Il y a risque pour un homme politique de premier plan à s’aventurer dans le champ historique. Trop peu de consistance, trop plein d’arrière-pensées politiques conduisent à des livres hâtifs, de circonstance, publiés par convenance chez un éditeur « ami ». Dernier exemple en liste, une « Campagne de France » du député-maire de Montereau, Yves Jego. Un homme qui rêve d’un autre Disneyland dédié à son grand homme, Napoléon Ier.
« Le Mal napoléonien » écrit par Lionel Jospin n’entre pas dans cette catégorie. La haute idée (jusqu’à l’arrogance) qu’il avait de ses fonctions gouvernementales prend sa suite dans une réflexion historique bien conduite, étayée par des lectures (Tulard, Lentz) qui nourrissent l’acte d’accusation.
Le titre vaut ce qu’il vaut. En fait, il traite autant du « mal jacobin » que de l’exercice napoléonien du pouvoir. Les racines du mal sont bien plus lointaines puisque la Révolution loin de mettre fin aux pratiques centralisatrices de l’Etat monarchique les a entérinées et prolongées. Surtout après avoir réglé son compte à la tendance girondine (dite encore fédéraliste) en 1793.
Jospin charge Napoléon. Souvent à juste titre, mais souvent aussi au-delà du raisonnable. Il ne voit même pas de césure entre le général républicain imbu des Lumières et le despote. Il ne procède donc pas comme Pierre Larousse qui faisait mourir son héros un soir du 18 brumaire. Avec un art de la formule qui fait mouche, Jospin stigmatise le « chef peu soucieux de ses hommes » qui fonde un « empire prédateur » à « l’échec final inéluctable ».
Avec raison, Jospin montre que l’empereur des Français s’est joué des aspirations nationales, polonaise, italienne, allemande. Il a peu compris l’Espagne et encore moins la Russie. Comme Jacques Bainville, l’historien monarchiste auteur d’un remarquable « Napoléon » (1931), il le voit incertain, hésitant entre modernité et maintien de l’ordre ancien. Comme Bainville, il juge l’aventure napoléonienne néfaste pour la France :
« Tant de victoires, de conquêtes… pourquoi ? Pour revenir en-deçà du point d’où la République guerrière était partie, où Louis XIV avait laissé la France… » (J. Bainville)
Les pages consacrées au bonapartisme ne sont pas les meilleures. Reprenant la typologie des droites chère à René Rémond (qui a nourri deux générations d’étudiants en sciences politiques), Jospin met en scène un bonapartisme beaucoup trop conceptualisé. Ce qui l’amène à faire du général Boulanger et même de Pétain des héritiers de l’idéologie impériale. C’est oublier que le bonapartisme « stricto sensu » est dynastique, qu’il s’éteint avec le fils de Napoléon III, tué en Afrique du Sud en 1879. Ramener le bonapartisme au culte du chef, c’est aller trop vite en besogne. L’imaginer au tréfonds des actuels « populismes » (autre catégorie politique des plus discutables) relève du jeu intellectuel et un peu du fantasme.
Mais tout invite à lire cet essai de Lionel Jospin, le « Bainville » à portée de main !
Jean Heurtin
Le mal napoléonien, Lionel Jospin, Le Seuil, 234 p., 19 €
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