Philippe Grosvalet sait comment s’y prendre pour bâillonner le peuple ; il suffit de l’empêcher de voter sur une question stratégique et de réserver ce privilège aux 62 conseillers départementaux de Loire-Atlantique, petit club qui tient compte davantage des intérêts du Système que de ceux de la Bretagne. Mais pour s’en sortir par le haut et se débarrasser de ce dossier épineux, Grosvalet a imaginé confier à l’État le soin d’organiser un « référendum décisionnaire ».
Lundi 17 décembre, Philippe Grosvalet (PS), président du conseil départemental de Loire-Atlantique, a gagné une bataille : par 30 voix contre, 13 pour, 15 abstentions et 4 non votants, l’assemblée départementale a rejeté l’idée d’un rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne.
L’astuce de Grosvalet
Pour ce faire le président a utilisé une astuce. Plutôt que d’inscrire à l’ordre du jour – comme le lui demandait la pétition de Bretagne réunie – « l’organisation d’une consultation », étant entendu que « la décision d’organiser la consultation appartient à l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale » (article L. 1112-16 du code général des collectivités territoriales) il a préféré sauter l’obstacle en passant directement au « droit d’option » qui rend possible le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne si les conseillers départementaux de Loire-Atlantique, les conseillers régionaux de Bretagne et des Pays de la Loire votent des « délibérations concordantes » allant dans ce sens avec une « majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés » (Article L. 4122-1-1 du C.G.C.T.).
Or, si le corps électoral s’était prononcé en premier, le vote aurait été très certainement favorable au rattachement – c’est ce qu’ont montré tous les sondages. On voit mal les 62 conseillers départementaux de Loire-Atlantique adopter une autre position ensuite. Ils étaient coincés. Pour éviter ce désagrément, Grosvalet a joué la carte de l’entre – soi. En petit comité, les élus ont voté contre la Bretagne. Ce qui était prévisible pour diverses raisons.
Mais désireux de se donner un visage libéral et arrangeant, Grosvalet a fait voter ensuite un vœu réclamant l’organisation d’un « référendum décisionnaire » pour décider d’un éventuel redécoupage territorial visant la Loire-Atlantique. « Considérant que nous sommes favorables à de grandes régions fortes avec des compétences stratégiques et des départements en charge des solidarités et des équilibres territoriaux (…), qu’il revient à l’État de conduire les modifications administratives des périmètres régionaux et non aux collectivités territoriales (…) et que le débat ne peut être limité aux seules frontières de la Loire-Atlantique, les élus demandent à l’État et aux parlementaires d’engager un débat serein et constructif sur la mise en place d’un processus référendaire visant à modifier les limites administratives de l’ouest de la France », dit ce texte.
Pas une question prioritaire pour Macron
Difficile d’imaginer mieux pour enterrer la réunification. Dès qu’il s’agit de botter en touche, on peut compter sur Grosvalet. Car, aujourd’hui, on voit mal le Président se lancer dans une pareille aventure à propos d’un sujet qui n’a rien de prioritaire pour le gouvernement. Alors que seuls 23% des Français « font confiance » à Emmanuel Macron « pour affronter efficacement les problèmes du pays » (sondage Elabe, Les Échos, 7 -8 décembre 2018)
Une première difficulté apparaîtrait tout de suite. Aurions-nous affaire à une question unique à laquelle il faudrait répondre par oui et par non ? Ou bien aurions nous affaire à une question à tiroirs avec plusieurs réponses possibles ? Quel serait le périmètre choisi pour le référendum ? Les cinq départements bretons ou bien la Bretagne (4) et les Pays de la Loire. Gouvernement et parlementaires auraient le plus grand mal à trouver un terrain d’entente. En définitive, qui déciderait de tout cela ? On voit mal Erwan Balanant (MoDem, Concarneau) et Stéphane Le Foll (PS, Le Mans Ouest) s’entendre sur le libellé de la question (ou des questions). Et sur le périmètre. Le premier défendant le principe de la réunification et le second s’inscrivant – bien que Breton – dans la logique des Pays de la Loire.
Les Gilets jaunes suffisent au bonheur de Macron, inutile de réveiller les Bonnets rouges
Emmanuel Macron et Édouard Philippe auraient également à tenir compte d’une autre difficulté. Lorsqu’il s’est installé à l’Élysée le nouveau président pouvait s’appuyer sur trois piliers Nicolas Hulot, Gérard Collomb et Jean-Yves Le Drian. Mais les deux premiers sont partis ; il ne peut plus compter que sur le ministre des Affaires étrangères. Va-t-il prendre le risque de perdre ce dernier atout ? On se souvient en effet que lors de la discussion portant sur le redécoupage des régions, le Breton s’était opposé à la fusion Bretagne (4) et Pays de la Loire. Avec force. A tel point que François Hollande, alors président de la République, avait dû y renoncer et maintenir le statu quo. D’où la loi relative à la délimitation des régions (16 janvier 2015) qui fabrique un « Grand Est » (Alsace, Champagne- Ardenne – Lorraine), mais pas un « Grand Ouest ».
On voit mal aujourd’hui Le Drian se déjuger et Macron se fâcher avec son ministre pour une question qui, vu de Paris, n’a rien de fondamental. Et comme le Président ne se trouve pas en position de force pour imposer une innovation qui créerait de sérieux remous en Bretagne, on estime à l’Élysée qu’il est préférable d’en rester là. Les Gilets jaunes suffisent au bonheur de Macron, inutile de réveiller les Bonnets rouges.
Bernard Morvan
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