans raison profonde, les États-Unis ont un lien étroit avec l’île d’Émeraude, un lien né surtout dans la douleur, lors de la grande famine du XIXe siècle.
En 1845, le mildiou, une maladie touchant les plantes, contamine les cultures de pommes de terre d’Irlande. C’est une catastrophe, car si la pomme de terre n’est arrivée qu’à la fin du XVIe siècle, elle est devenue l’aliment principal de la population, étant à la fois très nutritive et peu coûteuse. Elle est par ailleurs particulièrement bien adaptée au climat humide et à la nature des sols, contrairement au blé. On estime que 3 à 5 millions de personnes sur les 8,5 millions d’habitants ne consommaient que cela au quotidien. C’est aussi en en produisant que le pays est parvenu à se développer et à connaître un accroissement démographique important.
Les mesures prises par le gouvernement britannique pour enrayer la famine sont trop peu sérieuses et inefficaces. Certains crient encore de nos jours au complot, jugeant le manque de moyens déployés comme une tentative de génocide envers les Irlandais, ce qui semble exagéré aux yeux des historiens qui ne renient toutefois pas les responsabilités anglaises. L’historien irlandais Peter Gray parle ainsi de « négligence coupable ».
Ajoutons que le modèle libéral utilisé par les britanniques prend à l’époque davantage en compte le profit que le bien commun. La plupart des terres appartenant à des Anglais, l’exportation du blé produit en Irlande continue, même si, comme dit précédemment, il ne s’agit pas de la spécialité du pays. Réorienter les productions pour les Irlandais aurait pu épargner des vies mais n’aurait pas enrayé les maladies et les épidémies, celles-ci étant plus meurtrières pendant une famine que la faim elle-même.
En trois ans, la grande famine fait près d’un million de victimes, « un châtiment de Dieu » envers un peuple « arriéré et alcoolique » aux yeux des Anglais.
Des milliers de familles sont expulsées de leur terre, et, pendant la famine, 1,5 million d’Irlandais choisissent l’exil. 500 000 suivront lors des années suivantes.
Les plus pauvres se rendent tout simplement en Angleterre ou en Écosse, d’autres préfèrent le Canada, mais les États-Unis font alors office de terre d’accueil privilégiée, bien que l’accueil soit loin d’être toujours des plus chaleureux.
Notons quand même qu’environ 1 million d’Irlandais avaient commencé à rejoindre les États-Unis entre 1820 et 1845, soit avant le début de la famine. Sur leur terre annexée par la Grande-Bretagne depuis 1801, ils étaient déjà victimes de sérieuses persécutions, que ce soit à cause de leur foi catholique ou de l’usage du gaélique qui avait été interdit. La pauvreté était bien sûr très répandue.
De nombreux Anglais considéraient tout simplement leurs voisins comme inférieurs voire « plus proches du singe que de l’être humain », un discours que relayait même les plus grands journaux.
Dans ce contexte, l’exil fut la meilleure solution pour nombre d’Irlandais et l’émigration massive se poursuivra jusqu’à la fin du siècle.
Durant la traversée outre-Atlantique, dans des conditions épouvantables et ce qu’on surnomme des « bateaux cercueils », 50 000 Irlandais perdent la vie, surtout à cause d’épidémies. L’année 1847 est la plus sanglante.
New York, Boston et Chicago, de 1845 à nos jours
Durant la famine, les Irlandais les plus pauvres fréquentaient des « workhouses », sortes d’asiles, même si le terme le plus adéquat aurait été celui de camp de travail. 280 000 d’entre eux y trouvèrent la mort.
À leur arrivée à New York, les espoirs de mener une vie meilleure tournèrent court lorsqu’ils découvrirent « Five Points », l’un des quartiers, pour ne pas dire bidonville, où les démunis de tous horizons étaient entassés, formant un véritable ghetto. Au XIXe siècle, peu de quartiers dans le monde semblaient aussi dangereux, tant en termes de violence que de maladies. De plus, les caricatures xénophobes continuaient de les cibler au pays de l’Oncle Sam…
Vision de l’arrivée des Irlandais à New York et du quartier de Five Points dans le film Gangs of New York
Malgré les difficultés, New York était une destination qui faisait sens pour les Irlandais. La première parade de la Saint-Patrick eut en effet lieu dès 1762. Il s’agissait à l’époque d’une initiative des soldats irlandais de l’armée britannique, comme le précise le site officiel de l’événement, la parade étant organisée chaque année depuis.
« La Parade de la Saint-Patrick de New York City est l’une des plus grandes traditions de la ville. La première parade eut lieu le 17 mars 1762, quatorze ans avant la signature de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis. La première Parade comprenait des militaires, des patriotes et autres Irlandais ayant le mal du pays, servant l’armée britannique basée dans les colonies. C’était une époque où porter du vert était un signe de fierté pour les Irlandais mais était interdit en Irlande. Durant cette parade de 1762, les participants ont exprimé leur liberté en parlant irlandais, en portant des vêtements verts, en chantant des chants irlandais et jouant des musiques irlandaises à la cornemuse, ce qui signifiait beaucoup pour eux ».
De nos jours, la parade de la Saint-Patrick de New York est la plus importante au monde. Des délégations étrangères sont invitées, comme le Bagad de Lorient en 2017, et, hélas, une certaine récupération politique et idéologique y a lieu. En 2014, les marques de bière Guinness et Heineken avaient boycotté le défilé car les organisateurs refusaient les pancartes et autres slogans LGBT. Deux ans plus tard, le lobby était parvenu à ses fins avec l’invitation de deux groupes militants homosexuels. Notons que les Américains d’origine irlandaise sont depuis toujours attachés au Parti Démocrate et prennent fait et cause pour toutes les « minorités ».
L’origine catholique de l’événement est tout de même rappelée par le parcours du défilé, passant toujours aux alentours de la cathédrale Saint-Patrick, et par la présence de l’archevêque de la ville.
Avant New York, une autre ville avait déjà célébré la Saint-Patrick : Boston, en 1737. Si la capitale du Massachusetts a la réputation d’être catholique et irlandaise, notamment à cause du nom de sa célèbre équipe de basket, les Boston Celtics, et que cette date pourrait avoir tendance à le confirmer, c’est bien à la suite de l’émigration causée par la grande famine qu’elle a pris un nouvel accent, étant auparavant bien plus protestante et puritaine.
Là encore, les Irlandais étaient d’abord cantonnés aux rôles ingrats, dans les usines comme sur le port, principale source d’activités de la ville pendant longtemps. Ils ont très vite représenté la moitié de la population de la ville, chiffre grandement redescendu depuis, notamment à la suite de l’arrivée massive d’Afro-Américains.
Les Irlandais d’Amérique ont peu à peu occupé toutes sortes de rôles, et, parmi les plus connus, originaires de Boston, l’on trouve la famille Kennedy. L’un des aïeux de JFK était arrivé en 1849, un an après la fin de la famine, soit encore lors de l’importante vague d’émigration.
Outre New York et Boston, Chicago est la troisième ville américaine où la Saint-Patrick est incontournable, les Irlandais s’y étant aussi installés en nombre à partir du XIXe siècle ; ils furent parmi les grands artisans de la reconstruction de la ville après le grand incendie ayant tout ravagé en 1871.
Pour la Saint-Patrick, les festivités sont étalées sur plusieurs jours, de différentes façons. Une parade a lieu le samedi précédant le 17 mars, l’occasion pour la ville de colorer les eaux de la « Chicago River » en vert, ce qui donne chaque année l’une des images de la Saint-Patrick les plus relayées ! La fontaine de la Maison Blanche, à Washington DC, a droit au même traitement.
Dans les rues de Chicago, la population porte du vert, la coutume voulant que celui ne se prêtant pas au jeu se fasse « pincer » les fesses ! Les bars colorent également leurs boissons et de nombreux commerces sont décorés avec des « leprechauns » (fameux petits êtres du folklore irlandais, habillés de vert), des trèfles et autres symboles de l’Irlande.
L’aspect religieux est lui aussi souligné, Chicago étant l’une des villes comptant le plus de catholiques dans le pays, bien aidée par ses habitants d’origine irlandaise, bien sûr, mais aussi italienne ou d’Amérique du Sud. La paroisse Sainte-Patrick, située « downtown » (dans le centre-ville), est particulièrement mobilisée.
La Saint-Patrick dans le monde du sport et du cinéma
Qui dit « États-Unis » dit « sport US » et « pop culture », le tout saupoudré de business, bien sûr !
Chaque année, la Saint-Patrick est donc honorée par les championnats professionnels du pays, notamment la NBA et la NHL, Boston, New York et Chicago étant logiquement parmi les villes les plus impliquées. Jusqu’en 2017, avant le changement d’équipementier en NBA, les Chicago Bulls troquaient aux alentours du 17 mars leur traditionnelle tenue rouge et blanche contre un splendide maillot vert tandis qu’en hockey sur glace, les Chicago Blackhawks portent une tenue d’échauffement de la même couleur. De nombreux produits « verts » sont commercialisés par les équipes sportives et figurent parmi les plus portés par les habitants le jour de la Saint-Patrick.
La Saint-Patrick est célébrée par les équipes sportives américaines, notamment à Chicago avec un mini-concert de musique irlandaise à la mi-temps d’un match des Bulls en 2017
Au cinéma, le film Le Fugitif, sorti en 1993, se déroule en cette fameuse période et le personnage joué par Harrison Ford – lui-même né à Chicago et dont l’un des grands-pères était Irlandais – traverse la parade et se déguise pour échapper au policier joué par Tommy Lee Jones.
Sur petit écran, l’un des épisodes de la série How I Met Your Mother (diffusée entre 2005 et 2014) se déroule ce jour-là, à New York. Pour respecter la tradition, l’un des héros porte un costume… vert ! Son acolyte, qui ne porte pas la couleur approprié, se fait pincer, confirmant ainsi qu’il vaut mieux faire attention !
La Saint-Patrick n’a plus la portée religieuse d’antan, que nous vous rappelions sur Breizh Info dans un précédent article. Elle n’en demeure pas moins populaire et conserve une certaine symbolique quand l’on sait que plus de 30 millions d’habitants des États-Unis déclarent avoir des racines irlandaises. Elle permet enfin de se souvenir des malheurs ayant touché l’Irlande, et peut-être à certains de réaliser que l’Amérique ne fut pas fondée uniquement par des brigands et des voleurs mais aussi par nos propres frères européens.
Crédit photo : DR / Alexandre Rivet
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