Alors que la capitale devrait être quasiment en état de siège ce samedi, dans l’attente d’une manifestation des Gilets jaunes annoncée comme aussi désespérée que violente, le moins que l’on puisse dire c’est que nombre de policiers et de gendarmes n’ont pas le moral. Le malaise social exprimé par les Gilets jaunes entre en résonance avec le leur – manque de moyens, d’effectifs, de soutien, et. et les ébranle.
« Tu vas risquer ta vie pour 200 balles, toi ? » Dans une interview accordée à RT France, Harold, membre de l’association policière UPNI, appartenant à la compagnie de sécurisation et d’intervention et qui a participé au maintien de l’ordre lors des actes 2 et 3 du mouvement à Paris n’a pas caché sa déception. « Le 2 décembre, le président est venu nous voir avec le ministre de l’Intérieur sur les Champs pour nous rendre hommage, mais c’était pour uniquement faire de la communication ! J’aurais aimé un Président qui prenne le temps de parler avec nous, de prendre la mesure de nos expériences et d’essayer de comprendre ce qu’on ressentait… Mais non, ça a été très rapide et destiné aux caméras, en réalité.». Signe fort de ce ras-le-bol, une compagnie de CRS a d’ailleurs refusé la prime en signe de solidarité avec les « vrais Gilets jaunes», comme l’a fait savoir un fonctionnaire de police à RT France.
« Expliquer au ministre comment on fait un maintien de l’ordre »
A Paris, samedi, près de 8000 policiers sont attendus pour sécuriser la capitale. Le problème, c’est que les deux précédentes manifestations au moins ont été un fiasco en termes de maintien de l’ordre. Au début de la semaine, les dirigeants des syndicats policiers se sont rendus au ministère « pour expliquer au ministre comment on fait un maintien de l’ordre », selon une source proche du dossier.
Au menu : plus d’usage du lanceur de balles de défense – malgré deux blessés très graves ce mercredi dans des échauffourées entre lycéens et forces de l’ordre à Saint-Jean-de-Braye (Loiret) et Garges-les-Gonesse (Val d’Oise), et un autre ce mardi à Grenoble, et du contact avec les manifestants plutôt que de la lacrymo à gogo. Mais à ce jour personne ne peut dire si samedi la manifestation pourra être cantonnée ou si elle tournera à l’insurrection.
« On en a marre. Comme les Gilets jaunes. Pire qu’eux même parce qu’on en a marre depuis des années, et là on en peut plus »
L’incertitude mine les forces de l’ordre. Dans les rangs où l’actuel ministre n’est guère populaire en raison de son passé proche du Milieu – officiellement il s’est approché de la ligne jaune mais est resté du bon côté, les policiers qui seront « sur le front » à Paris s’attendent au pire. « Du reste, on les comprends, même si on n’a pas le droit de l’afficher. Cela fait trois semaines qu’ils manifestent, tout le pays est avec eux, et en échange le gouvernement leur file six puis douze mois de moratoire sur les seules augmentations prévues en réfléchissant déjà comment les récupérer de l’autre main. Personne ne répond aux Gilets jaunes », s’exclame un CRS.
« On n’est pas là pour faire le tampon entre un gouvernement qui refuse d’écouter le peuple et le peuple justement. Ou même les casseurs », relève un policier nantais. « On n’est pas là pour se faire casser la gueule, pour travailler dans des locaux et avec des équipements hors d’âge, pour travailler pour rien – car la procédure est si touffue et l’impunité si bien installée que les délinquants qu’on met des mois à interpeller ont des peines minimes ou sont immédiatement relâchés, et puis on en a marre. Comme les Gilets jaunes. Pire qu’eux même parce qu’on en a marre depuis des années, et là on en peut plus ».
Les actions du gouvernement ne trouvent pas grâce sur le terrain. « Ils sont complètement à la rue », tance un CRS. « Comme les services de renseignement, pas fichus de lire Facebook et Internet. A quoi y servent ? C’était couru d’avance que ça allait dégénérer, que Paris est devenu le point de ralliement de casseurs professionnels… mais aussi de Gilets jaunes qui en avaient assez de l’autisme du gouvernement. Tout mettre sur le compte de l’ultra-droite [inexistante, quand les « experts » des médias ne prennent pas le drapeau picard pour son symbole, NDLR] ou de l’extrême-gauche, c’est de la foutaise ».
« S’il y a un mort dans nos rangs cette semaine, les policiers du terrain vont tout poser et rejoindre les Gilets jaunes »
Des gradés policiers sont aussi « consternés », même si pour la plupart ils s’abritent derrière le devoir de réserve. L’un d’eux se risque toutefois : « le gouvernement et Macron ont tout fait pour que ça parte en vrille, et maintenant tout ce qu’ils font a trois trains de retard. Le moratoire, c’était le 17 novembre qu’il fallait le faire ». Un autre témoigne d’une grande lassitude : « S’il y a un mort dans nos rangs cette semaine, les policiers du terrain vont tout poser et rejoindre les Gilets jaunes ».
Emmanuel Macron a essayé d’éteindre le feu en versant une prime aux CRS mobilisés : « s’il pense acheter notre confiance comme il achète comme les leaders syndicaux, c’est mort », se moque un CRS. « Mais c’est un bon début pour tout revoir, tout. C’est comme les Gilets, ils ne veulent plus la peau de la taxe carbone, mais de toutes les taxes et des privilèges indus. De la vaisselle du roi Macron à l’écologie punitive ».
Du reste, les policiers ont déjà brisé la chape de plomb – et surtout le principal tabou. A l’automne 2016, ils ont manifesté en tenue dans les grandes villes, et ce mouvement était autant dirigé contre l’inaction du Ministère que contre des syndicats tancés pour leur trop grande proximité avec la hiérarchie. En 2017 ils ont manifesté avec leurs femmes. Des syndicats apolitiques ont émergé de la base, comme l’UPNI. Et très récemment le suicide de Maggy Biskupski, porte-parole des Policiers en colère – une des structures nées des manifestations de l’automne 2016 – a rouvert les vieilles blessures.
Louis Moulin
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