La crise diplomatique entre la France et l’Italie se poursuit depuis plusieurs mois. Toutefois, en ce moment, les rapports entre Paris et Rome semblent avoir atteint le point de rupture. Ce sont les polémiques soulevées par le Viminal qui ont froissé la France : d’abord les raids continuels des gendarmes français dans les trains de Vintimille puis la rencontre qui a eu lieu, il y a peu, de Luigi Di Maio et d’Alessandro Di Battista avec les Gilets jaunes français.
Les étapes de la crise franco-italienne
Les tensions entre les deux pays naissent en juin 2018 quand le président français, Emmanuel Macron, dénonce « le cynisme et l’irresponsabilité » de l’Italie sur le cas de l’Aquarius, puis définit comme « à vomir » la décision du gouvernement italien de fermer ses ports.
En octobre de la même année, les gendarmes français passent la frontière à Val di Susa et abandonnent des migrants dans le bois entre Cesana et Clavière. Se déchaîne ainsi une première polémique. L’Élysée a reconnu une erreur mais dénoncé une instrumentalisation politique de la part de des autorités italiennes puis Salvini a refusé ces excuses et rappelé à des cas antérieurs.
En décembre, Emmanuel Macron annonce de nouvelles mesures pour répondre aux Gilets jaunes. En pleine crise de présentation du budget italien à l’Union Européenne, Di Maio relève : « La France devra forcément augmenter son déficit, et il s’ouvrira donc un « cas France » si les règles sont les mêmes pour tous. Mais nous ne l’espérons même pas ».
Début janvier, devant la crise des Gilets jaunes qui envahit la France, Di Maio les exhorte, sur le blog du M5S, à ne rien lâcher et leur offre l’accès à la plateforme Rousseau, en ligne [plateforme de démocratie participative du M5S – NDT]. Le Leader du M5S exprime donc bien haut son soutien envers les Gilets jaunes et critique la politique d’Emmanuel Macron. Ce à quoi répond le ministre français des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, par un tweet : « La France se garde bien de donner des leçons à l’Italie. Salvini et Di Maio, apprenez à faire d’abord le ménage dans votre propre maison ».
En janvier, Di Maio attaque la France en expliquant qu’elle soumet 14 États africains à travers une même monnaie : le franc CFA. Et le même mois, Di Battista dit que la France et Sarkozy ont créé des problèmes à l’Italie avec la guerre en Libye, et ce avec la complicité de Giorgio Napolitano, l’ancien président de la République italienne.
Enfin, le 5 février, Luigi Di Maio et Alessandro Di Battista se rendent à Montargis, dans l’est du Loiret (45), pour rencontrer Christophe Chalençon, un des leaders du mouvement des Gilets jaunes. La France considère cette visite comme « une nouvelle provocation inacceptable qui affaiblit les rapports bilatéraux ».
Et maintenant, la France rappelle son ambassade à cause « d’un manque de respect de l’Italie ».
Ce rappel de l’ambassade française en Italie constitue le point culminant des tensions entre les deux pays depuis les années 80. Il faut remonter au 10 juin 1940 pour trouver une telle crise diplomatique entre les deux pays : quand Galeazzo Ciano, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, reçoit l’ambassadeur français à Rome, André François-Poncet, pour lui remettre la déclaration de guerre qui sous peu devait être annoncée au peuple italien par Mussolini.
Anaïs Ginori, journaliste de La Repubblica, écrit sur Twitter que « le rappel d’une ambassade est un geste diplomatique fort. En théorie, après un tel acte, il n’existe plus d’autres échelons que la rupture des relations diplomatiques bilatérales ». Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, explique dans une note qu’il s’est créée « une situation grave qui interroge sur les intentions du gouvernement italien vis-à-vis de sa relation avec la France. À la lumière de cette situation sans précédent, le gouvernement français a décidé de rappeler l’ambassadeur de France ».
Diverses opinions sur la crise
Au sein de cette crise, diverses opinions émergent comme par exemple celle de Matteo Renzi, membre du Parti Démocrate (PD), qui lui, s’exprime ainsi sur Europe 1 : « J’ai honte comme citoyen italien et européen. L’attitude du gouvernement italien est une erreur incroyable et je crois que la décision de la République française est absolument correcte ». « C’est le temps de l’amitié, nous avons besoin les uns des autres. Il y a nécessité d’être tous ensemble face à la crise mondiale. Nous devons faire tant de choses ensemble – continue Matteo Renzi. Nous avons un gouvernement italien qui a beaucoup de problèmes liés à la crise économique causée par la stupidité des populistes au gouvernement. Je déplore être obligé d’utiliser cette expression parce que c’est de mon gouvernement qu’il s’agit, mais il est stupide d’attaquer un pays ami [pour rappel, la France et l’Italie ont pour ainsi dire toujours combattu l’un contre l’autre et ce depuis les Romains – NDT]. L’approche d’une guerre diplomatique entre l’Italie et la France est stupide au moment où nous devons faire une Europe ensemble ». Pour Matteo Renzi, la rencontre entre Luigi Di Maio et Alessandro Di Battista avec quelques Gilets jaunes qui ont lancé « un message de guerre civile, est difficilement acceptable pour une démocratie […] Soutenir les voyous et non les institutions est inacceptable ».
Dans le même sens, il y a Oliviero Toscani qui fait son retour sur la scène médiatique aux micros de Radio 24 qui lui donne l’occasion comme à son habitude de critiquer le gouvernement italien, avec un langage très fleuri. « La France a raison. Avec ces ordures au pouvoir, nous faisons chier, nous sommes devenus les idiots du village. Grace à ces deux partis [le M5S et la Ligue du Nord – NDT]. Toutefois plus personne ne nous emmerde, nous ne comptons plus et nous faisons rire les poulets. Autrefois, Grillo [Beppe Grillo personnalité italienne dans le spectacle comique, fondateur du Mouvement 5 Etoiles – NDT] faisait des spectacles comiques et ce spectacle, aujourd’hui, nous l’avons mis au Parlement. Le show continue. […] Je voudrais être gouverné par Macron, sans aucune hésitation. Il est autrement plus classe. Regardez ces deux-là : pas même Néandertal. Je ne les nomme même plus, ils portent la poisse. […] Vive la France… ».
Le président italien, Sergio Mattarella, intervient, quant à lui, dans la crise diplomatique en faisant pression sur le gouvernement Salvini-Di Maio : « Il faut défendre et préserver notre amitié avec la France ». Toutefois, le fait est que, une fois encore – même si là, le devoir institutionnel le lui impose – Mattarella intervient directement dans l’action du gouvernement pour en rectifier le tir. Une ingérence, en somme.
Et de son côté, le ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, tente de tempérer la situation après la décision de Paris. « Nous ne voulons nous disputer avec personne, les polémiques ne nous intéressent pas : nous sommes des gens concrets et nous défendons l’intérêt des Italiens ». Salvini a aussi déclaré être prêt à rencontrer Macron et le gouvernement français. Rencontre, qui, selon le ministre de l’Intérieur italien devrait servir à « affronter trois questions principales : en finir avec les disputes, arrêter les terroristes italiens résidant en France et arrêter de nuire aux travailleurs de banlieues qui sont littéralement harcelés tous les jours aux frontières françaises par des contrôles de plusieurs heures ».
Traduction : Hélène Lechat
Sources : Il Giornale (07 février 2019), Next Quotidiano (07 février 2019), Imola Oggi (07 février 2019), Il Primato Nazionale (07, 08 et 09 février 2019)
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine